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Dépistage précoce de la drépanocytose : «Aujourd’hui, chaque enfant devrait connaître son électrophorèse comme il connaît son nom» (Dr Kam Madibèlè, pédiatre) Lire «Carnet de santé», p. 6

 

S’il y a des malades qui souffrent doublement en cette période de froid, c’est bien les drépanocytaires, surtout les enfants. En temps de fraîcheur, ces malades sont en effet confrontés à des crises récurrentes. Pour éviter ces moments douloureux pour les enfants et leurs parents, le Dr Kam Madibèlè, pédiatre à l’hôpital pédiatrique Charles-de-Gaulle, par ailleurs responsable d’une structure de lutte contre la drépanocytose, invite au dépistage précoce de l’électrophorèse de l’hémoglobine. « Aujourd’hui, chaque enfant devrait connaître son électrophorèse comme il connaît son nom, car le drépanocytaire connu et suivi peut vivre sa vie comme les autres et même vivre longtemps », soutient-il dans cette interview qu’il nous a accordée le lundi 17 décembre 2018.

 

 

   

Qu’est-ce que la drépanocytose ?

 

 

 

C’est une maladie du sang même si beaucoup de personnes pensent qu’elle s’attaque aux os. Cette maladie confère aux globules rouges une particularité qui fait qu’ils se falciforment, deviennent minces comme des feuilles, et ont donc des difficultés à se déformer pour passer dans les vaisseaux sanguins.

 

 

 

Quand sait-on qu’on a cette maladie ?

 

 

 

Ça peut être à partir de signes cliniques. Certains enfants, très tôt, dès l’âge de 6 mois, ont des douleurs dans la paume des mains et la plante des pieds, qu’on appelle « syndrome pied main ». Ce qui peut faire penser à la drépanocytose. Mais chez d’autres, les symptômes sont plus discrets et découverts un peu tard. C’est le cas par exemple de l’infection qui est très fréquente chez l’enfant drépanocytaire, mais dont on ne se rend pas toujours compte, provoquant très souvent des complications. Ces complications d’ailleurs peuvent constituer des circonstances de diagnostic comme quand les enfants développent des lithiases biliaires  (une sorte de caillou qui se forme et bloque  la voie biliaire). C’est très douloureux et très dangereux chez l’enfant drépanocytaire. Dans d’autres cas également, les enfants peuvent devenir aveugles de façon brutale du fait  de l’action des globules rouges falciformés qui peuvent aller au fond de l’œil et traumatiser la rétine, qui est la membrane essentielle de la vision. Si cette membrane se décolle du fait de la drépanocytose, l’enfant peut ainsi devenir subitement aveugle. C’est pourquoi il est très important que l’enfant drépanocytaire soit suivi au niveau médical.

 

 

 

Comment se fait le diagnostic ?

 

 

 

Si les parents sont connus porteurs de certains gènes drépanocytaires, ça oriente vers un examen important qu’on appelle l’électrophorèse de l’hémoglobine, réalisable dans tous les centres de santé, en l’occurrence les CMA, les CHR, les CHU et dans les laboratoires. C’est un examen assez accessible géographiquement et financièrement (en moyenne 2500 F CFA)

 

 

 

Qu’est-ce donc l’électrophorèse ?

 

 

 

C’est un examen biologique qui se fait au laboratoire et permet de définir les types d’hémoglobines que possède une personne. L’hémoglobine normale étant AA, ça permet de dire si on a des hémoglobines normales ou anormales.

 

 

 

Quand est-ce qu’une hémoglobine est dite anormale ?

 

 

 

L’hémoglobine anormale est le S, celle autour de laquelle se définit la drépanocytose. Sur cette base, lorsqu’une personne à une seule hémoglobine anormale dans son sang, ça peut être, par exemple, O, S, C, elle n’est pas drépanocytaire, mais peut transmettre  la drépanocytose. Je parle des gens qui sont AC, AS, AÕ (O arabe, ndlr). Par contre lorsqu’une personne a une hémoglobine S associée à une hémoglobine anormale, cette personne est drépanocytaire majeure et peut donc développer des crises. Ce sont généralement les personnes des groupes sanguins SS, SC, SÕ, SBèta.  Ces personnes doivent être suivies de façon rigoureuse.

