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Cours à domicile : Ce couteau à double tranchant pour les élèves

 

Rares sont les feux tricolores à Ouagadougou qui n’ont pas encore été transformés en panneaux publicitaires. Parmi ces réclames à peu de frais, celles relatives aux cours à domicile. On ne saurait, en effet, dénombrer les PME évoluant dans ce domaine dit d’appui scolaire aux élèves ayant des lacunes qu’ils veulent combler ou voulant tout simplement optimiser leurs chances de réussite, particulièrement aux examens. Mais comment fonctionne ce milieu qui pourrait être un couteau à double tranchant pour les bénéficiaires ? Comment faire en sorte que les répétiteurs et les promoteurs de ces structures, très souvent informelles, puissent contribuer à rehausser efficacement le niveau des élèves, en chute libre ?

 

 

  

Samedi 7 avril 2018 dans le quartier San-yiiri (ex-secteur 30 de la ville de Ouagadougou). Quelques minutes avant 10 h : Touwindé Nikièma, répétiteur ayant à peine trois années d’expérience, franchit la porte du domicile de son élève. Il donne aussi des cours dans une école primaire privée non loin de là. Mais cette matinée est consacrée à Dylan Ouédraogo. L’élève, en classe du CE2, est déjà bien assis en train de papoter avec son petit frère. Devant eux : une table sur laquelle sont déposés sac, livres, cahiers, stylos, chiffon et tutti quanti. Le tableau noir, déjà nickelé,  est également bien dressé sur un  chevalet de circonstance. Dylan n’attendait plus que son maître pour commencer. Et à la vue de celui-ci, le petit frère n’a pas besoin qu’on lui rappelle que les choses sérieuses vont bientôt débuter. Il prend congé de son grand frère pour rejoindre son papy, visiblement occupé avec son ordinateur portable sur sa terrasse. «Bonjour Monsieur, bonjour Monsieur», dit le gamin,  les bras croisés. Une autre chaise est vite sortie et placée sous le garage transformé occasionnellement en salle de classe tous les mercredis soir et samedis matin. Plus de temps à perdre ! Touwindé Nikièma écrit un exercice de grammaire au tableau. Dylan, lui, le recopie dans son «cahier de maison» avant de le traiter. A l’issue du temps imparti, il se met devant le panneau de bois noirci, lit l’exo, à haute voix, dans son entièreté avant de faire ses propositions de solutions. Il en sera également ainsi, comme pour respecter une procédure bien huilée, pour les autres sujets de vocabulaire (explication de mots, phrases à compléter) et de conjugaison qui ont été reportés, le petit se permettant parfois même de ‘’corriger’’ les coquilles de son maître. «Monsieur, dans la phrase, vous avez écrit les élevons pour dire les élèves, c’est une faute ! (ndlr : la phrase entière : dans la cour de l’école, les élevons… de petits jeux)». Le pensionnaire de l’école les Bâtisseurs caresse le rêve de devenir pilote et entend se «concentrer», obtenir de bonnes notes pour parvenir à ses fins. A la première évaluation, il a eu une moyenne de 8/10 et était classé 3e sur un effectif de 11 personnes. A la deuxième, il a chuté d’un point et s’est positionné au 5e rang. Un recul que son enseignant à domicile tente d’expliquer : «pour ce qui est de la deuxième composition, j’avais beaucoup de devoirs à l’école si bien que je n’ai pas eu le temps nécessaire pour l’encadrer suffisamment avant qu’il ne parte composer. Mais à la dernière composition, je ferais de mon mieux pour ne pas décourager les parents». Touwindé Nikièma est, lui aussi, élève, en classe de 1re A. A l’issue de son BEPC, il a opté de poursuivre en cours du soir et dit n’avoir aucune autre activité que les cours à domicile. Certains parents d’élèves lui avaient auparavant demandé d’encadrer leurs bambins à la maison jusqu’au jour où un «grand frère du quartier» l’a mis en contact avec Amadou Kaboré, responsable d’une microentreprise dénommée Africademy. Sa motivation à enseigner est toute simple : «si un enfant a de bons résultats et qu’on dit que c’est telle personne qui l’encadre, ça fait honneur, c’est satisfaisant », justifie Touwindé qui précise n’avoir pas été mu par l’argent, même si ses petits revenus lui permettent de subvenir à ses besoins et d’être un peu indépendant vis-à-vis des parents.  

