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Karim Demé : Rencontre avec le «papa des Chinois»

Depuis la déclaration officielle du rétablissement des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine lue par notre chef de la diplomatie, Alpha Barry, le 24 mai dernier aux Affaires étrangères, le drapeau de ce pays flotte fièrement sur un immeuble sis au quartier 1200-Logements. Et le propriétaire des lieux, que nous avons rencontré samedi dernier, n’est autre que Karim Demé, entrepreneur dans le BTP et grand ami des Chinois si bien qu’il porte avec fierté le surnom de « papa des Chinois ». Ses relations avec les habitants de ce pays-continent, les possibles avantages de la  nouvelle alliance et les domaines de coopération économiques à envisager ont été au menu des échanges.

 

 

Dites-nous, votre amitié avec la Chine continentale remonte à quand ?

 

Ça remonte à de longues années. Parce que bien avant la création de notre Point focal (Ndlr : lieux de facilitation de la délivrance des visas pour la Chine continentale), je faisais déjà de l’import-export et c’était l’occasion pour moi de me rendre en Chine pour l’acquisition de matériel, plus précisément l’électroménager. Et ce, jusqu’en 1997, avant même que Hong-Kong ne soit rétrocédée à la Chine (Ndlr : La rétrocession de Hong-Kong par la Grande-Bretagne à la Chine a eu lieu le 1er juillet 1997). J’y étais très fréquent et ces voyages m’ont permis d’avoir beaucoup de contacts. C’est à l’issue de cela que fut créée une association dénommée FASIB (Forum d’amitié sino-burkinabè) dans laquelle j’ai milité un bon bout de temps avant de créer le Point focal depuis pratiquement une dizaine d’années.

 

Depuis longtemps, vous filez le parfait amour avec les Chinois. Quels sont justement les traits de caractère et les attitudes que vous appréciez chez vos amis ?

 

Lors de mes différents séjours, j’ai particulièrement été émerveillé par leur discipline, leur ardeur au travail, leur franchise et leur souci de bien faire.

 

On dit de vous que vous étiez le principal interlocuteur des Chinois continentaux quand ils rencontraient des difficultés au Burkina. Dites nous-en un peu plus.

 

Le fait qu’il n’y ait pas de relations diplomatiques compliquait les situations de part et d’autre, pour nos compatriotes qui veulent aller en Chine ou pour les Chinois qui veulent venir ici faire des affaires. Vous savez, 97% de nos opérateurs économiques se tournent vers la République populaire de Chine. Et pour voyager, il faut des documents officiels, à commencer par un visa en bonne et due forme. Et l’on se rend compte que pour les Burkinabè, au regard de l’absence de relations diplomatiques, c’était la croix et la bannière. Il fallait aller à Abidjan, à Lomé ou à Niamey. D’où l’idée de créer le Point focal, en partenariat avec la chambre de Commerce et la maison de l’Entreprise, qui m’ont dit : « Monsieur Demé, vous avez beaucoup de relations avec la Chine ; essayez de faire quelque chose pour nous parce que nous souffrons beaucoup ». J’ai donc tout fait pour contacter l’ambassade de la Chine populaire à Abidjan pour plaider en faveur de mes compatriotes. Cette dernière a finalement accepté que les dossiers de demande de visas soient déposés et traités à notre niveau au Burkina. Une fois les dossiers envoyés à Abidjan par nos soins, il ne reste plus qu’à y apposer les visas.

 

Que faites-vous pour les Chinois vivant au Burkina ?

 

 Pour ce qui concerne les Chinois vivant chez nous, ils s’adonnent généralement au petit commerce. D’abord, ils n’ont pas la maîtrise des langues et rencontrent souvent d’énormes difficultés. Ils ignorent aussi les réglementations en vigueur et font souvent des choses en toute ignorance. Ils rencontrent donc des problèmes avec l’administration, parce que leur attitude ne cadre pas avec la déontologie, le droit fiscal ou l’écologie. Souvent, ils le font de bonne foi. Et quand ils ont des soucis, ils n’ont pas d’ambassade à qui s’adresser. Ils sont obligés de venir vers moi, et j’essaie de plaider leur cause soit ici ou par l’entremise de leur ambassade à Abidjan. Imaginez-vous, nous avons eu à connaître des cas de décès de Chinois sur notre territoire. Que fallait-il faire, surtout que le rapatriement du corps jusqu’en Chine est compliqué ? Comme il n’y a pas d’ambassade, ils sont comme des orphelins. Ensemble avec l’ambassade de Chine à Abidjan, nous essayons de régler ces cas de décès pour que les corps soient  transférés en République populaire de Chine. C’est dire que quel que soit le souci qu’ils ont, ils se retournent vers moi et j’essaie de gérer au mieux la situation.

