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Destruction d’habitats spontanés à Bobo: « Des gens ont investi des dizaines de millions sur des parcelles dont ils ne sont pas attributaires » (Hermann Sirima, maire de l’Arrondissement n°7)

Le réveil a été tout simplement douloureux pour les habitants de la zone non lotie du secteur 29 (Belleville) de Bobo. Sur injonction du maire de l’arrondissement n°7, Hermann Sirima, des bulldozers sont entrés en action le lundi 3 décembre 2018 aux premières heures de la matinée. Plusieurs habitats construits au mépris des règles les plus élémentaires en matière d’urbanisation ont été tout simplement démolis. Une opération qui pourrait s’étendre dans les semaines à venir à ces nouvelles zones non loties en gestation dans l’arrondissement et même à ces immeubles érigés à coups de millions sur des parcelles dont les promoteurs ne sont nullement attributaires.  Dans cette interview qu’il nous a accordée, Hermann Sirima déplore ce qui s’est passé au secteur 29 et invite par conséquent la population à toujours se conformer à la réglementation en vigueur en matière d’urbanisation.

 

 

Qu’est-ce qui a motivé cette opération de démolition ?

 

C’est une situation regrettable que nous déplorons tous. Mais on n’avait plus le choix après tant d’efforts et de sacrifices pour amener les gens à la raison. Et j’avoue qu’on nous a tellement forcé la main qu’on s’est vu obligé de passer à l’acte. Quand nous sommes arrivés aux affaires en 2016, il y avait une véritable crise de confiance entre la municipalité et les populations de cette zone communément appelée non lotie. Notre première mission était de travailler à rétablir la confiance entre les deux parties. Cela s’est traduit par la mise en place d’un cadre formel de concertation entre les populations de cette zone et l’administration. Nous avons aussi mis en place un autre cadre de concertation impliquant les propriétaires terriens. Et cela, pour permettre à toutes les parties d’être au même niveau d’information afin d’éviter de commettre les mêmes erreurs que par le passé. Notre ambition était surtout de tout mettre en œuvre pour éviter la création de nouveaux habitats spontanés. Un phénomène qui a pris de l’ampleur à Bobo et qui semble devenir un vrai business pour certaines personnes. Des gens qui se croient tout permis et agissent sans la moindre considération pour l’administration municipale.

 

Et comment en est-on arrivé à cette situation de zone non lotie dans votre arrondissement ?

 

Vous savez que cette affaire de zone non lotie est devenue un phénomène de mode. Nous avons effectivement vu venir les choses et nous avons pris nos dispositions. Il y a eu d’abord  deux sorties sur le terrain pour communiquer avec les gens qui y vivent. Nous leur avons clairement dit qu’ils n’ont pas le droit de construire dans la zone et que nous n’allons plus tolérer la création de nouvelles zones non loties.  Nous leur avons aussi parlé du rapport de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat (ASCE) sur le foncier et de celui de la commission d’enquête parlementaire relative au même sujet. C’était pour nous une façon de les convaincre sur l’importance de l’apurement du passif foncier qui préoccupe tant les plus hautes autorités du pays. Et comme vous le savez le problème des non lotis est si profond à Ouaga et à Bobo que le délai de mise en place de la commission dans les deux villes pour apurer le passif a été prolongé de 3 mois. Donc nous leur avons fait comprendre qu’il existe déjà suffisamment de problèmes et qu’il ne faut pas en rajouter avec la création de nouvelles zones non loties.  J’avais même reçu l’engagement ferme des propriétaires terriens et des promoteurs immobiliers à ne plus créer de zone non lotie. Malheureusement, la réalité sur le terrain était tout autre.

 

Donc les engagements n’ont finalement pas été respectés par certains acteurs.

 

C’est ce que j’ai constaté par la suite. Et ce, en dépit des nombreuses interpellations par voie de presse et les sorties de terrain pour inviter les gens à ne pas construire. Notre dernière rencontre avec les populations de la zone date du 8 novembre. La mission était composée de conseillers municipaux, de membres du cabinet du maire et de personnes-ressources. Et ce jour-là, nous avons constaté que la plupart des constructions étaient au stade de la fondation. Exception faite de quelques logements déjà habités ou non. Quelques jours seulement après notre passage, ces populations ne s’attendaient pas à me revoir de sitôt sur les lieux. Et lorsque j’y suis arrivé, j’ai vu que beaucoup avaient pris cette fois-ci des dispositions pour accélérer les travaux et nous mettre devant le fait accompli.  Ils ont multiplié le nombre d’ouvriers sur les chantiers et en un temps record les maisons ont poussé comme des champignons. La grande majorité des habitats que nous avons démolis lundi était au stade de la fondation.