 

 

 

«Ça ne va toujours pas, mais ça ira»

 

 

 

 Autre lieu, autre réalité. 15h au domicile d’une parlementaire burkinabè. Ici, c’est Christine Konditamdé qui fait face à un tableau noir. Elle est élève en classe de 3e au Lycée Saint Joseph de Ouagadougou. Sous le regard de son répétiteur, elle écrit des chiffres et des lettres de l’alphabet. A : Ampèremètre ; V : Voltmètre ; L : Lampe ; I : Intensité ; T : Tension ; C : Calibre… «Ce sont des exercices de Physique-Chimie (PC), des calculs d’intensité et de tension dans les circuits électriques », explique l’élève de 20 ans. Sa bête noire : la Physique-Chimie et les Mathématiques. Ce sont, à l’écouter, ces matières scientifiques qui lui valent de reprendre la 3e pour la 3e fois, car «ça n’y va pas» contrairement aux autres matières (Histoire-Géo, SVT,…). Après deux heures à additionner, à soustraire, à multiplier et à diviser, elle estime avoir bien compris les cinq exercices qu’elle venait de traiter sous l’œil vigilant de son maître, Abdoul Dramane Ouédraogo. Lui est étudiant en deuxième année de Sciences économiques et gestion (SEG). La candidate à la prochaine session du BEPC n’était qu’à un mois de cours à la date du 24 novembre 2018. Tout a commencé en réalité le 25 octobre : elle a bénéficié de rappel sur des formules mathématiques, fait des exercices sur les nombres rationnels, les puissances, les intervalles et les valeurs absolues. A cela s’ajoutent des exercices types du BEPC. Christine, après ce mois de répétition, pense que «ça ira» et compte mettre toutes les chances de son côté pour décrocher (enfin) le Brevet, franchissant enfin cette barrière qui lui semble jusque-là infranchissable. N’a-t-elle d’ailleurs pas lâché ses mots avec peu d’assurance et de conviction ? Son répétiteur, lui, se veut plus optimiste. «Ses notes, ça ne va toujours pas, mais on sent une légère amélioration. Nous ne sommes qu’au début, mais avec le temps, ça ira. Je sens qu’elle retient quelque chose au fur et à mesure», explique l’étudiant de 23 ans qui dit se sentir «pleinement» dans les cours à domicile qu’il a débutés l’année précédente. Il n’a pas de formation particulière en la matière mais aime partager ce qu’il a appris «avec des frères et des sœurs qui ont des difficultés». «Les cours à domicile, ça contribue aussi à joindre les deux bouts, il y a de petits besoins, de carburant et autres. Ce que je gagne vaut mieux que rien, donc je ne m’en plains pas», ajoute-t-il comme deuxième motivation.     

 

 

 

Regard de parents ‘’d’appuyés’’

 

 

 

Le papy de Dylan, Jean Romain Bambara, perçoit les cours à domicile comme «une manière d’appuyer les enfants, de faire en sorte qu’ils aient l’occasion de poser des questions de compréhension à leurs répétiteurs sans être honnis par leurs camarades. Cela leur permet de renforcer les connaissances qu’ils ont acquises en classe». Ce professeur de français et inspecteur technique d’établissements d’enseignement à la retraite depuis 6 ans pense qu’à travers ce moyen, les parents ont un regard sur l’évolution de leurs enfants hors de l’école et n’hésitent pas à remonter les bretelles à ceux qui veulent «beaucoup s’amuser».      Selon l’homme pour qui l’enseignement n’a aucun secret, ce qu’il faut pour une meilleure qualité de l’éducation d’une manière générale, c’est l’amélioration du niveau de formation des enseignants eux-mêmes et la diminution des effectifs, pléthoriques, des salles de classe. L’appui scolaire, à l’écouter, a toute sa place en ce sens que le répétiteur se met à la disposition d’un seul élève pendant deux heures, avec deux séances dans la semaine. L’idée de prendre un maître de maison pour Dylan vient de ses parents, tous deux affectés en province, qui ont voulu que le gamin soit assisté.

