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Lieutenant Daouda Beyon II Koné : Le « cuistot » de l’ex-RSP cuisiné par le tribunal

Au deuxième jour de la reprise du procès du putsch manqué, après la pause de deux semaines, on a enregistré le passage à la barre du premier officier, le lieutenant Daouda Beyon II Koné, qui était chargé de l’ordinaire de l’ex-Régiment de la sécurité présidentielle (RSP).

 

 

 

« Je m’occupais de mes casseroles » ; ainsi pourrait-on résumer les tâches du lieutenant Daouda Beyon II Koné les deux premiers jours du coup d’Etat. En tant qu’officier de l’ordinaire de l’ex-RSP, c’était lui qui était chargé de l’alimentation de la troupe.

Au moment des faits, le jeune officier, aujourd’hui âgé de 31 ans, venait fraîchement de rentrer d’une mission et était en attente d’une nomination comme commandant de compagnie.

Le titulaire de la médaille commémorative de l’ONU avec agrafe Soudan, qui a plaidé non coupable pour l’ensemble des trois faits à lui reprochés (complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtres et coups et blessures volontaires), a indiqué avoir fait le sport le 16 septembre avec le reste du régiment, puis il a rejoint son pied-à-terre pour se débarbouiller avant de se rendre à son bureau.

« Je devais me rendre en ville pour rencontrer un fournisseur. Je n’ai même pas eu le temps de sortir de la caserne que mon supérieur m’a appelé au téléphone pour me demander de revenir. Quand je suis revenu, il m’a dit qu’il venait d’apprendre qu’il y avait des mouvements au Conseil des ministres».

D’après lui, le lieutenant Aliou Gislain Honoré Gorgo, qui ignorait à ce moment la nature des mouvements, lui a intimé l’ordre d’aller se mettre en tenue militaire. Ensemble les deux officiers ont fait mouvement vers le poste de commandement central. « Nous sommes allés trouver le chef de corps, les autres officiers ont commencé à venir. Après le général Gilbert Diendéré. Après s’être installé, il a porté à la connaissance des officiers que les autorités de la Transition étaient retenues au conseil des ministres ». Il dit que Golf a ensuite demandé à la haute hiérarchie du RSP de veillez au cantonnement des hommes et au retour de tous les moyens roulants se trouvant hors du camp. Midi approchant, l’officier d’ordinaire dit avoir quitté la réunion. Après son retour des cuisines, il dit avoir constaté que Diendéré n’était plus là et que les autres officiers avaient commencé à rejoindre leurs bureaux. « C’est tout ce que j’ai fait le 16 septembre », a-t-il conclu.

« Et le 17 ? », a voulu savoir le tribunal. « J’étais en caserne toujours en train de m’occuper de mes casseroles. La troupe était consignée. Il ne faut pas s’amuser avec le repas ».

Le 18 septembre, le « cuistot » va pourtant quitter sa cuisine pour une mission plus opérationnelle celle-là : il est chargé de sécuriser l’itinéraire des chefs d’Etat de la CEDEAO dépêchés pour tenter de résoudre la crise politique qui commençait à se nouer. C’est sur le chemin du retour qu’il a reçu un appel de son père qui habite seul à Pissy, l’informant qu’il était en danger : des manifestants encerclaient son domicile et menaçait de le lyncher. « Je suis allé à son domicile, il y avait un attroupement. On voulait le lyncher. J’ai réussi à l’exfiltrer et je l’ai amené au camp avec moi », a raconté le fils unique de sa famille, le seul, d’après lui, sur qui son père pouvait compter pour se tirer d’affaire. A l’entendre, ni lui ni les hommes qui l’accompagnaient n’ont fait usage d’armes à feu. « Je n’ai pas eu de contact avec les manifestants », a-t-il indiqué.

 

« C’était une crise comme les autres »

 

Après cette déposition, l’officier de l’ordinaire a été cuisiné par le parquet. Le ministère public a voulu savoir si le lieutenant savait à l’époque que les événements en cours étaient un coup d’Etat. « Non », a-t-il rétorqué d’autant plus qu’il a soutenu que le général Diendéré, lors de la réunion, a uniquement informé que les autorités de la Transition étaient retenues : « Il n’a pas dit qu’elles ont été arrêtées  et n’a pas non plus parlé de coup d’Etat».

