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Affaire Norbert Zongo : Cette flamme à la recherche d’une introuvable justice

La flamme de la lampe qui illumine le Centre national de presse Norbert Zongo, à la recherche d’une introuvable justice, va-t-elle enfin commencer à pâlir pour ensuite s’éteindre parce que son objectif aura été atteint ? Vingt ans après, une lueur d’espoir commence en tout cas à poindre à quelque 5000 kilomètres de là. Le 5 décembre 2018, la chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a en effet donné un avis favorable à la demande d’extradition de François Compaoré formulée par les autorités burkinabè.

Certes, même si elle s’en approche, il y a encore loin de la coupe aux lèvres puisque l’incriminé s’est pourvu en cassation et dispose d’autres recours judiciaires pour éviter son expédition à Ouagadougou, mais à moins de deux semaines du vingtième anniversaire de l’assassinat du directeur de publication de L’Indépendant et de ses trois compagnons d’infortune, leurs ayants droit et tous ceux qui luttent depuis pour que vérité se fasse ne pouvaient pas rêver meilleur cadeau.

Le frère cadet de l’ancien président du Faso, on le sait, a toujours été accusé dès la commission du crime d’en être le commanditaire puisque toutes les apparences l’accablaient. Norbert, avant d’être réduit en un petit tas de chair carbonisée,  n’enquêtait-il pas sur le meurtre de David Ouédraogo, chauffeur de François, pour une obscure affaire de vol d’argent ? Au fil de ses articles et de ses conférences publiques, n’avait-il pas fini par endosser la tunique de chef de file de l’opposition devant des opposants neutralisés par un régime qui concédait une démocratie à dose homéopathique ?

Mais précisément pour ces raisons, sauf à être totalement irréfléchis ou convaincus qu’on pouvait encore « te faire et il n’ y avait rien », les caciques militaro-civils du pouvoir devaient se douter qu’ils seraient les premiers à être mis à l’index. A moins qu’ils aient raisonné par l’absurde : « Puisque tout nous accusera, nos contempteurs vont se dire que nous ne sommes pas assez bêtes pour faire ça ».

Extradition de celui qu’on surnommait « le petit président » ou pas, il faudra sans doute patienter encore quelques années pour avoir le fin mot de cette tragédie qui a révulsé toutes les âmes sensibles. Plus que l’exécution en elle-même d’une icône sur la tête de laquelle planait en permanence l’épée de Damoclès, pardon, des frères Compaoré, c’est surtout l’acharnement sur les corps qui aura dégoûté plus d’un. Certes, depuis que les révolutionnaires d’Août-83, qui étaient déjà dans l’antichambre du pouvoir sous le CSP, nous avaient appris qu’en Haute-Volta aussi, on pouvait tuer un adversaire pour ses opinions, on avait connu une kyrielle de crimes politiques grossiers ou maquillés en kafcidents (1) mais jamais on n’avait atteint pareille horreur sur l’échelle de la barbarie.

Fort heureusement, Norbert et ses trois cosuppliciés ne seront pas morts pour rien. Vingt ans plus tard, plus rien n’est comme avant, pour reprendre la vulgate insurrectionnelle d’octobre 2014, du moins pour ce qui est du droit à la vie. Après vingt- sept interminables années de règne sans partage, Blaise Compaoré, manifestement atteint par le syndrome d’hubris, a fini par être balayé par une insurrection populaire pour n’avoir pas su s’arrêter à temps. Et les dividendes politiques du drame de Sapouy, qui avaient commencé déjà à être distribuées sous l’ancien régime (gouvernement d’ouverture, rééquilibrage à l’Assemblée avec l’introduction de la proportionnelle au plus fort reste, etc.), sont réparties de plus belle avec la chute de l’enfant terrible de Ziniaré.

Les cartes ont été tant et si bien rebattues qu’aujourd’hui, nombreuses sont les figures emblématiques de la lutte contre l’impunité qui trônent aux premières loges de la république ou font affaires avec ceux qui les ont martyrisées il n’y a pas si longtemps que cela. Blaise, François, Alizet Gando et quelques autres en moins, les ennemis d’hier sont devenus des potes sûrs, embarqués dans la même galère Burkina prise dans le tourbillon terroriste et bouffant le naam ensemble. Tout se passe comme si l’enfant d’Issouka à Koudougou, qui semblait s’offrir en holocauste, avait fait don de sa personne pour que soient la démocratie et les droits de l’homme… et que s’accomplissent des destins. Passé les premières années de la phase éruptive de la crise, les grandes orgues de la lutte contre l’impunité, dont le concert de désapprobation et d’indignation était allé decrescendo, s’étaient tues au fil du temps pour être aujourd’hui rangées plus ou moins confortablement. Elles l’ont bien mérité, remarquez. Ainsi vont la vie et le Burkina nouveau.

Finalement, quand on observe l’évolution du paysage politico-institutionnel, on se rend compte que Fortuna,  dans son immense bonté, aura fait bien des  fortunes  au fur et à mesure qu’elle entassait les infortunés dans les poubelles de notre histoire. Si on excepte Norbert et les autres occupants de la Toyota Land Cruiser 11 J 6485 BF, 240 mois après, la principale victime demeure la Vérité que, peut-être, l’extrême politisation du dossier, de part et d’autre de la ligne de front, aura contribué à rendre jusque-là insaisissable. Pourvu que ça ne  dure pas encore trop.

                                                                                                            

La Rédaction

 

(1) Néologisme formé à partir de Kafando (Hyacinthe), l’un des principaux sicaires sous le régime de Blaise Compaoré, et du mot accident qui désignait jadis des assassinats ciblés maquillés en accidents.          

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