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Lutte contre le Sida : « Les jeunes écoutent de moins en moins les conseils » (Dr Didier Bakouan, SP/CNLS-IST)

Le 1er décembre a été célébrée la Journée mondiale du Sida. Au Burkina Faso, les activités de célébration, débutées quelques jours avant, s’étalent sur tout le mois de décembre. Dans ce cadre, Carnet de santé a rencontré pour vous le Dr Didier Romuald Bakouan, médecin de santé publique, secrétaire permanent du Conseil national de lutte contre le Sida et les infections sexuellement transmissibles (SP/CNLS-IST). Dans cet entretien, réalisé le mardi 4 décembre 2018, il fait l’état des lieux de la lutte contre le sida dont le taux de prévalence, à la baisse, est de 0,8%. Cependant, il invite les populations, surtout la frange jeune, à redoubler de vigilance dans la protection et à faire le test de dépistage. 

 

Quelle est la situation de la lutte contre le VIH Sida en 2017 au Burkina ?

 

En 2017, l’ONUSIDA et le Burkina avaient mis ensemble leurs informations pour conclure que la prévalence était de 0,8%.  Avec une telle prévalence, on estime à 94 000 le nombre de personnes qui vivent avec le VIH au Burkina. Parmi ces personnes il y a 9 400 enfants de moins de 15 ans.  Ce qui est quand même assez inquiétant.

Mais quand on entre dans les détails, nous avons 6 régions administratives qui ont des prévalences supérieures à la moyenne nationale,  et nous avons des groupes de populations qui, de par leur comportement ou leur profession, ont des prévalences aussi au-dessus de la moyenne nationale.

 

Qu’est-ce qui explique le nombre élevé de cas chez les moins de 15 ans ?

 

Ces enfants sont infectés le plus souvent à leur naissance du fait de la transmission mère-enfant. Et comme nous n’avons pas un bon suivi des enfants qui naissent, ils peuvent grandir sans connaître leur statut. Cependant beaucoup d’entre eux sont sous traitement, mais le virus reste à vie. C’est pourquoi le nombre est élevé. Nous avons entamé un programme qui est celui de l’élimination de la contamination de la mère à l’enfant parce qu’au vu des chiffres que nous avons, nous estimons que ce n’est pas normal qu’un enfant soit infecté du fait de naître d’une mère séropositive. Dans ce programme donc, nous invitons toutes les femmes enceintes à découvrir leur statut sérologique le plus tôt possible. Elles seront alors mises sous traitement, réduisant ainsi le risque de transmettre le virus à l’enfant. A la naissance de l’enfant également, nous invitons toutes les mères à accepter qu’on fasse le test de dépistage à leur enfant pour faire la part entre ceux qui sont nés infectés et ceux qui sont nés non infectés. Ceux qui sont non infectés, nous les suivons toujours pour qu’au cours de l’allaitement, la mère ne transmette pas le virus à l’enfant, et ceux qui sont positifs nous les mettons immédiatement sous traitement. Par ailleurs, nous souhaitons que les partenaires des femmes les accompagnent dans ce cheminement, qui est long, difficile et stressant.

 

Comment le Burkina célèbre la Journée mondiale du Sida cette année ?

 

Le 1er décembre, on s’arrête pour voir ce qu’on a fait, pour nous pencher sur les impacts négatifs du VIH Sida et pour prévoir l’avenir. Officiellement la journée est célébrée dans la région du Sahel, dans la ville de Gorom-Gorom.

En marge des activités menées dans cette région sanitaire, nous avons invité toutes les autres régions à faire des manifestations qui peuvent s’étaler sur tout le mois de décembre.

A Ouaga, nous avons organisé une conférence de haut niveau pour réfléchir sur les JMS, à savoir comment nous les célébrons, comment nous devons continuer à les célébrer dans les années à venir, avec en vue qu’en 2030 nous considérions le VIH comme un problème qui n’est plus de santé publique au Burkina. A toutes ces activités s’ajoute une semaine de solidarité débutée le 29 novembre au profit des orphelins et autres enfants vulnérables.

Nous menons en plus une campagne multimédia dans l’ensemble de la région pour rappeler aux uns et aux autres que le sida existe et qu’il faut connaître son statut sérologique et entrer dans le système de prise en charge s’il le faut. Les traitements existent et sont gratuits. Le Sida, bien traiter, on vit bien.

 

Il y a aussi les infections au sein des populations-clés qui persistent. Qu’est-ce qui explique cela ?