 

Mais chez Christine Konditamdé, «la nécessité de recourir à un enseignant à domicile est venue du fait qu’à la dernière session du BEPC, elle a obtenu 3 et 4 sur 20, respectivement en Mathématiques et en Physique-Chimie». A la question de savoir comment s’est fait le choix du ‘’pompier de service’’, voici la réponse de Marie Rose Compaoré/Konditamdé : «j’ai été confrontée à la difficulté d’en trouver parce qu’on voit des annonces partout, sous des feux tricolores et autres mais pour une question de confiance et de sincérité, je m’en suis méfiée jusqu’à ce que je voie sur Facebook un contact dont le nom a attiré mon attention : ‘’Les frères Lumière’’ (NDLR : (Il s’agit d’Auguste Marie Louis Nicolas et Louis Jean Lumière, qui n’ont pas réalisé les premiers films du cinéma, mais les premières projections collectives de films photographiques sur grand écran pour un public rassemblé). En tant qu’enseignante d’Histoire-géographie, ça me rappelle quelque chose et je me suis dit que peut-être la lumière va jaillir de ce groupe». Mais à ce jour, elle ne pouvait pas attester que la lumière a vraiment jailli puisque c’était très tôt pour une évaluation. Elle estime aussi que les cours à domicile se révèlent nécessaires de nos jours au regard des effectifs importants dans les salles de classe. «C’est difficile pour un enseignant, quelle que soit sa bonne volonté, d’encadrer individuellement les élèves. Il fait ce qu’il peut et avec ceux qui veulent travailler, et le gros lot est laissé à lui-même ; voilà pourquoi c’est devenu nécessaire», explique la prof qui a fait valoir ses droits à la retraite depuis le 13 novembre 2018. Elle précise pourtant n’avoir jamais eu recours à cette pratique pour ses cinq enfants, excepté sa nièce et son petit frère qu’elle a fait venir du village. Convaincue que, partout, il y a des brebis galeuses, l’élue nationale suggère une réorganisation des structures évoluant dans ce domaine en vue de les former. Une initiative qui pourrait venir du privé, d’un particulier, à l’image déjà des petits regroupements mais pas forcément de l’Etat. «C’est vrai que tous les répétiteurs n’enseignent pas la même chose, les mêmes matières, mais on peut prendre les responsables de groupe et leur donner le b.a.-ba, car une chose est d’avoir des connaissances et une autre est de pouvoir les transmettre, il faut avoir de la pédagogie». Le problème de formation se pose également avec acuité dans les écoles, où la députée confie avoir vu des écrits à vous couper le souffle : «Sur un tableau où était reportée une leçon, j’ai dénombré trois à cinq fautes dans une seule phrase », raconte-t-elle avant de se poser des questions sur ce que de tels enseignants peuvent dispenser comme connaissances à leurs élèves. Pour elle, de plus en plus nombreux sont ceux et celles qui se lancent dans l’enseignement non plus à vocation comme jadis mais à défaut de mieux.    

 

 

 

 Micro-entreprises, grosses arnaques

 

 

 

Les annonces en matière de cours à domicile vont des simples feuilles imprimées, placardées sur les murs ou les feux tricolores, aux cartes de visite laissées dans des librairies en passant par les réseaux sociaux. ‘’Africademy’’, ‘’Les frères Lumière’’, ‘’Challenge School’’, ‘’Cabinet Deste’s Vision’’, ‘’ASASS-Africa’’ Depuis quelques années, ça pousse comme des champignons après l’orage.

 

