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7e sommet sino-africain : A quand notre « grand bond en avant »?

54 princes africains réunis autour de l’empereur  Xi. Ce sera sans contexte l’image qu’on retiendra du Forum de coopération sino-africain (FCSA) qui s’ouvre aujourd’hui pour deux jours dans la capitale chinoise.

La première édition de cette grand-messe diplomatique trisannuelle  avait eu lieu  à Pékin en 2000. Chaque fois, ces retrouvailles entre le Dragon asiatique et les Lions, Eléphants, Panthères et Etalons africains offre une occasion unique aux deux parties de parler affaires et  de discuter  du raffermissement de  leur relation, devenue singulière au fil des années : la Chine a en effet damé le pion à l’Europe et aux Etats-Unis, dont l’Afrique était autrefois la chasse gardée,  pour se hisser confortablement depuis 2008 au rang de premier partenaire commercial du continent noir. Avec un volume des échanges commerciaux  estimé fin 2017  à 170 milliards de dollars américains et des prévisions d'investissements à hauteur de 76,5 milliards de dollars en 2018, personne ne fait mieux que Beijing en Afrique. Et rien ne semble pouvoir  faire obstacle à « la longue marche » de l’Empire du milieu sur les terres africaines ;  d’un bout à l’autre du continent noir, la présence chinoise est palpable dans tous les secteurs: infrastructures, télécommunications, agriculture, santé, commerce, etc.

Mais si le pays de Mao s’intéresse autant à l’Afrique, c’est surtout pour les nombreuses matières premières dont regorge son sous-sol : fer, bauxite, zinc, uranium, etc., sont convoités par  la Chine pour faire tourner ses gigantesques manufactures et conforter sa place d’usine du monde. L’autre grande ambition à peine voilée de Pékin, c’est de ravir aux Etats-Unis la place de première puissance économique mondiale. Pour atteindre cet objectif, qui semble à portée de main d’un pays-continent quasiment innarêtable, elle a besoin de l’Afrique,  à travers  notamment ce projet tentaculaire, la « route de la soie », modestement appelé « la Ceinture et la Route »,  qui vise à élargir la sphère d’influence de Pékin par un réseau immense d’infrastructures  reliant au moins trois continents.

Quant à l’Afrique, toujours en train de tendre la sébile 60 ans après les indépendances, à l’heure où les budgets alloués à l’aide au développement de ses donateurs historiques  ont été sérieusement rabotés, elle trouve en Pékin un allié indispensable qui injecte sans compter sur le continent des milliards de Yuans que ce soit  en investissements, en prêts ou en dons. A tel enseigne qu’on se demande si certains pays ne sont pas devenus aujourd’hui sinodépendants.

Dans sa relation avec le Berceau de l’humanité, le céleste Empire peut se prévaloir d’un avantage de taille : il ne fourre pas son nez dans les affaires africaines. Pendant que les bailleurs occidentaux, dont l’indignation est du reste sélective,  conditionnent bien souvent leurs financements aux impératifs démocratiques, aux questions des droits de l’homme, voire aux intérêts LGBT là où ils sont bafoués, se comportant parfois en « petits pères » du peuple africain,  le grand rival chinois, lui, ne s’embarrasse pas de ces  "détails". On ne lui connaît pas non plus d’attitude paternaliste. Pékin semble mû par une seule philosophie : faire des affaires. Business only business. Ce fonds de commerce, dénué parfois de tout scrupule, lui vaut des critiques acides des droit-de-l’hommistes  de tout poil qui dénoncent les accointances de l’Empire rouge avec des régimes peu recommandables, au Zimbabwe, en Angola, au Congo Brazzaville, en RDC, en Ouganda, et nous en oublions.  Il est vrai que n’étant pas elle-même un pays démocratique respectant scrupuleusement les droits de ses propres citoyens, la Chine est très mal placée pour faire la leçon aux « démocratures » africaines.

Mais on aurait tort de penser que les Occidentaux, eux, lorsqu’ ils délient les cordons de la bourse, d’ailleurs de plus en plus rétrécie, c’est par charité chrétienne ou par pur humanisme : en réalité, les donneurs de leçons n’ont pas le monopole de la vertu. Bien souvent, au nom de ces mêmes intérêts économiques et géostratégiques qui obnubilent les Chinois,  ils franchissent, eux aussi, leur propre ligne rouge en pactisant avec des pouvoirs dont la démocratie n’est pas particulièrement connue pour être la tasse de thé comme au Congo Brazzaville, au  Tchad  ou en Guinée équatoriale.