 

A combien estimez-vous les dégâts ?

 

Vous savez que les zones non loties sont censées être habitées par ceux qui n’ont pas les moyens. Mais sur le site du secteur 29, nous n’avons trouvé aucune maison en banco. Toutes les maisons que nous avons démolies étaient construites en ciment. En plus la célérité avec laquelle ces maisons ont été construites montre bien que les promoteurs sont des nantis. Il y a trop de spéculateurs dans cette affaire. Et ce sont ces derniers qui se plaisent à dire, à qui veut les entendre, que les non lotis sont devenus un phénomène à la mode et que c’est comme ça que les choses se passent partout ailleurs. Mais nous avons pris le ferme engagement de faire en sorte qu’aucun problème foncier ne surgisse à nouveau jusqu’à l’apurement du passif.

 

Quels sont ceux que vous incriminez le plus dans cette affaire ? Les propriétaires terriens ou les promoteurs immobiliers ? 

 

Nous sommes en train de travailler pour la résolution définitive du passif foncier. Nous allons tout mettre en œuvre pour faire appliquer les textes et dans tous les cas, force doit rester à la loi. Je demande aux propriétaires terriens de ne pas surtout se laisser abuser par des spéculateurs. Les terres leur appartiennent et ils en ont le droit de jouissance. Mais la loi ne les autorise pas à morceler leurs champs pour les vendre. Les non lotis sont devenus un véritable business pour des gens aujourd’hui à Bobo. Les propriétaires terriens cèdent de grandes superficies à des promoteurs immobiliers à des sommes dérisoires, un million de FCFA, voire moins. Et ces derniers les achètent pour ensuite les borner. Les parcelles dégagées de ce morcellement sont ensuite vendues à un million, voire plus. Et du coup des promoteurs se retrouvent avec des bénéfices de plus de 20 millions. Et c’est dommage que des gens aillent acheter ces terres sans un document administratif. Ils le font à leurs risques et périls et c’est ce qui est arrivé aux habitants de la zone non lotie de Belleville.

 

Quelle est la suite à donner à cette opération de déguerpissement ?

 

Nous avons dit que toute maison que nous verrons pousser sur le site sera détruite. Et ce n’est pas la seule zone qui est concernée par cette mesure. Deux autres sites en gestation ont été identifiés et nous avons déjà attiré l’attention des uns et des autres à ne pas y investir et même à libérer les lieux. Toutes les constructions anarchiques dans l’arrondissement seront détruites. C’est un processus qui a commencé et qui va s’étendre partout où il y a des cas similaires. Parce qu’actuellement, il y a trop de problèmes de terre à Bobo. A Belleville par exemple, il y a 500 parcelles qui ont été englouties par le cimetière. Il faut trouver une solution à cela. Il y a aussi des doubles attributions et même des attributions virtuelles qui ne sont pas matérialisées sur le terrain. Il y a ceux aussi qui sont dans des zones nouvellement loties et qui refusent de bouger quand bien même ils ne sont pas attributaires.

 

Etes-vous prêt à aller jusqu’au bout ?

 

J’ai toujours dit que force doit rester à la loi et nous allons faire appliquer la loi. Des promoteurs immobiliers sont venus me voir et je leur ai dit de ne pas s’aventurer à acheter les terrains parce que la municipalité pour l’instant ne peut pas les accompagner dans cette aventure. Après les zones non loties, je vais m’attaquer à ceux qui ont construit sur des terrains dont ils ne sont pas attributaires. Ils ont investi des dizaines de millions de FCFA pour construire des immeubles sur des parcelles qui ne leur appartiennent pas puisque ne disposant d’aucun document administratif en bonne et due forme. Ils ont pris des risques et ils doivent l’assumer. Nous avons identifié des maisons dont la valeur dépasse 30 millions qui sont construites sur des parcelles sans document. Et c’est vraiment dommage.

 

Propos recueillis par

Jonas Apollinaire Kaboré

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