« Trouvez-vous normal qu’on arrête le chef suprême des armées ? », a assené le procureur militaire. « Je ne savais pas qui et qui étaient retenus », a répondu l’accusé qui affirme aussi n’avoir pas aiguisé sa curiosité pour se renseigner sur l’identité des otages et de leurs ravisseurs.

Ce père de deux enfants dit avoir considéré les événements de septembre 2015 comme une crise à l’image des précédentes que le RSP a traversées, et il avait foi que cela allait finir par se régler comme d’habitude. La venue des chefs d’Etat de la CEDEAO et la présence de la haute hiérarchie militaire et policière à l’aéroport pour les accueillir ont achevé de le convaincre que ce n’était pas un putsch. Ce n’est que le 20 en se rendant sur les réseaux sociaux qu’il a vu une publication de Basic Soul, un membre du Balai citoyen, qui disait : « Ce coup d’Etat ne passera pas ». « Mais ce n’est pas tout ce qui se dit sur les réseaux sociaux qui est la vérité », a-t-il tempéré. Face aux questions incessantes du procureur, il a assuré  n’avoir pas non plus entendu la déclaration de prise du pouvoir à la télé.

Revenant sur l’expédition au domicile familial, Alioun Zanré a soutenu que le récit de l’accusé ne colle pas avec les faits : « Nous sommes convaincus qu’il y a eu des tirs et des débandades avant que vous ne puissiez accéder à votre père ». Mais le lieutenant Koné est resté droit dans ses bottes, précisant que son paternel avait réussi à escalader son mur haut de 3 m pour se retrouver dans la cour de son voisin. C’est là qu’il est allé le chercher, en toute discrétion.

Le parquet a questionné également le chef de la section d’infanterie sur le fait qu’après l’échec du coup, il ne se soit pas rendu comme le demandait un communiqué de l’état-major avant qu’on l’interpelle le 28 septembre au centre-ville. « Je ne comprends pas la question, se rendre où ? On était cantonné, je n’ai pas entendu le communiqué.» « Même vos soldats qui ont besoin d’interprète l’ont entendu », lui a lancé l’accusation.

 

« Je ne peux pas répondre à cette question »

 

A l’issue de l’interrogatoire du lieutenant Daouda Beyon II Koné, le samedi 18 août 2018, Seidou Ouédraogo, le président du tribunal, a convoqué à la barre le soldat de première classe Lawapan Placide Sow, à qui il est reproché des faits de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires et dégradation volontaire aggravée de biens. Dans sa déposition, le natif de Toma a signifié qu’il venait de descendre de la garde le 16 septembre 2015, ce qui lui a permis de rentrer chez lui. Mais aux environs de 16h, il a précisé avoir reçu un appel téléphonique d’un ami, un chauffeur qui assurait les déplacements d’un des ministres de la Transition. «Il m’a dit qu’ils étaient allés manger et qu’au retour la porte de la présidence était fermée. Il a ajouté qu’il se passait des choses au Conseil des ministres », a relaté le soldat de 31 ans. Quelques instants plus tard, le téléphone de Lawapan Placide Sow sonnera une seconde fois et cette fois-ci à l’autre bout du fil, le sergent-chef Roger Koussoubé. «Il a demandé ma position et m’a dit que c’est chaud au camp. J’y suis allé alors qu’un rassemblement venait de se terminer et après renseignement, j’ai appris que le quartier avait été consigné », a raconté le spécialiste en arme lourde. Avant d’indiquer dans la foulée que, dans la nuit du 16 septembre, il est allé causer avec son grand frère, Léonce Sow, dans un poste de garde, de 20h à 6h du matin. Selon ses déclarations, le quartier étant consigné, «chacun devait tirer un angle mort pour se reposer », en attendant les instructions de ses supérieurs hiérarchiques. Il a reconnu n’avoir pas reçu d’ordre mais a préféré aller causer bien qu’il avait sur lui son arme de service (AK 47).

« Soldat Sow, ce que vous refusez de dire au tribunal, c’est que vous êtes allé renforcer un poste», a rétorqué le substitut du procureur militaire, Sidi Bekaye Sawadogo, pour qui l’accusé a, d’une manière ou d’une autre, prêté main-forte aux militaires qui gardaient le poste « Alaska », c’est-à-dire le palais où étaient détenues les autorités de la Transition. «C’est aujourd’hui que j’entends parler de ça, je ne monte pas au palais, je ne suis pas allé là-bas pour une mission», a répliqué l’inculpé. «A supposer que ça commençât à tirer entre-temps, alliez-vous porter secours à votre grand frère ou alliez-vous détaler ?» a ajouté le substitut. « Monsieur le Procureur, je ne peux pas répondre à cette question », a répondu le soldat qui  a plaidé non coupable sur toute la ligne.