 

C’est donc dire que le surnom de « papa des Chinois » qui vous est attribué n’est pas usurpé…

(Rires). Je suis soit le « papa », soit le « cousin » soit le « Consul ». Tous ces surnoms sont liés à ce que je fais. Au moment des soulèvements populaires et des mutineries, vous savez que des boutiques de Chinois ont été saccagées. Il y en a eu qui ont même été touchés par des balles perdues. C’était le sauve-qui-peut et ils n’avaient aucun repère, si ce n’est moi. J’ai fait le point à leur ambassade à Abidjan et ces derniers m’ont demandé : « Monsieur Demé, c’est vous qui êtes sur place. Vous êtes comme nous. Faites ce que vous pouvez pour que nos frères soient en sécurité. Faites tout ce que vous pouvez afin que ceux qui veulent quitter le Burkina puissent le quitter ». En plein midi, pendant que les militaires tiraient, j’ai eu à partir avec ma voiture pour chercher des Chinois. Ceux qui voulaient partir, je les couchais dans ma voiture pour les évacuer, par la route ou par l’aéroport. J’ai eu à payer des billets de transport de ma poche pour qu’ils puissent partir, parce qu’il n’y avait plus de possibilité de faire des retraits en banque ou dans les distributeurs automatiques. Pour ceux qui étaient en situation de détresse et ne pouvaient se déplacer, j’ai eu à charger mon véhicule de provisions pour qu’ils puissent tenir en attendant.

 

Aujourd’hui, les relations diplomatiques entre leur pays et le nôtre sont rétablies. Quels sont les sentiments qui vous animent ?

 

C’est une grande joie qui m’anime. Nous y avons cru pendant plus de 15 ans. Nous nous donnions peut-être une chance sur mille pour que ça arrive ; mais nous y avons cru. C’est vrai que cette quête m’a attiré beaucoup d’ennuis. A un certain moment, les autorités de mon pays n’ont pas compris que je travaillais dans l’intérêt des Burkinabè. La police a eu à faire des perquisitions dans mes bureaux pour voir si je ne faisais pas dans la subversion. Pendant six heures, l’on m’a posé toutes sortes de questions. Voilà autant d’ennuis que j’ai eus dans l’exercice du Point focal ; fort heureusement, la politique ne m’a jamais intéressé. C’est rendre service à mes compatriotes et aux Chinois qui était mon principal carburant. Donc, c’est un sentiment de satisfaction et de mission accomplie qui m’anime aujourd’hui.

 

Justement beaucoup trouvent à redire à propos de ce rétablissement des relations diplomatiques. Ce qui nous amène à vous demander quels sont les avantages que le Burkinabè lambda pourrait tirer de cette situation.

J’aborderai la question en commençant par le monde paysan. Comme tout le monde le sait, la population burkinabè est en majorité dans l’agriculture, notamment dans les productions cotonnière et céréalière. La Chine est une réponse à leurs soucis. Je m’explique : aujourd’hui, le sésame du Burkina est exporté frauduleusement par des circuits détournés vers la Chine. Nous avons une exportation de sésame de 168 000 tonnes qui passent par les pays limitrophes pour être exportées en Chine. En comparaison, seulement 2000 tonnes sont exportées vers Taïwan. Ce serait une grande opportunité pour les paysans qui cultivent ce sésame de traiter directement avec les Chinois. Parlons maintenant de notre coton. La Chine en est un grand consommateur. Et nous n’avons jamais réussi à le lui vendre directement. Ce sont des intermédiaires qui prennent ce coton et se font des bénéfices en partant le revendre en Chine. C’est dire que c’est une aubaine pour le monde paysan, qui pourra désormais traiter directement par l’intermédiaire du gouvernement burkinabè. Ça peut être en  brut ou transformé. Tout dépend de la politique gouvernementale. Si elle privilégie la transformation de ce coton par l’installation d’usines, ce serait une aubaine parce que les Chinois ont tout aussi besoin du fil. Pourquoi ne pas solliciter la délocalisation d’une usine de filature chinoise au Burkina ? Ce serait une valeur ajoutée pour notre pays. De la Chine continentale, le monde paysan et celui des affaires tireront profit. Les petits et grands commerçants pourront y voyager librement et sans peine.

 

L’autre inquiétude porte sur la survie des projets mis en place par la Chine Taïwan. La Chine continentale va-t-elle reprendre ces projets qui étaient sous la coupe du frère ennemi ?