Africademyexiste depuis 2017 et évolue dans ce qu’Amadou Kaboré qualifie de «cours particuliers». Il en est le promoteur et explique que les actions de sa ‘’PME’’ reposent sur trois points : le soutien scolaire aux élèves et étudiants ; la formation spécialisée, axée sur les travailleurs qui ont des lacunes dans leurs domaines (comptabilité par exemple) et la préparation des candidats aux concours de la fonction publique. De ces trois volets, seul le premier aspect (cours à domicile) est déjà fonctionnel, les autres n’étant qu’au stade des ambitions. «Nous avons contacté des enseignants en vue de constituer un pool. Nous avons des contrats avec eux et dès lors qu’on conclut un accord avec un parent d’élève, nous faisons appel au répétiteur qui est le plus proche géographiquement afin qu’il intervienne. L’enseignant entre en contact avec le bénéficiaire, il cerne ses lacunes, ils s’entendent sur les jours d’intervention, les heures, le taux horaire avant de commencer», indique Amadou Kaboré dont l’entreprise comptait une dizaine de clients à la date du 29 mars 2018. Une dizaine d’élèves du primaire et du secondaire recevaient alors leurs enseignants. Cadre d’une autre entreprise de la place, il affirme avoir eu des retours positifs sur la prestation de ses collaborateurs, mais le hic est que l’activité est toujours au stade embryonnaire. Il estime que beaucoup de parents d’élèves manifestent leur volonté de souscrire, mais affirment que les tarifs proposés sont chers. «Sur dix clients touchés, un seul va souscrire parce que les gens ont d’autres priorités, beaucoup vont trouver que c’est cher.  Certains parents d’élèves pensent que si on dit cours à domicile, c’est à l’étudiant du quartier qu’on fait appel, il aide l’enfant et on lui paye la somme dérisoire du genre 5000 francs CFA voire 10 000 francs le mois, de l’argent de poche ; on considère cela comme une petite dépense. Psychologiquement, beaucoup n’ont pas encore intégré le fait qu’ils peuvent payer 20 000 ou 25 000 francs par mois. Dans ces conditions, le travail se mène difficilement. Nous avons des gens qui doivent se déplacer, des enseignants recrutés sur la base de leur C.V., des personnes  qui ont déjà de l’expérience dans l’encadrement des enfants», soutient-il.

 

Interrogé sur sa motivation à mettre en place cette organisation, il dit vouloir formaliser un contrat entre parents d’élèves et répétiteurs. «Voici généralement comment ça se passe : en tant que parent d’élève, on prend un élève ou un étudiant par exemple, on ne cherche pas à savoir s’il a les qualifications requises, s’il a la pédagogie. On lui confie son enfant et dès lors qu’il y a insatisfaction, le parent d’élève est laissé à lui-même, il n’a pas de moyens de recours. Donc, je me suis demandé   pourquoi ne pas formaliser cette relation par un contrat de telle sorte que s’il y a insatisfaction, on change par exemple le répétiteur qu’on estime n’avoir pas bien fait son travail. Pour moi, parent d’élève aussi, ce n’est pas pour me faire de l’argent, c’est une mission d’assistance que nous rendons, c’est notre contribution en vue d’améliorer les performances des élèves. C’est en cela qu’il y a toute notre satisfaction», justifie Amadou Kaboré. A l’écouter, cette activité, au stade où il en était, ne nourrit pas son homme, c’est au contraire, grâce à ses activités extra qu’il injecte des ressources pour assurer la survie de la boîte, car «que le client ait payé à temps ou pas, le paiement du répétiteur est garanti chaque mois à raison d’une somme minimale de 20 000 francs CFA en dehors des autres charges». 

 

Difficile toutefois de croire que c’est juste pour des raisons philanthropiques et on imagine que ce genre d’activités arrondit bien de fin de mois.

 

Amadou Kaboré aimerait en tout cas bénéficier de la part des autorités, d’un accompagnement «surtout technique» des structures comme la sienne. «Ce n’est pas un soutien matériel ou en matière de finances. J’estime que quelque part nous contribuons aussi à l’amélioration du niveau scolaire des élèves, à hausser les taux des résultats aux examens, donc pourquoi ne pas  nous faire bénéficier d’une formation de formateurs, mettre à notre disposition des spécialistes pour accompagner nos répétiteurs à mieux dispenser le savoir».