 

 

 

Y a-t-il un  âge recommandé pour faire cet examen ?

 

 

 

L’idéal c’est de le réaliser à l’âge néonatal. Sous certains cieux, en France notamment, les bébés qui sont nés d’un parent provenant de nos zones (l’Afrique en l’occurrence, la race noire étant la plus exposée), l’électrophorèse est réalisée systématiquement à la naissance. Cela permet de poser un diagnostic rapidement et de suivre l’enfant. Dans nos contrées, le souhait est qu’on puisse le faire le plus tôt possible. Pour moi, la question qui doit donc être posée, c’est : à quel âge il ne faut pas faire l’électrophorèse ? Il ne faut pas le faire juste quand on veut se marier, dans le cadre du bilan prénuptial obligatoire, car à ce moment, même les résultats ne sont pas contributifs dans la construction du foyer.

 

 

 

Qui doit connaître son électrophorèse ?

 

 

 

La drépanocytose, comme déjà souligné, est beaucoup fréquente dans la race noire, et dans ce contexte, tout le monde devrait connaître son électrophorèse. Les enfants, en particulier, doivent connaître leur électrophorèse comme ils connaissent leur nom.

 

 

 

Le froid, on le sait, est favorable aux crises drépanocytaires. Quels conseils aux malades ?

 

 

 

Effectivement, il fait actuellement un temps qui n’est pas agréable aux drépanocytaires en particulier. Lorsqu’il fait froid, le sang circulant dans les vaisseaux, ces derniers diminuent de calibre, et on parle de vasoconstriction. Et les globules rouges falciformés qui arrivent se bloquent plus facilement. C’est pourquoi c’est en période de froid que les enfants drépanocytaires font plus de crises. La douleur est osseuse parce que c’est dans les os qu’il y a les plus petits vaisseaux. Il est donc important de protéger ces enfants du froid, en les lavant avec de l’eau chaude, en les nettoyant bien, en leur faisant porter des habits lourds et en les gardant au chaud. Il faut en plus leur faire boire beaucoup d’eau, car moins l’enfant drépanocytaire boit, plus il développe des crises.

 

 

 

On sait aussi que vous êtes responsable d’une association qui lutte contre cette maladie. Quelles sont les actions que vous menez dans ce sens ?

 

 

 

Notre association, la Chaîne de solidarité pour la santé et l’éducation (CSSE), existe depuis 18 ans et place en effet la lutte contre la drépanocytose au centre de ses activités. Pendant longtemps, nous nous sommes battus pour sensibiliser mais on s’est rendu compte que cette façon de faire n’est pas très évidente. Nous avons donc décidé, ces derniers temps, de travailler à la prévention par le dépistage précoce de l’électrophorèse de l’hémoglobine. Cela, parce que nous nous sommes rendu  compte, de par les séances de dépistage que nous avons organisées, que 30% des enfants ont au moins une hémoglobine anormale, ce qui est énorme. Cette année, avec l’accompagnement de partenaires belges, suisses et burkinabè, nous avons alors développé un projet de prévention par le dépistage et avons comme objectif de dépister 3000 enfants. Cela va permettre de doter chaque enfant d’une carte d’électrophorèse. Le projet a été lancé le 21 novembre passé en présence des autorités du ministère de la Santé, de l’Education et de nos partenaires. Et nous comptons réaliser ces dépistages d’ici la fin de l’année scolaire 2018-2019.

 

Nous sommes convaincus que, plus tôt l’enfant connaît son électrophorèse, mieux il pourra être pris en charge. Quand l’enfant a une hémoglobine anormale, il peut prendre ça en compte et quand il s’agira de choisir son conjoint ou sa conjointe, il pourrait considérer cette donne en pensant à sa descendance. Et s’il est drépanocytaire majeur, il va se faire prendre en charge très tôt et éviter les crises et les complications. Aujourd’hui l’enfant drépanocytaire connu et suivi peut vivre sa vie comme les autres et même vivre longtemps.

 

 

Alima Séogo née Koanda

 

Tél. : 79 55 55 51

 

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