 

Dans les discussions, j’ai eu l’assurance que ces projets vont se poursuivre. Il y aura même davantage de projets. Prenons le cas de l’hôpital de Tengandgo (Ndlr : Hôpital Blaise Compaoré). Beaucoup se font du souci à son propos, s’inquiétant de ce que les équipements des plateaux techniques sont en chinois et se demandant comment les Burkinabè pourraient s’en sortir dans leur manipulation et leur maintenance après le départ des Taïwanais. Je dis et le redis : il ne faut pas se faire des inquiétudes. La République populaire de Chine s’est engagée à nous accompagner et à renforcer les projets existants. La Chine est un grand pays qui fait les choses en grand. Elle ne fait pas dans le saupoudrage où l’on donne de petits cadeaux à gauche ou à droite. Ce sont des investissements structurels qui peuvent intéresser le Burkina qu’il propose. L’exemple du stade du 4-août, construit par la Chine continentale pendant la Révolution, est parlant. A ce jour, on n’a pas construit d’infrastructure de cette nature. Regardez certains bâtiments ministériels ou l’hôpital de Koudougou. Les Chinois les ont construits quand ils n’avaient pas beaucoup de moyens. Aujourd’hui il s’agit d’une grande puissance économique. Et je pense que ce serait une bonne occasion pour le Burkina de faire valoir des projets stratégiques.

 

Quel genre de projet faut-il alors pour que le fameux partenariat gagnant/gagnant soit au rendez-vous ?

 

 Il ne faut pas qu’on fasse de petits projets qui n’ont pas d’impact sur la population. Il faut des projets de grande envergure. Aujourd’hui, nous souffrons beaucoup de délestage et de manque d’eau. Il n’y a pas une année qui passe sans des coupures d’électricité qui s’allongent de plus en plus. Il faut qu’on y mette fin par une politique d’investissement massif. Prenez le cas de la Côte d’Ivoire. Le seul barrage de Soubré, que les Chinois ont construit, peut alimenter tout le Burkina. Nous on est là à faire une petite centrale par-ci, une autre par-là… Et rapidement la demande dépasse l’offre. C’est un perpétuel recommencement. Avec nos nouveaux amis, nous pouvons mettre en place de grands projets qui nous permettront d’atteindre l’autosuffisance énergétique, la disponibilité permanente en eau, et booster les infrastructures routières. Pourquoi ne pas penser à un chemin de fer vers le Ghana ? Pourquoi pas ? Parce que nous avons des minerais et la Chine est friande de minerais. C’est à nous de savoir négocier les projets avec eux afin que ce soit un partenariat gagnant/gagnant.

 

Parmi les dégâts collatéraux liés à la rupture diplomatique avec la Chine Taïwan, pourraient figurer nos compatriotes vivant à Taïwan, notamment les étudiants. Avez-vous pensé à eux ?

 

Oui. Ce sont des Burkinabè et ce sont nos frères. Et nous en avons fait notre affaire. Le problème a été posé, et le ministre des Affaires étrangères en a fait cas lors d’un Conseil des ministres. Moi j’ai eu l’assurance avec mes partenaires chinois que tous les étudiants, pour ceux qui le souhaitent, seront recasés dans les meilleures universités de la Chine continentale. D’ores et déjà, 200 universités sont prêtes à accueillir nos frères burkinabè. Nos compatriotes n’ont donc aucun souci à se faire. Les Chinois  m’ont dit : « Les Burkinabè sont nos amis. Nous ne laissons pas tomber un ami. Les étudiants burkinabè auront leur place dans nos universités ». Bien avant le rétablissement des relations, j’ai eu moi-même à offrir des bourses à des étudiants burkinabè qui étudient actuellement en Chine. Pas seulement aux plus méritants, mais aussi à d’autres, qui étaient dans une situation critique, parce que n’ayant plus de soutien. Des bourses gratuites, sans en connaître les bénéficiaires au préalable afin qu’ils aient une formation solide pour être un jour des hommes et des femmes responsables.

Je tiens à dire et redire ceci : Le peuple burkinabè n’a pas à avoir peur de la Chine. Il ne faut pas qu’il pense que la Chine est un envahisseur. C’est une nation avec laquelle on peut travailler la main dans la main. Il suffit qu’on sache défendre nos intérêts. Pour ce faire, il faudra que le gouvernement burkinabè présente des projets stratégiques et structurants au partenaire chinois. Et j’en suis sûr, on va réaliser de grandes choses pour le Burkina. La Chine s’intéresse aux peuples, pas aux individus. Elle ne cherche à enrichir X ou Y, telle ou telle famille. La Chine s’intéresse au paysan, au commerçant et au citoyen lambda. 

 

Entretien réalisé par

Issa K. Barry

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