 

Sur ce dernier aspect, l’un des promoteurs de ‘’Les frères Lumière’’ semble avoir une longueur d’avance. En effet, avec la centaine de répétiteurs et de futurs enseignants (camarades d’université, d’Institut des sciences, instituteurs) que la structure dit avoir, des rencontres sont souvent initiées pour «échanger sur la manière dont nous devons dispenser les cours. Je ne peux pas parler de formation puisque nous-mêmes, nous n’avons pas été formés en la matière. Ce sont des rencontres de partages d’expériences, les gens parlent de leurs difficultés avec les enfants», explique Abdoul Razac Ouédraogo. Ce bachelier série D vient d’être admis au test de ‘’Manipulateur d’état en électroradiologie médicale’’ et doit suivre trois ans de formation à l’Ecole nationale de la santé. L’idée de son organisation remonte à 2015 avec deux autres camarades qui évoluaient déjà dans l’appui scolaire. Des trois personnes à se lancer dans cette aventure, le jeune homme de 25 ans se retrouve seul à piloter l’affaire en jouant le rôle de coordinateur et de responsable plaçant les répétiteurs où le besoin se fait sentir.

 

Les cours dispensés sont de deux heures et de deux séances par semaine concernant le secondaire. «Chez les petits, c’est deux séances par semaine, mais nous faisons 1h30 pour les élèves du CE2 au CM2. Pour les classes du CP1 au CE1, nous faisons 1h par séance pour ne pas les fatiguer. Pour ce qui est des prix, il y a des parents qui sont prêts à payer 2500 francs CFA/heure, 2000 francs, 1750 francs, 1500 francs», cite le jeune homme qui recrute ses répétiteurs sur la base d’entretiens et de CV, exactement comme le fait le promoteur d’Africademy.

 

Parmi les multiples difficultés inhérentes à l’activité, Abdoul Razac Ouédraogo, qui a donné des cours à domicile pendant trois ans avant de mettre en place sa petite organisation, s’est attardé sur le niveau des élèves et certains comportements. «Le niveau est très bas. Les élèves ne sont plus sérieux, il y a un manque de concentration, ils sont trop distraits. Nous avons eu des cas où à l’heure du cours l’élève est introuvable. Il y a aussi cette catégorie d’élèves qui ne vont pas à l’école. Comment pouvez-vous comprendre qu’un élève fasse du CP1 jusqu’au CM2 sans avoir la maîtrise de la table de multiplication ? Même dans des classes de 3e, comme c’est le cas ici, de 2nd, de 1re, il y a des élèves qui ne maîtrisent pas bien les calculs si bien que les répétiteurs rencontrent d’énormes difficultés », déplore Abdoul Razac Ouédraogo. Il ne dédouane pas non plus certains répétiteurs qui semblent plus motivés par l’argent qu’à aider les élèves à améliorer leur niveau. Par ailleurs, il n’épargne pas certains parents, à qui il reproche de ne pas créer les conditions nécessaires à l’épanouissement de leurs enfants :«Nous avons rencontré des cas où les mauvais résultats qu’ils obtiennent ne sont pas liés à l’intelligence des enfants eux-mêmes mais aux petits soucis avec les parents. Il y a des enfants dont on sent qu’ils ont quelque chose dans la tête mais ils ne veulent pas donner le meilleur d’eux-mêmes, cela s’explique par le fait par exemple qu’ils se sentent délaissés, qu’on ne s’intéresse pas à ce qu’ils font. Malheureusement tous les parents ne détectent pas cela et alors même si ces élèves ont deux ou trois répétiteurs, ça ne marchera pas », diagnostique le ‘’psychologue’’. Le responsable de ‘’Les frères Lumière’’ pense également que l’Etat peut avoir son mot à dire dans les cours à domicile, notamment «en faisant en sorte que n’importe qui ne se prétende pas répétiteur pour prendre l’argent des parents d’élèves pour rien».  

 

 Il se peut d’ailleurs que tout ce branle-bas éducatif ne soit que pur effet de mode, une forme de snobisme dans lequel bien des parents tombent pour se dédouaner de leurs propres responsabilités. N'ayant plus le temps, pour diverses raisons, de suivre leur progéniture, nombreux sont en effet les géniteurs et génitrices qui préfèrent payer les services d’un répétiteur pour ne pas se sentir coupables des échecs de leurs rejetons. Autant dire que le maître ou le prof de maison n’est pas forcément la panacée. 