Si on peut absoudre Pékin du péché de realpolitik, il y a  un autre grief formulé à son endroit qui paraît moins expiable aux yeux de certains Africains : le peu de place accordé aux compétences locales par les entreprises chinoises évoluant sur le continent. Tout le personnel, du cadre  au  manœuvre, est bien souvent chinois ; ce qui laisse peu de place au nécessaire transfert de compétence et de technologie qui garantirait une relation mutuellement bénéfique. La coopération sino-africaine gagnerait donc à être repensée sur ce point précis. Nul doute que le sommet actuel, qui se tient sous le thème : «La Chine et l’Afrique : construire ensemble une communauté de destin encore plus solide par la coopération gagnant/gagnant», devrait être le cadre propice à la  réécriture d’une copie plus vertueuse de la relation entre les deux parties.

Parmi ceux qui participent pour la première fois à cette rencontre, il y a le Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, dont le pays est retombé dans les bras de Pékin après avoir  annoncé le 24 mai dernier la rupture de ses relations diplomatiques avec Taïwan. « Cette décision est guidée par la ferme volonté du gouvernement de défendre les intérêts du Burkina Faso et de son peuple dans le concert des nations et de nouer le meilleur partenariat afin de consolider le développement socio-économique de notre pays et de faciliter les projets régionaux et sous-régionaux », avait expliqué en son temps le ministre des Affaires étrangères, Alpha Barry. Tout est dit ou presque. Il est vrai qu’au moment où même les grandes puissances courtisent la Chine, on se rappelle notamment l’opération de charme de Macron en janvier 2018- le pays ne pouvait pas se payer le luxe de demeurer avec  Taipei qui, comme aiment bien  à le rappeler les concitoyens de Xi Jinping, n’est qu’une province de la Chine et n’a pas le poids économique et financier de son grand frère. D’ailleurs, depuis que le Pays des hommes intègres a congédié sans ménagement « l’Ile merveilleuse » après 24 ans de fréquentation, le Salvador a lui aussi  rompu avec Taipei et largué les amarres dans les eaux du fleuve Bleu dont il est de plus en plus difficile de résister aux sirènes. De fait, il ne reste plus que 17 pays dans le monde, des « micro-Etats » pour la plupart, dont un seul en Afrique, le Swaziland,  qui continuent de fricoter avec l’ex île de Formose. Jusqu’à quand, quand on sait la force de persuasion de la Chine, chéquier en main ?

Alors que le Burkina avait justement besoin d’argent frais pour financer son  ambitieux Plan national de développement économique et social (PNDES), tout semblait concourir à un divorce  de raison d’avec le petit Etat insulaire,  surtout que la Chine du fait de cette idylle, rechignait à financer de grands projets sous-régionaux, notamment dans  le domaine des routes, du rail et de la sécurité.

Arrivé le 30 août à Beijing avec une forte délégation dont huit ministres, le Président du Faso n’a pas tardé en tout cas à endosser sa tunique de VRP de luxe. Avec succès. Le Burkina a signé avec son nouvel ami plusieurs accords dont un don  de plus de 98 milliards de francs CFA. Une partie  de ce pactole servira  à la construction du grand hôpital de Bobo-Dioulasso et à la rénovation de celui de Koudougou. En outre,  la China Harbour Engineering Company s’est engagée à construire l’autoroute qui va relier Ouagadougou à la capitale économique. Coût du projet ? 700 milliards de francs CFA. Et ce n’est qu’un début.

La dot est donc pour le moins consistante. Mais il ne faudrait pas tomber dans la facilité, voire la passivité, et voir  uniquement en Pékin le chéquier.  « Apprendre à quelqu’un à pêcher est mieux que de lui offrir du poisson chaque jour »,  enseigne une sagesse chinoise. Une autre bien de chez nous, ne dit pas autre chose : « Quand on te lave le dos, il faut savoir te rincer le visage ». Nous devons donc savoir tirer profit de l’expérience de la grande Chine qui, en l’espace d’un  quart de siècle, est passée d’un pays en voie développement  à une grande puissance,   crainte et respectée, tout en tirant des centaines de millions de personnes des affres de la pauvreté, voire de la misère.

Après avoir passé plus d’un demi-siècle à trotter,  nous devons nous inspirer de l’exemple chinois pour faire enfin notre  « grand bond en avant ». Car  même s’il est vrai qu’il n’existe pas de modèle de développement prêt-à-porter, la Chine et l’Afrique ont de nombreux points communs et gagneraient à apprendre l’une de l’autre sur les plans culturel et économique.

 

La Rédaction

Dernière modification lemardi, 04 septembre 2018 01:30

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