 

Cela s‘explique par 3 raisons : la première, c’est le comportement. En effet, quand on prend les travailleuses du sexe, dans l’exercice de leur profession, elles doivent se protéger, ce qui n’est pas toujours évident puisque les bénéficiaires de leurs services ne veulent pas adhérer à la prévention ; il y a aussi les orpailleurs qui, du fait qu’ils travaillent dans des conditions très difficiles, se basent sur certaines croyances culturelles pour utiliser les services des travailleuses du sexe sans protection. Et comme généralement après la fin des travaux de la mine, ils retrouvent leur famille, ils poursuivent l’infection.

Il y a en plus les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes et qui sont, par définition, dans le multipartenariat. Dans ce cas, quand on n’utilise pas le préservatif ou un lubrifiant, le risque d’infection augmente.

Nous avons enfin les utilisateurs de drogue qui peuvent avoir l’infection directement en se piquant avec des seringues mais aussi par la stimulation liée à la prise de drogue par voie orale. Ils perdent leur capacité de contrôle et n’ont plus le réflexe nécessaire de la prévention.

 

Il y a aussi une nouvelle forme d’infection, en l’occurrence celle au sein du couple…

 

Oui en effet. Nous avons fait une étude sur les modes de transmission et nous nous sommes rendu compte que les couples dits stables contribuent pour près de 44% aux infections. Comment cela s’explique ? On ne peut pas le dire, mais avec quelques pistes d’investigation on se rend compte que c’est l’infidélité et dans ce processus d’infidélité, il y a la non-utilisation du préservatif. On se dit stable, personne ne s’inquiète et on oublie de se protéger.

C’est pour cela que nous disons que les  trois voies de prévention, à savoir l’abstinence, la fidélité et l’utilisation du préservatif, doivent toujours être combinées. Et si chacune de ces méthodes et la combinaison de ces méthodes échouent, il faut faire le test. Si vous êtes infecté, mettez-vous sous traitement. Les médicaments existent, et au bout d’un an vous êtes indétectable même si le virus reste dans le sang. Mais vous réduisez la probabilité de contaminer d’autres personnes.

 

On parle aussi d’une recrudescence des cas dans les années à venir.

 

Non, le nombre d’infections ne peut pas augmenter si les gens continuent à suivre les conseils. Les objectifs 3-90, c’est pour 2020. En 2025, nous pensons accroître ces objectifs à 95% et en 2030, on estime qu’il y aura 0 nouvelle infection, donc 0 décès lié au Sida. Et cela ne saurait se faire s’il n’y a aucune discrimination, aucune stigmatisation. Nous ne pensons donc pas que les nouvelles infections vont augmenter, par contre ce que nous savons, c’est que les populations n’adhèrent pas totalement à tout ce que nous faisons. Nous remarquons que les nouvelles infections ne diminuent pas au sein de la population jeune comme elle diminue dans la population adulte. Nous sommes convaincus que la population jeune écoute et applique de moins en moins les conseils que nous donnons. C’est-à-dire que nous aussi en tant que structure de lutte, on doit redoubler les efforts dans la sensibilisation et lancer un appel pour que les jeunes soient de plus en plus vigilants. De grâce, il faut se protéger, car le virus du Sida existe, il peut infecter tout le monde.

 

 

Y a-t-il encore les financements nécessaires pour ce travail ?

 

A vrai dire, les financements ne suivent pas. Il y a une vingtaine d’années, les programmes de lutte contre le Sida avaient une multitude de partenaires financiers. Les financements extérieurs représentaient près de 80%, voire 85%. A l’heure actuelle, la tendance est inversée. En ce qui concerne le Burkina, c’est l’Etat et les communautés qui sont les principales structures qui financent la lutte. Notre partenaire le plus fiable, c’est le Fonds mondial, qui nous accompagne jusqu’à présent. Tous les autres sont partis.

 

Pourquoi ?

 

C’est peut-être lié à la nouvelle orientation de l’appui que les partenaires donnent aux pays. Dans la lutte contre le Sida, il y a le Fonds mondial de lutte contre la tuberculose, le Sida et le VIH. Le maximum de partenaires financent ce fonds, et c’est avec ces ressources que les pays sont financés. Les uns et les autres prétendent qu’en finançant ce fonds, ils financent la lutte contre le Sida.

En outre, beaucoup de partenaires estiment qu’il vaut mieux faire un appui budgétaire. Il y a  aussi le succès des programmes qui fait penser aux partenaires qu’ils n’ont plus besoin de financer la lutte.

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