 

Aboubacar Dermé

 

 

 

 

 

Encadré :

 

3 élèves sur 20 ont recours aux cours à domicile

 

 

 

Une randonnée dans deux grands établissements publics de la capitale nous a permis d’avoir une idée approximative du nombre de personnes qui ont recours aux cours à domicile.  Sur un échantillon de 20 élèves, tous niveaux confondus (6e à la Tle) et approchés par hasard, sans distinction de sexe ni d’âge, un petit sondage nous permet de tirer les conclusions suivantes :

 

17 élèves, soit 85% des sondés, n’étaient pas assistés par des répétiteurs à la date du 4 décembre 2018. Voici ce que les uns et les autres en pensent : «Je reconnais que ça aide, mais si tu n’as pas les moyens, c’est difficile» ; «étant en classe de 3e, je compte en faire et je vais parler de ça à mes parents» ; «je n’ai jamais eu recours à cela, car je n’en ai pas besoin» ; «je ne fais pas, mais je sais que ça aide beaucoup, surtout les élèves qui viennent à l’école mais ne sont jamais en classe» ; «c’est très cher, 20 000 à 30 000 francs CFA par mois» ; «j’ai fait cours à domicile quand j’étais en classe d’examen, mais ça m’occupait beaucoup».

 

A l’opposé, 3 élèves, soit 15% de l’échantillon, pas forcément représentatif il est vrai, suivent des cours à domicile. Ils le justifient par : «je le fais, car ça ne va pas à l’école» ; « j’y ai recours depuis ma 6e » ; «ça m’apporte beaucoup».

 

 

 

NB : Ces résultats ne reflètent peut-être pas la réalité,   vu  le nombre très réduit, aussi bien d’élèves que d’établissements.

 

A.D.

 

 

 

 

 

Encadré :

 

«Le répétiteur doit s’adapter à l’enfant »

 

(Judith Meda, psychologue de l’éducation)

 

 

 

Judith Méda est psychologue de l’éducation, des apprentissages et doctorante en psychologie de l’orientation et du travail à l’université Norbert Zongo de Koudougou. Dans l’interview qu’elle nous a accordée dans la matinée du 6 décembre 2018, la ‘’thésarde’’ s’est prononcée, entre autres, sur les avantages et les inconvénients de recourir aux cours à domicile. Il en ressort que, si cette pratique permet d’améliorer les performances scolaires des apprenants, elle peut aussi enfoncer ou accroître les difficultés et les lacunes des élèves si elle n’est pas bien menée.

 

 

 

Qu’est-ce qu’un psychologue de l’éducation ?

 

 

 

La psychologie de l’éducation étudie les thèmes généraux comme le développement de l’enfant et les apprentissages. Elle s’intéresse à l’enseignement dispensé, aux programmes, aux processus éducatifs, aux adolescents au post-primaire et aux adaptations scolaires et sociales. Le psychologue de l’éducation, c’est cette personne bien aguerrie sur les questions de l’éducation, de la rééducation, cette personne capable de donner son point de vue à travers les théories de l’apprentissage, d’orienter toutes questions concernant l’éducation que ce soit à la maison ou dans les institutions.

 

 

 

Concrètement quel est son rôle ?

 

 

 

Il intervient au niveau des écoles, il aide les enseignants, les parents d’élèves avec des conseils. Il intervient également côté clinique, je veux parler des difficultés d’apprentissage des élèves où le psychologue de l’éducation diagnostique ces difficultés et apporte son aide dans le but d’amener l’enfant à acquérir de nouvelles connaissances.

 

 

 

De façon pratique, qu’est-ce que le profane doit comprendre dans le travail du psychologue de l’éducation ?

 

 

 

Dans le cabinet où j’étais personnellement, nous avons reçu des enfants. Nous faisons d’abord une évaluation de la situation et un diagnostic pour savoir où sont les causes des difficultés. Elles peuvent être au niveau de la lecture, du calcul ou de l’apprentissage des leçons. Dans ces cas, ça peut s’expliquer par l’enfant, lui-même, qui a soit un retard scolaire, soit un retard mental, ou encore des difficultés qu’il rencontre dans sa famille, dans l’environnement où il évolue. Dès que le problème est connu, nous faisons appel aux parents, nous leur expliquons la situation, nous faisons de même pour l’élève en  lui faisant comprendre qu’il a un problème et qu’on peut l’aider à améliorer ses performances s’il le veut bien, avec l’aide de ses parents et de ses enseignants. Si ce sont ces problèmes d’ordre scolaire, nous faisons appel également à ce qu’on appelle ‘’une remédiation cognitive’’  pour l’aider. 

