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Côte d’Ivoire : Le «N’ayons pas peur» d’ADO

 

Rarement discours présidentiel aura été aussi attendu sur les bords de la lagune Ebrié que celui prononcé hier par le chef de l’Etat, Alassane Dramane Ouattara. Il faut dire que c’est l’intéressé lui-même qui avait pris ce rendez-vous cathodique avec ses compatriotes avec la promesse de lever  le voile sombre  qui couvre ses intentions pour 2020.«J'aurai des indications plus précises sur mes ambitions futures pour rassembler la Nation entière, à l'occasion de mon adresse à la nation, le 6 août prochain, au soir», avait en effet annoncé ADO le 11 juillet 2018, lors du premier Conseil des ministres du nouveau gouvernement.

 

 

Ne serait-ce que pour ça, à savoir qu’il mette enfin fin à ce clair-obscur, les Ivoiriens se languissaient en attendant l’adresse télévisuelle du « Prado » à l’occasion du 58e anniversaire de l’accession du pays à l’indépendance. Un suspense entretenu par un flou d’autant plus entier que lors d’une interview accordée à l’hebdomadaire « Jeune Afrique » en juin 2018, il n’avait pas totalement écarté l’idée de se représenter pour un 3e mandat.

 

Cette allocution sur les ondes de la RTI a lieu également dans un contexte politique marqué par une guerre larvée entre les alliés d’hier, le PDCI/RDA et le RDR, au sujet du RHDP uni. Si Alassane Ouattara a pu acter son projet de parti unifié en s’alliant notamment certains cadres du PDCI qui ne voulaient pas se délester de la soupe gouvernementale, il n’en reste pas moins que c’était contre l’avis du Sphinx de Daoukro, qui freinait des quatre fers. Il n’a toujours pas digéré cette OPA de son « frère » ADO et n’exclut pas, lui non plus, de reprendre, à 84 ans, du service en 2020 si le locataire de la résidence présidentielle de Cocody franchissait le Rubicon.

 

Le dernier acte de ce feuilleton, l’histoire d’une lente et douloureuse séparation, est sans conteste la révocation le 1er août dernier de Noël Akossi Bendjo, maire  PDCI du Plateau, riche quartier d’Abidjan, et opposant farouche au parti unifié.

 

Pour ne rien arranger à ce méli-mélo, un troisième larron pointe le bout de son nez : Guillaume Soro, qui y va à pas feutrés, poussé sans doute par ses fidèles qui estiment que pour l’ancien chef rebelle, ex-Premier ministre et président de l’Assemblée nationale, le moment est venu.

 

Plus que jamais donc le marigot politique au pays d’Houphouët-Boigny est trouble et ses eaux menaces de se déverser sur une population qui a déjà  payé au prix fort la crise postélectorale de 2011. Elle attendait donc qu’ADO parle pour savoir à quelle sauce, pour ne pas dire « garba », elle allait être mangée. Eh bien, ceux qui étaient accrochés à leur téléviseur n’auront pas été déçus.

 

Le chef de l’Etat a en effet fait de grandes annonces au premier rang desquelles figure l’amnistie qu’il accorde à 800 prisonniers condamnés pour des faits liés à la crise postélectorale ou pour attentat à la sûreté de l’Etat, sauf ceux s’étant rendus coupables de crimes de sang. 500 d’entre eux bénéficient déjà d’une liberté provisoire ou se trouvent en exil. S’y sont ajoutées certaines personnalités, et non des moindres, comme l’ancienne première dame Simone Gbagbo, Assoa Adou, Lida Kouassi et Souleymane Kamaraté, dit Soul to Soul, le directeur du protocole de Guillame Soro, écroué suite à l’affaire de la cache d’armes découverte dans la piscine de sa résidence à Bouaké.

 

On peut voir en cette ordonnance d’amnistie un geste en direction des partisans de Gbagbo mais aussi à l’endroit de Guillaume Soro dont on sait que ses relations avec le président, au-delà des formules de politesse circonstancielles, ne sont pas au beau fixe.

 

ADO a également affiché sa volonté de réformer la composition de la commission électorale pour la rendre plus hétéroclite.

 

Il y a donc à tout point dans son adresse à la Nation une perche tendue à l’opposition et même à certains de ses partenaires pour relancer la dynamique de la réconciliation qui, on le sait, a été le ventre mou de sa gouvernance depuis qu’il est aux affaires. Il met balle donc  à terre et il faut espérer que la classe politique ivoirienne saura saisir la main qu’il leur tend.

 

Si ce rendez-vous devant l’écran avec ses compatriotes a tenu ses promesses, beaucoup s’attendaient cependant à ce qu’il dise clairement s’il sera candidat ou pas à la prochaine présidentielle.

 

En réalité, il ne l’aura pas déclaré de façon explicite mais en filigrane, on peut dire qu’il ne sera pas sur la ligne de départ en 2020. Il a évoqué en effet « le renouvellement de générations » et a même adopté une posture papale en lançant : « N’ayons pas peur de passer le témoin ».

 

Lorsqu’on décrypte son message, sauf tremblement de terre, ADO a tout simplement dit hier qu’il ne se lancerait plus à la conquête de la magistrature suprême.

 

Mais les eaux de la lagune Ebrié sont tellement instables que beaucoup de choses peuvent encore se passer d’ici deux ans.

 

 

Hugues Richard Sama

Dernière modification lemardi, 07 août 2018 19:14

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