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Education inclusive à Nouna : Jonas, l’aveugle qui «voit clair»

 

Au lycée provincial de Nouna, les cours au titre de l’année scolaire 2018-2019 ont véritablement commencé le lundi 8 octobre. Une rentrée scolaire pas comme les autres, car pour la première fois, cet établissement accueille en classe de 6e des non-voyants. Des dispositions ont été prises pour que Jonas Koné et Biéta Dao, des handicapés visuels, soient au même niveau d’apprentissage que leurs camarades. Zoom sur le premier cité, un élève aux performances exceptionnelles malgré sa déficience visuelle et dont la perception du handicap va au-delà du sens commun.

 

 

 

 

Mardi 22 mai 2018, 9h 30 : c’est le calme dans la cour de l’école du secteur 1 de Nouna. Nous y sommes accueillis par Anastasie Dembélé, la maîtresse de la classe de CM2. Dans la salle, les élèves sont en plein examen blanc. Mais très vite, tous les yeux se rivent sur notre appareil photo. Pourtant, celui qui fait l’objet de notre visite ce matin ne nous verra pas. Jonas Koné est le seul non-voyant, «l’intrus» pour ainsi dire, de la classe.

 

Dépourvu de vue, Jonas est en revanche doté de capacités cognitives remarquables : niveau de langue assez bon, lecture en braille impeccable. Lorsqu’il lit, toutes les virgules et les autres signes de ponctuation sont respectés. Que c’est extraordinaire ! «J’ai reçu Jonas en classe de CE1. Depuis, il n’a rencontré aucune difficulté d’apprentissage. Il s’est bien intégré. Ses camarades sont sensibles à sa situation et le soutiennent. La difficulté de mon travail, c’est de traduire les exercices et les devoirs en braille pour lui alors que je n’ai reçu que 12 jours de formation en la matière», a déclaré Mme Dembélé, la maîtresse de Jonas.

 

«Il est évalué comme les autres et est le meilleur de la classe ; toujours 1er avec une moyenne au-dessus de 8/10. Je l’encourage à continuer ainsi et je demande surtout du soutien pour lui afin qu’il puisse poursuivre ses études, car ses parents sont indigents», a-t-elle ajouté tout en nous présentant les notes de l’élève aux premières épreuves de l’examen blanc en cours. Histoire : 20/20, Sciences : 20/20, Opérations : 20/20. Cet exercice le prépare à l’examen du CEP qui aura lieu dans un mois et ce candidat pas comme les autres fera encore parler de lui.

 

 

 

Le Jour J

 

Au petit matin du mardi 19 juin 2018, des milliers d’élèves du CM2 investissent les différents centres d’examen de Nouna pour se soumettre aux épreuves du CEP. Au centre de tous nos intérêts, un seul candidat. A 6h 30, Jonas Koné, numéro P-V 17750, est en salle à l’école cathédrale aux côtés de Dao Biéta, une autre candidate non voyante. A la question de savoir pourquoi ces candidats spécifiques composent isolés alors qu’ils ont évolué dans les mêmes classes que les autres, Onésime Dakuyo, chef de la Circonscription d’éducation de base (CEB) de Nouna 3, explique que c’est à cause du dispositif, tous les surveillants n’étant pas habilités à les surveiller. A l’issue de la première journée de composition, l’ensemble des candidats affiche un air confiant. Les résultats sont attendus dans 11 jours.

 

 

 

L’inconsolable Awa

 

 

 

Samedi 30 juin, les candidats de la CEB de Nouna 3 sont convoqués à l’école centre B, où chacun sera situé sur son sort. Après une heure d’attente, le chef de ladite CEB, Onésime Dakuyo,  nous annonce un taux de succès de 60,05 %  pour 438 candidats présentés. Un résultat en recul par rapport à l’année précédente mais satisfaisant, selon lui, au regard du contexte dans lequel l’année scolaire s’est déroulée. «Notre plus grande satisfaction est que pour la première fois dans la province, nous avons présenté des candidats non voyants et que c’est l’un d’eux, en l’occurrence Koné Jonas, qui a été premier de la CEB avec 131 points sur 150, soit une moyenne de 8,73/10. Pour quelqu’un qui est aveugle et a composé en braille, nous lui tirons notre chapeau», s’est réjoui M. Dakuyo.

 

Rires et pleurs se mêlent à l’issue de la délibération.  Awa digère mal son échec. Elle peine à tenir sur ses jambes. Elle éclate en sanglots et ses cris vont au-delà des murs de l’école. Nos quelques pièces de monnaie ne réussiront pas à consoler cette candidate malheureuse. Nous décidons de la conduire chez elle. En chemin, l’adolescente de 13 ans se confie : « Si mon père apprend que l’aveugle a eu le CEP et que moi j’ai échoué, il va me frapper.» Nous la rassurons. En effet, la nouvelle a très vite fait le tour de la ville et des parents auraient menacé de crever les yeux de leurs enfants qui n’ont pas réussi à cet examen. Un non-voyant 1er de la CEB de Nouna 3 ! Le sujet a alimenté presque toutes les conversations. La désormais star a même fait l’objet d’émissions radiophoniques.