 

    

 

 Que pensez-vous des cours à domicile qui sont à la mode depuis quelques années ?

 

 

 

Normalement, les cours à domicile, c’est pour permettre à l’enfant d’améliorer ses performances scolaires. Seulement qui est amené à les dispenser ? C’est là toute la question. Chez nous, il faut d’abord faire une évaluation de l’enfant, savoir où se trouve le problème, car tant qu’on ne le saura pas, soyez sûr que tout ce que vous ferez ne marchera pas. Ce que nous remarquons d’habitude c’est quoi ? Dès qu’on voit que l’enfant rencontre des difficultés, on fait appel à quelqu’un pour l’accompagner sans avoir une idée précise du fond du problème. Qu’est-ce qui l’a amené dans cette situation ? Est-ce qu’il n’a pas un sale comportement à l’école ? Les gens s’intéressent aux faibles résultats sans en chercher le pourquoi. Or, l’enfant n’agit pas sur un coup de tête, s’il agit d’une manière ou d’une autre, c’est suite à quelque chose. Nous, nous préconisons une évaluation pour cerner le fond du problème, avant de faire appel à un professionnel du domaine au besoin, un professeur ou un enseignant qui a la pédagogie. Dans ce sens les cours à domicile se passent bien. En plus de rehausser le niveau de l’enfant, il l’éduque.

 

Mais si on se contente d’appeler quelqu’un qui a un certain niveau, certes il aura les connaissances, mais est-ce qu’il a la pédagogie ? Il y a des enfants qui sont anxieux en classe et cela les amène  à ne pas suivre les cours avec les autres, mais seul face à son professeur, il arrive à mieux comprendre, mais encore faut-il que le répétiteur comprenne que c’est un enfant anxieux, timide ! S’il ne le sait pas, quelles que soient toutes les connaissances qu’il lui donnera, c’est peine perdue. Donc, le répétiteur doit s’adapter à l’enfant, échanger avec ses parents afin qu’eux également aient un comportement qui permettra à l’élève de bien évoluer. 

 

 

 

Certes l’appui scolaire a des avantages, mais est-ce qu’il n’a pas également quelques inconvénients pour l’apprenant ?

 

 

 

Tout à fait. Appeler n’importe qui, c’est enfoncer ou accroître davantage les difficultés ou les lacunes de l’enfant. Si cette personne n’est pas avisée et ne sait pas de quoi souffre son élève et se contente des insuffisances en français ou en mathématiques, elle va passer à côté. Du côté de l’enfant, si lui-même ne sait pas pourquoi on lui a trouvé un répétiteur, c’est un autre paramètre. A titre d’exemple, j’ai suivi un enfant, qui disait que son père lui a envoyé un professeur d’anglais ; il a dit qu’il n’en voulait pas, car il n’aime pas cette matière. Du coup, le répétiteur vient, l’élève est assis malgré lui, et qu’est-ce qu’il peut bien apprendre dans ces conditions? Le père était-il au courant de cette situation ? C’était peine perdue. 

 

 

 

Quelles en sont les conséquences sur le développement de l’élève ?

 

 

 

Une situation pareille peut faire stagner l’apprentissage de l’élève, le démotiver, voire le révolter si c’est un adolescent. L’enfant se dit qu’on le force à faire des choses qu’il ne veut pas. Et quand on sait que l’adolescent par exemple aime être libre, qu’il a besoin de montrer son identité, son autorité, cela peut aboutir à des problèmes réactionnels, l’ado se sent frustré, il se comporte bizarrement, mais ce n’est qu’une façon de marquer son refus.

 

 

 

L’autre risque pour les apprenants malmenés entre l’école et les cours à domicile, c’est le surmenage. Qu’est-ce que c’est exactement ?

