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Côte Ivoire : La réconciliation vaut bien une amnistie

 

Alassane Dramane Ouattara est-il en passe de devenir le Drogba de la politique ivoirienne ? On ne peut s’empêcher de se poser cette question après son adresse du 6 août 2018, veille du 58e anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, tant il a dribblé tous les acteurs et observateurs de la scène ivoirienne pour se positionner sur un terrain où on ne l’attendait pas vraiment. Puisqu’il avait pris rendez-vous avec ses compatriotes depuis le 11 juillet lors du premier Conseil des ministres du nouveau gouvernement, l’on s’attendait à ce que celui qui envisage de se présenter à la présidentielle de 2020 confirme ou infirme ses intentions.

 

 

Ce ne fut pas vraiment le cas. Sur ce sujet, il n’en a pas assez dit, mais quand même suffisamment pour qu’on puisse lire entre les lignes de son discours solennel son avenir politique. Certes 2020, c’est encore loin et Dieu seul sait ce qui peut se passer sur les bords de cette lagune Ebrié, particulièrement tourmentée voilà maintenant un quart de siècle, mais quand ADO parle de « renouvellement générationnel » ou lorsqu’il martèle, dans une posture papale, un « n’ayons pas peur de passer le témoin », peut-on comprendre autre chose si ce n’est une volonté de s’éclipser (lui et Bédié par la même occasion) après avoir laissé une Côte d’Ivoire réconciliée avec elle-même ?

 

D’où l’annonce, spectaculaire s’il en fut, d’amnistier quelque huit cents personnes poursuivies ou déjà condamnées dans le cadre des violences postélectorales de 2010-2011. Au premier rang des bénéficiaires de cette mesure de « clémence de la nation », Simone Ehivet Gbagbo, qui purge une peine de vingt ans pour atteinte à la sûreté de l’Etat, ainsi que d’autres caciques de l’ancien régime. Mais aussi un certain Kamaraté Souleymane, alias Soul to Soul, le chef du protocole de Guillaume Soro, détenu depuis octobre 2017 après la découverte, quatre mois plus tôt, d’une importante cache d’arme dans sa résidence de Bouaké, jadis foyer incandescent de la rébellion qui a propulsé tout ce beau monde au pouvoir.

 

D’une pierre donc, le chef de l’Etat ivoirien fait deux coups : en même temps qu’il pose à l’endroit des Gbagboistes  un acte fort dans le sens de la réconciliation qui a jusque-là été le point noir de son bilan, il signe un cessez-le-feu avec le clan Soro. On ne le sait que trop, nonobstant les sourires de circonstance et le renouvellement incessant de ses vœux de fidélité, le président de l’Assemblée nationale entretient depuis un temps certain des relations, disons, délicates avec celui qu’il a fait roi, au point qu’on a souvent pensé qu’il était derrière les mutineries à répétition qui ont secoué le pays en 2017. Et  que, au-delà de Soul to Soul, c’est lui qui est vraiment dans le viseur  dans ce combat jusque-là feutré pour la succession que se livrent les enfants d’ADO. Soro n’a-t-il du reste pas laissé entendre ces dernières semaines  qu’il  y pensait  en se rasant le matin ? De toutes les façons, le locataire du palais présidentiel  a rappelé lundi soir ce qu’il avait déjà promis : tous ceux qui ont des ambitions présidentielles pourront les manifester le moment venu.

 

C’est que même si les ADOlâtres de tout poil s’en sont toujours défendus, sept ans après la fin des hostilités, c’était de plus en plus gênant que, pour une guerre qui s’est faite forcément à deux, où donc les affreux étaient de part et d’autre de la ligne de front, ce soit seulement les vaincus qui soient traqués, traînés à la barre et embastillés. Pendant ce temps, les vainqueurs ont été propulsés aux premières loges de la République, et les petits sergents-chefs d’hier qui se payaient déjà sur la bête sont devenus des officiers supérieurs à coups de promotion TGV, roulant carrosse et à la tête de prospères affaires dans l’hôtellerie, l’immobilier, l’élevage, etc : ainsi des Zacharia Koné, Losséni Fofana, Wattao, Chérif Ousmane, Morou Ouattara, Martin Kouakou Fofié, Koné Messamba et tutti quanti dont certains ont été mis en examen pour des massacres présumés mais jamais vraiment inquiétés. On passe donc l’éponge sur tout et on n’en parle plus. C’était pour ADO peut-être le prix à payer pour ne pas être obligé un jour ou l’autre d’envoyer à l’échafaud ceux qui l’ont aidé à parvenir à ses fins.

 

Alors qu’il doit en principe plier bagage dans deux ans, Alassane Ouattara, qui s’était installé dans le fracas des armes, lesquelles ont fait officiellement 3000 morts, avant de faire ses cartons veut donc soigner sa sortie en laissant  la Maison Ivoire en meilleur état. De ce point de vue, quand bien même ce ne serait pas exempt d’arrière-pensées politiques,  c’est un joli coup qu’il vient de réussir, à condition que ceux qui ne veulent pas le voir, même en peinture, veuillent bien saisir la main qu’il leur tend.

 

Mais pour salutaire qu’elle soit, cette ordonnance d’amnistie, qui sacrifie la justice sur l’autel de la cohésion nationale, ne fait pas que des heureux. S’il y a en effet quelqu’un qui a du souci à se faire, c’est Pascal Affi Nguessan. Reconduit il y a seulement une dizaine de jours à la tête de la frange du  FPI  qui passe, aux yeux du FPI-canal historique d’Aboudramane Sangaré,  pour être trop accommodante vis-à-vis du pouvoir, il pourrait pâtir de la sortie de l’ex-première dame qui devrait humer de nouveau dès aujourd’hui même l’air frais et vivifiant de la liberté recouvrée.

 

On imagine en effet Simone, sauf si elle est totalement  dégoûtée de la politique pour en avoir soupé, vouloir reconstruire et prendre la direction du parti qu’elle avait bâti avec son mari, Laurent. Et si elle devait être la candidate d’un FPI réunifié, elle pourrait faire mal en 2020, surtout si, comme ses partisans sont enclins à le croire, son époux, qui est entre les griffes de la CPI depuis 2011 et dont les avocats ont été autorisés à plaider l’acquittement le 10 septembre prochain, devait, à son tour, recouvrer la liberté. Avec un RHDP qui peine à se constituer, un PDCI qui part en lambeaux, un Soro en embuscade et un FPI qui pourrait renaître de ses cendres, c’est dire si avec une telle scène en pleine recomposition et des cartes ainsi rebattues, à l’horizon 2020, plus que jamais  le « gnaga sera serré», comme on dirait du côté de Yopcity.

 

 

Ousseni Ilboudo

Dernière modification lemercredi, 08 août 2018 21:36

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