 

Loin de tout ce brouhaha, l’étoile avait déjà rejoint Kemena, son village, avant même la proclamation des résultats. C’est dans ce bled que Jonas a vu le jour en 2002. Quatre ans après, il est frappé de cécité. Alors que tout espoir d’aller à l’école était perdu pour le père et son fils, le petit aveugle est repéré par un moniteur de l’UN ABPAM lors d’une campagne de sensibilisation à l’éducation inclusive. Il est alors inscrit à l’école cathédrale de Nouna.

 

«Il est d’abord passé par la classe d’observation ou on crée dans les doigts des enfants la sensibilité. Un exercice qui consiste à faire un mélange de maïs, de cailloux et de pois de terre et l’élève fait le tri. Après cette étape, il est passé au CP1, au CP2, puis au CE1 avant d’intégrer les classes classiques où il a suivi les cours exactement comme les autres enfants. Jusque-là, certains ne croient pas qu’un aveugle puisse lire et écrire», raconte l’abbé Jonas Dembélé, directeur diocésain de l’Enseignement catholique à Nouna. Pour lui, le brillant parcours de son homonyme pourra servir d’exemple afin d’«ouvrir les yeux » aux enfants vivant avec un handicap, particulièrement ceux ayant une déficience visuelle, et les motiver à aller à l’école.

 

 

 

Le handicap selon « saint Jonas »

 

 

 

Lors de notre visite le 22 mai à l’école secteur 1, nous avons aperçu avec grand étonnement notre handicapé visuel, dans la cour de récréation, jouant au milieu de ses camarades, taquinant même les filles. Difficile d’imaginer qu’il ne voit absolument pas. «Jonas ne sent même pas son handicap. Parfois, il veut faire le sport avec ses camarades. Le CEP, c’est un acquis et je suis sûr qu’il aura l’entrée en 6e. Est-ce que les professeurs du lycée ont été formés pour l’encadrer comme il se doit ?»  s’interroge Gaston Lossani Dakuyo, directeur de l’école secteur 1. Son inquiétude est vite levée car le 8 octobre au lycée provincial de Nouna, nous avons retrouvé Jonas Koné et Biéta Dao en classe de 6e I sous les regards curieux et ahuris de leurs camarades voyants.

 

Casimir Bonané, attaché d’éducation au lycée provincial de Nouna, rassure : «On s’attendait à recevoir des tables bancs qui leur sont adaptés, mais ça n’a pas été le cas. Ils sont donc installés comme les autres et puisqu’ils ont déjà eu certaines notions à l’école primaire, c’est le même principe qui continue ici. Certains professeurs ont été formés dans ce sens et je pense qu’il n’y aura pas de difficultés ; ils pourront suivre au même rythme que les autres élèves.

 

Malgré les railleries et autres moqueries, Jonas n’est aucunement complexé par son état. Fervent croyant, portant toujours un crucifix au cou, il considère son handicap comme étant l’œuvre du Seigneur. Pour lui, tout le monde est handicapé et seul Dieu est capable d’avoir tout, de voir partout et d’aller où il veut, quand et comme il veut.

 

 

 

Que sera demain ?

 

 

 

Emmanuel, un oncle de Jonas, témoigne que son neveu est un enfant courageux, qui a du cœur et est orgueilleux. « Il refuse même parfois qu’on le guide, préférant tout faire sans aide.  Il n’utilise pas de canne. Il est même tombé une fois dans un puits en allant seul à l’école. Heureusement, il s’en est sorti avec quelques égratignures. L’école est perçue par Jonas comme une chance ; un moyen pour lui de défier sa déficience visuelle à travers ses résultats scolaires.

 

«Certains me demandent à quoi serviront mes études ou quelle fonction je pourrai exercer. En guise de réponse, je leur dis que le fait de perdre la vue ne peut pas constituer une barrière à ma réussite». Mais ceux qui se posent ces questions ont-ils vraiment tort ? Non ; parce qu’à Jonas, la seule question que nous avons posée et qui est restée sans réponse est celle-ci : Quel est ton métier de rêve ? En effet, au Burkina les chances des handicapés visuels d’accéder à un emploi sont très réduites. Jusque-là, les concours directs lancés par la fonction publique ne sont pas accessibles aux déficients visuels. Des dispositions n’ont pas été prises pour traduire les épreuves de ces concours en braille.

 

«L’Etat a pris au sérieux la question de l’éducation inclusive. Reste maintenant à travailler à l’insertion professionnelle de toutes ces personnes qui, malgré leur déficience, ont pu étudier. Faire en sorte qu’elles aient leur place dans la société puisque personne n’est inutile. Cela encouragerait certains parents à inscrire à l’école leurs enfants handicapés au lieu de les cacher», souhaite l’abbé Jonas Dembélé, directeur de l’Enseignement catholique du diocèse de Nouna.

 

 

Boureima Badini

Dernière modification ledimanche, 11 novembre 2018 19:17

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