 

 

 

C’est comme un bourrage de la mémoire, si la mémoire est saturée, elle ne peut plus recevoir de nouvelles connaissances. Le travail qui est fait au niveau de la mémoire est que si le stimulus arrive, normalement elle doit être en mesure de traiter l’information et de la ramener au sujet pour qu’il y ait une réaction. Mais si elle n’arrive plus à traiter les informations, ça veut dire qu’il y a un blocage. Ça peut être dû au stress, à l’anxiété, il y a des élèves qui se demandent sans cesse ce qu’on attend d’eux, qu’est-ce que les gens vont dire s’ils échouent à tel examen. Ce n’est pas forcément que l’élève ait beaucoup de choses dans la tête, c’est relatif à l’incapacité de la mémoire à ne plus pouvoir traiter les informations.

 

 

 

Quelles sont les conséquences du surmenage ?

 

 

 

Ça peut amener la schizophrénie ou la folie comme dirait le citoyen lambda. La personne fait des hallucinations, elle entend ou voit des choses, elle délire, elle reste inerte, ne parle plus. La plupart du temps, ce sont des ados surtout en classe d’examen qui en souffrent.

 

 

 

Comment débloquer alors cette mémoire saturée ?

 

 

 

Il faut écouter la personne. C’est une prise en charge psychologique avec des thérapies et si ça persiste, il faut aller vers un psychiatre qui va prescrire des produits pour faire baisser la forte anxiété. Il faut discuter avec la personne pour  savoir ce qui ne va pas. Si la personne arrive à mettre des mots sur son angoisse, on la rassure, par exemple en disant que le BEPC ou le Bac n’est pas une fin en soi. Il faut le faire parler surtout si ce n’est pas à un stade avancé, si l’on sent qu’il a des maux de tête, des insomnies, des angoisses, des choses qui lui font peur et s’il arrive à mettre des mots dessus, ça ne peut pas arriver aux cas extrêmes (les hallucinations visuelles ou auditives). C’est quand on laisse l’enfant s’engouffrer que ça devient difficile.

 

 

 

Quels conseils pour les élèves en général et ceux en classe d’examen en particulier ?

 

 

 

C’est d’être vraiment relaxes et surtout d’apprendre dès le début de l’année scolaire, dès octobre, il faut réviser continuellement les leçons.  Il ne faut pas attendre en mai, en juin pour se lever subitement et vouloir tout apprendre, le cerveau est une machine, mais il ne peut pas traiter toutes les informations à la fois. Très souvent on a l’impression que si on apprend, on oublie, c’est le stress tout simplement. Sinon tout est là au niveau de la mémoire, il suffit de revoir la chose et elle est réactivée. Donc, il ne faut pas laisser traîner les cours, il faut les relire et poser des questions si on ne comprend pas. Il faut surtout parler avec les parents de ce qui nous effraie même si je reconnais que la communication entre parents et enfants n’est pas vraiment développée alors que tout vient de là. Même avec les enseignants, il faut discuter, il y en a qui sont très timides, d’autres sont très anxieux avec le groupe et c’est à ce niveau que le répétiteur, s’il est bien avisé, peut aider l’élève à ne pas tomber dans le surmenage.

 

 

 

De nos jours, dès l’âge de trois ans les enfants se retrouvent à la maternelle ; est-ce une bonne chose pour leur développement ?

 

 

 

A l’âge de trois ans, il n’y a pas de problème, c’est à cet âge que l’enfant commence à montrer son identité, son moi, vous remarquerez qu’à cet âge si l’adulte lui dit quelque chose, il a tendance à dire ‘’non’’. C’est sa manière à lui de construire son identité, et c’est à ce moment que les apprentissages sont possibles. Donc, si on l’amène à la maternelle, il acquiert de nouvelles connaissances. Normalement s’il s’adapte, il n’y a pas de problème. Il y a plusieurs études qui ont montré l’avantage de les y amener afin qu’ils aient les premières bases des connaissances avant d’entamer le primaire, à l’âge de six ans quand le cerveau est bien huilé. Il apprend aussi la vie en collectivité et intègre progressivement les lois et les rythmes de l’école (arriver à l’heure, se taire quand on le lui demande), le partage, entre autres.   

 

 

 

Qu’en est-il des revers s’il y en a ? 

 

 

 

Oui, il y a des revers, quand on amène l’enfant très tôt aussi, arrivé à un certain âge, son cerveau n’est plus en mesure de comprendre certaines choses, surtout les mathématiques ; d’où les difficultés que beaucoup rencontrent.

 

 

 

Propos recueillis par

A.D.   

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