«J’ai parcouru le P.-V., tous les éléments qui ont été retenus contre mon client tiennent sur une page et demie et c’est fait de questions-réponses. J’ai compulsé tout le dossier, mais je n’y ai pas vu d’éléments à caractère infractionnel en rapport avec les faits reprochés au soldat Lawapan Placide Sow». C’est en ces termes qu’est intervenu Me Orokia Ouattara, l’avocate du mis en cause qui, plus tard, chargera le parquet de n’avoir pas trouvé d’actes précis qui accablent irréfutablement son client en deux ans d’instruction. «Un parquet sérieux ne fait pas ça, on nous prête des choses et on ne nous dit pas ce pourquoi nous sommes là…», a-t-elle martelé avant d’être interrompue par le président de la chambre, Seidou Ouédraogo : «Me Orokia, nous allons vous inviter à la modération dans vos propos». «Je m’en excuse, je retire mes propos, Monsieur le Président», a-t-elle fait savoir tout en soutenant l’absence de faits constitutifs de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, de meurtres, de coups et blessures volontaires et de dégradation volontaire aggravée de biens.

La suite de l’audition du soldat de première classe Lawapan Placide Sow est prévue pour ce lundi 20 août.

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

Hugues Richard Sama

 

 

Encadré 1

« Ephraïm me devait 2 millions »

 

D’après la messagerie de l’accusé compulsée par les enquêteurs, il a envoyé au temps fort de la crise un texto à un ami, un certain Ephraïm, lui demandant de faire cette publication sur Facebook : «4 véhicules 4x4 transportant des éléments du RSP en direction de Bobo». A en croire le chef de la cuisine, il devait ravitailler le détachement du RSP à la poudrière de Yimdi. Craignant de rencontrer des soldats loyalistes qui marchaient sur la capitale, il  a demandé ce service de « façon instinctive » à son ami. Finalement la publication ne sera jamais faite parce que, d’une part, la mission sera annulée et d’autre part parce que son ami a  bonnement refusé de lui servir d’ « éditeur ». « Il m’a dit en substance que j’étais son ami certes, mais qu’il craignait pour sa vie. Je n’ai pas trouvé à redire, c’est normal qu’il ait peur », a relaté le lieutenant Daouda Koné.

Mais selon le parquet, il se serait pourtant emporté après cette fin de non-recevoir de son ami. « Tu me connais pas, moi je te connais. Ne dit-on pas que c’est dans les moments difficiles qu’on reconnaît les vrais amis ? Bonne chance à nous tous », aurait en substance répondu le militaire d’après le parquet. Mais l’officier a rétorqué que ce message avait été sorti de son contexte. Il a expliqué en effet que le fameux Ephraïm lui avait emprunté 2 millions de francs CFA pour faire du commerce. Et lorsque les choses ont commencé à se gâter  au RSP, il avait souhaité qu’il lui rembourse son argent. Chose que l’emprunteur a refusée, indiquant n’avoir pas les fonds pour le moment. C’est alors que son ami lui aurait envoyé le texto que venait de lire le parquet. « Ce n’était pas une menace », a-t-il soutenu.

 

H.R.S.

 

 

Encadré 2

« Ils voulaient qu’on tue le général Diendéré »

 

L’analyse de la messagerie a aussi révélé que le lieutenant a reçu beaucoup de SMS parfois codés au temps fort des événements.  Interrogé sur leur nature, le militaire a indiqué qu’il recevait beaucoup de messages de ce genre et qu’il ne les lisait pas. Il ne connaît même pas les expéditeurs, a-t-il soutenu. Allant plus loin, il a révélé que des éléments de l’armée loyalistes essayaient avant l’assaut sur le camp Naaba Koom II de les convaincre par des appels ou des messages d’assassiner le chef présumé du coup d’Etat. « Ils nous disaient que si nous, les jeunes, on était malin de désigner quelqu’un pour tuer le général Diendéré, et ensuite de nous enfuir. Que si on s’entête, on va nous envoyer des patates (roquettes) ».

 

H.R.S.

Dernière modification lemardi, 21 août 2018 20:38

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