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EDITION DE LA NATIVITÉ : L’Enfant du Sahel est-il le Sauveur ?

 

Qui est cet enfant né dans un enclos, la nuit de la Nativité, d’une jeune femme venue du Sahel ?

 

Les gens regardaient avec étonnement passer cette étrange famille qui venait de loin. Devant, marchait un vieil homme et suivait une jeune femme juchée sur un âne. Ensuite, suivaient un bœuf et un chien amaigris par la longue marche.

 

 

Le vieil homme s’appelle Youssoupha, c’est un charpentier, et la belle jeune fille est sa femme, elle se nomme Maïrama. Ils fuyaient  Nassoumbou, un village au nord du Burkina Faso, où des hommes barbus et méchants attaquaient souvent le village, tuaient les habitants et volaient le bétail. Après leur passage, venaient les militaires qui s’en prenaient aussi aux habitants, les malmenaient, les accusant d’être les complices des barbus.

 

C’est dans ce contexte difficile qu’un matin de décembre, Youssoupha entendit une voix qui lui intima l’ordre de quitter son village pour amener sa jeune femme enceinte à Ouagadougou, loin de la violence du village. Il a rassemblé ce qui lui restait comme bétail, c’est-à-dire un bœuf, un âne, et un chien et avec son épouse, il a pris la route de la capitale. La voix venue du ciel  lui disait qu’il se devait offrir une vie plus sereine à sa jeune épouse et à leur enfant qui viendrait bientôt au monde.

 

C’est ainsi que, depuis plusieurs jours et nuits, Youssoufou marchait avec sa femme et ses bêtes. Chaque nuit, il apprêtait une couche sommaire avec de la paille pour sa femme sous un arbre, au flanc d’une dune ou  dans un abri précaire. Quand ils avaient faim, il cueillait des fruits dans la brousse ou trayait le lait de la vache pour son épouse, son chien  et lui. L’âne et le bœuf profitaient de ces longues haltes pour brouter le tapis d’herbe ou les tiges mortes dans les champs.  C’est ainsi qu’ils traversèrent  villes et villages, bravèrent le froid, le vent, le soleil et les dangers de la route. Et une nuit, Youssoupha a dit à Maïrama :

 

-                Regarde les lumières qui brillent au loin, c’est Ouagadougou. Nous allons dormir ce soir ici, à l’entrée de Kamboinsé et demain, nous entrerons dans la capitale.

 

Maïrama descendit difficilement de l’âne et fit une grimace. L’âne comprit que sa maîtresse

 

-                L’enfant bouge beaucoup, je crois qu’il viendra ce soir.

 

Youssoupha chercha un endroit où dormir et vit un enclos abandonné, il prit de la paille qu’il étendit sur le sol, posa dessus un pagne de cotonnade et aida sa femme à s’étendre.

 

-                Je vais aller chercher une femme pour t’aider dans ton travail, je reviens bientôt.

 

Il partit vers une chaumière au loin où brillait la lueur d’un foyer. La cloche de minuit sonna dans la chapelle du village, on entendit en même temps un cri de bébé, pas un pleur mais un cri joyeux. Le bœuf et l’âne s’approchèrent du nouveau-né. Ils virent que Maïrama dormait et que le petit était là, un visage angélique, des yeux pétillants de bonheur.

 

Le bœuf et l’âne firent écran de leur corps pour protéger la mère et l’enfant du vent  froid de la nuit et approchèrent leurs museaux du bébé pour que leur souffle chaud le réchauffe. Le chien aussi s’approcha, et avec sa queue se mit  à faire l’éventail, il fouettait l’air, en agitant la queue en haut, en bas, à gauche et à droite. Ainsi, il voulait chasser les moustiques et les bestioles, loin de l’enfant.

 

Mais très vite, les animaux se rendirent vite compte que leurs actions étaient inutiles. En effet, l’âne et le bœuf sentirent que  l’air se réchauffait naturellement,  et le chien constata que les moustiques et les autres bestioles étaient là mais se tenaient à bonne distance du nouveau-né, formant une sorte de rideau comme pour le protéger. Les animaux sentirent aussi que des êtres invisibles virevoltaient et dansaient dans l’air, tout autour de l’enclos. L’âne sentit sur son museau le frôlement doux d’une aile, il se dit que ce devrait être des anges qui venaient voir le nouveau-né.

