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Intelligence africaine de la foi : Le christianisme des opprimés

 

Comme le maître et l’esclave ne pouvaient pas communier au même Evangile, ils ne pouvaient pas partager le même christianisme. Plus exactement : entre le christianisme des propriétaires d’esclaves et le christianisme proprement dit, la différence était radicale. Celui qui a le mieux exprimé cela s’appelle Frederick Douglass, ancien esclave et abolitionniste.

 

 

Dans ses Mémoires, il écrit : « Entre le christianisme de ce pays et le christianisme du Christ, je reconnais qu’il y a une différence considérable – si grande que, pour reconnaître l’un comme bon, pur et saint, il est obligatoire de rejeter l’autre comme mauvais, corrompu et pervers. Etre l’ami de l’un est obligatoirement être l’ennemi de l’autre. J’aime le christianisme pur, pacifique et impartial du Christ : donc je hais le christianisme corrompu, partial et hypocrite des propriétaires d’esclaves qui fouettent les femmes et pillent les berceaux de ce pays » (Cf. Mémoires d’un esclave américain, Paris, 1980). C’est le lieu ici de laisser émerger une des questions les plus importantes du rapport des esclaves au christianisme : Comment, en dépit de toutes les falsifications de l’Evangile blanc, les esclaves ont pu adhérer de plus en plus massivement à la foi chrétienne ? Comment expliquer leur « conversion » au christianisme ? Il semble que la première raison est liée à la volonté des Blancs, qu’ils soient missionnaires ou/et propriétaires d’esclaves. En effet, dès 1648, une loi de l’Etat du Massachusetts demandait à « tous les chefs de famille de faire catéchiser une fois par semaine leurs enfants et leurs serviteurs sur les fondements et les principes de la Religion » (Cf. Eileen Southern, Histoire de la musique noire américaine). Donc, des maîtres ont organisé des moments de prière chaque semaine et ont conduit leurs esclaves à l’église. Certains même ont construit des chapelles et invité des prédicateurs itinérants. En fait, les propriétaires d’esclaves se sont, à un moment donné, persuadés que l’instruction religieuse améliorait les relations maître-esclaves, ce qui était bon pour leurs intérêts économiques. Une autre raison de la conversion des esclaves au christianisme pourrait se formuler de la manière suivante : se convertir au christianisme serait comme une stratégie d’apprivoisement de la puissance manifeste du dieu blanc, une manière de participer à son pouvoir, de détourner à son profit son potentiel de vie, d’autant que le dieu africain n’avait pas réussi à les sauver de l’esclavage. En fait, la situation d’asservissement, les séparations des familles et leur dispersion dans les plantations, la distance avec l’Afrique et la multiplication des Noirs nés en Amérique, tout cela a fini par produire une déconnexion avec la religion traditionnelle africaine. Avec l’apprentissage de l’anglais, des phénomènes d’interaction se produiront et la communauté noire se tournera vers la seule religion disponible : le christianisme. D’ailleurs, pour beaucoup de spécialistes de cette question, c’est aussi l’affinité du christianisme avec la religion africaine qui a permis la christianisation des Noirs américains. Affinité qui s’exprime dans l’affirmation du Dieu unique et créateur, dans la force invisible de la grâce, dans le souci communautaire et dans la reconnaissance des chefs. Et ce christianisme noir va avoir ses caractéristiques propres : il s’éloignera de la sévérité froide de l’anglicanisme, du ritualisme codifié du catholicisme et se rapprochera de l’exubérance contagieuse du baptisme et du méthodisme. Au final, ce qui intéresse les Noirs, c’est le type de christianisme qui s’adresse, dans un langage chaud et vibrant, aux couches les plus défavorisées de la société, le christianisme qui propose un programme simple et direct de vie chrétienne, c’est-à-dire : un compagnonnage avec le Christ sous le regard de Dieu et qui accorde une importance particulière à la communauté comme lieu d’accueil de tous les charismes. Une communauté qui donne un statut à chacun.

 

 

 

P. Jean-Paul Sagadou

 

Assomptionniste

 

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