 

 

 

Les Rois mages  roulaient dans une Jeep

 

 

 

Youssoupha revint accompagné d’une vieille femme, voûtée et marchant difficilement. Il l’avait trouvée seule dans la cour, tous les autres étaient partis à la chapelle pour la messe de Noël. C’est ainsi qu’ils comprirent que cette nuit était celle de la Nativité.

 

Dès qu’elle vit l’enfant, elle se signa et tomba à genoux devant l’enfant. L’enfant aussi la regarda comme s’il la connaissait.  Le visage de l’enfant luisait doucement dans la nuit. La vieille effleura de son maigre doigt racorni, la main tendue de l’enfant et ensuite se releva. Elle offrit  une pomme du Sahel à l’enfant. Quand elle se releva, elle ne semblait plus voûtée, ni vieille, elle se tenait droite.

 

-                Baptisez-le Issa. Moi, je suis Awa, la mère de l’humanité, dit-elle, avant de repartir dans la nuit.

 

Les animaux constatèrent, en levant la tête au ciel, qu’il y avait une grosse étoile au-dessus de l’enclos. Elle ressemblait à un gros projecteur qui éclairait la couche de l’enfant.  C’est d’ailleurs cette étrange étoile qui intrigua le Colonel Melchior qui revenait de Djibo et s’arrêta devant l’enclos. Trois militaires descendirent de la jeep vert olive et s’avancèrent vers l’enclos. Le bœuf et l’âne se serrèrent les flancs pour leur fermer l’accès et le chien aboya en retroussant ses babines pour les effrayer. Mais Youssoupha, à la vue des visiteurs, leur demanda de les laisser passer.

 

Les trois militaires se présentèrent au couple. Il y avait le sergent Gaspard, un jeune homme  qui était le chauffeur de l’équipe, le lieutenant Malick, l’aide de camp et le Chef du bataillon antiterroriste, le vieux Colonel Melchior. Le Colonel expliqua qu’il avait suivi l’étoile au-dessus de l’enclos. Dès qu’ils virent l’enfant couché dans son berceau de fortune, et que leurs  regards croisèrent celui, paisible et accueillant de l’enfant,  les trois hommes, sans rien se dire, retournèrent à leur voiture. Ils en revinrent les bras chargés de cadeaux. Ils déposèrent devant l’enfant et ses parents un couvre-pied bien épais, un chandail  pour Maïrama, une veste treillis pour Youssoupha, et des boîtes de sardine, du pain, une lampe à gaz  et une gourde de café bien chaud.

 

Avant de quitter l’enclos, le colonel proposa d’amener le couple et son enfant à l’infirmerie du camp de Kamboensin, mais Youssoupha déclina gentiment l’offre, il ne voulait pas abandonner  leurs fidèles compagnons que sont l’âne, le bœuf et le chien. Les trois s’inclinèrent devant l’enfant qui leur souriait avant de quitter l’enclos.

 

Dès qu’il mit le moteur en marche, Gaspard regarda droit devant lui et dit à la cantonade.

 

-                Cet enfant  né à Noël, on dirait le petit Jésus qui est de retour.

 

Et le lieutenant Malick de lui dire, dans un grand rire :

 

-                Arrête de dire des bêtises…Si cet enfant est le petit Jésus, nous, nous  sommes donc les Rois mages…

 

Quant au Colonel, il continuait de se taire, le regard lointain comme absorbé par une profonde réflexion. Le vieux soldat songeait à l’étrange coïncidence entre la naissance de Jésus et celle du petit Sahélien. A la présence de l’âne, du bœuf et de l’étoile ainsi qu’au hasard qui les a mis, eux trois comme les trois mages, sur la route de cette famille. Il se dit au fond de lui-même :

 

-                On dit que tous les miracles sont possibles pendant la nuit de la nativité, il faut croire comme Gaspard que cet enfant qui nous est né cette nuit est le petit Jésus du Sahel et qu’il nous aidera  à ramener la paix dans notre pays…

 

Pendant que la jeep roulait lentement  dans la nuit, le Colonel sentait confusément que toute la nature vibrait d’une grande allégresse en cette nuit de la nativité.

 

 

Saïdou Alcény Barry

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