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Edito de fin d'année : Les petits fours attendront

Aussi loin que remonte notre mémoire de journaliste, on n’avait jamais vu ça depuis un quart de siècle dans les annales de la république. La traditionnelle cérémonie de présentation des vœux des corps constitués au chef de l’Etat, qui devait avoir lieu le 28 décembre 2018, a été reportée.

 

Sage décision du président Roch Marc Christian Kaboré après que dix gendarmes furent tombés dans une embuscade alors qu’ils partaient faire les constatations d’usage suite à l’incendie d’une école à Toéni dans la province du Sourou, région de la Boucle du Mouhoun. Les petits fours attendront donc et la décence est sauve. Qu’est-ce qu’elles auraient fait tache dans la mare de sang toujours fraîche, les images du Tout-Etat ripaillant dans la bonne humeur alors que les derniers morts en date de nos Forces de défense et de sécurité n’avaient même pas encore été enterrés !

Il n’ y a effectivement pas de quoi pavoiser, tant l’année 2018 se termine comme elle avait commencé : dans le sang, particulièrement celui de nos FDS, souvent tombées à la fleur de l’âge. Il en a été ainsi aussi en 2016 et en 2017, puisque cela fait maintenant trois maudites années que cette tragédie se joue dans la « patrie des hommes intègres ». L’année qui se termine n’aura, de ce fait, pas échappé à la règle sanglante. Et même  que la situation va de mal en pis.

D’abord parce que le  cancer a  fini par se métastaser à partir de là où il s’était déclaré pour gagner tout le territoire, notamment l’est du pays.

Même s’il y a une violence résiduelle, le Sahel, le Soum en particulier, est même devenu relativement «sous contrôle», comme qui dirait, peut-être à cause de la disparition du gourou d’Ansarul islam, Ibrahim Mallam Dicko, et de la concentration des FDS dans la zone.  Aujourd’hui, le danger vient de partout, ainsi qu’on l’a vu jeudi dernier à Toéni, une démultiplication des fronts qui rend encore plus compliqué  l’investissement de nos militaires, gendarmes et policiers. Et, pour ne rien arranger, ils sont également pris sous les feux nourris des experts autoproclamés de l’art militaire, qui parlent bien souvent de ce qu’ils ne savent pas.

 Ensuite parce que après  les attentats aveugles  contre de paisibles populations civiles qui, pour emprunter une expression qui a bon dos, étaient «au mauvais endroit au mauvais moment au mauvais», comme ce fut le cas au Splendid-Cappucino puis à Istanbul, les cibles se sont faites  plus précises depuis , les terroristes se concentrant sur les militaires et les gendarmes en première ligne dans cette guerre contre un ennemi  invisible comme s’ils voulaient amputer l’un des bras séculiers de l’Etat de ses membres valides. Des FDS qui ne savent plus où donner de la tête et qui peinent manifestement à trouver la meilleure parade contre les prétendus djihadistes, à moins que ce ne soit le politique qui soit dépassé par les événements.

C’est à se demander en effet si certains responsables sont à la hauteur de l’enjeu, eux qui semblent sombrer dans l’insouciance en  participant à un concours indécent de ZABRI (1),  comme aurait dit Nobila Cabaret, alors même que les fantassins tombent telles des mouches. On en est du reste à se demander ce que diable le locataire de Kosyam, trois ans après son arrivée aux affaires, attend pour donner un véritable coup de balai gouvernemental, tout copinage mis à part, pour donner au moins à ses compatriotes l’illusion du changement. En commençant par les ministères régaliens de la Sécurité et de la Défense. Pas que la mine de Clément Pingdwendé Sawadogo et de Jean-Claude Bouda ne nous revienne ou que, plus que d’autres, ils soient tenus pour responsables de la chienlit sécuritaire dans laquelle nous pataugeons  mais,  dût-il se parjurer, lui qui avait imprudemment promis de ne pas avoir de militaires dans son gouvernement, n’est-il pas mieux pour le premier magistrat  burkinabè, dans un Etat fragile comme le nôtre, de confier ces maroquins à un gendarme et à un militaire ?

Après tout, si on peut les nommer gouverneurs, comme c’est le cas justement à l’Est et au Sahel, pourquoi ne pourraient-ils pas revenir dans le saint des saints qu’ils n’avaient jamais quitté depuis Lamizana ? Une promesse présidentielle, ce n’est tout de même pas un dogme, ce n’est pas  l’Immaculée conception des chrétiens ou la Chahada des musulmans qui sont insusceptibles de remise en cause par le croyant sous peine d’excommunication.  La grandeur d’un homme d’Etat, c’est aussi de savoir revenir sur ses pas quand il s’est  fourvoyé.  

  Enfin, troisième élément tangible qui montre  la détérioration de la situation sécuritaire, aux armes automatiques sont venues s’ajouter les engins explosifs improvisés, ces mines artisanales dont notre sol est désormais hérissé.

Le tableau national est, on le voit, on ne peut plus sombre. Le drame, c’est qu’il n’y a aucune raison, sans verser dans la sinistrose, pour que l’hécatombe ne continue pas en 2019 car on ne voit poindre nulle part la moindre lueur d’espoir.

Tout comme va continuer de s’enflammer le front syndical en ébullition ces douze derniers mois, avec  ces grèves perlées, en l’occurrence celles de la puissante coordination des syndicats du ministère de l’Economie et des Finances, autrement dit ceux et celles qui tiennent nos bourses et qui savent appuyer où ça fait mal.

Et à l’orée de la nouvelle année, les troupes du « général » Kadiogo ( SG de la CS-MEF ndlr) sont de nouveau en ordre de bataille suite au plafonnement par la loi de finances des fameux  Fonds communs de la discorde. Ajoutez-y les enseignants du primaire qui menacent, eux aussi, de refaire la grève de la craie pour protester contre les promesses non tenues du gouvernement ; les magistrats, qui, dit-on , tiendront dès début  janvier un « conseil de guerre » préventif en prévision de la mise à plat des traitements et salaires des fonctionnaires dont ils pourraient pâtir ; les GSP qui ruent dans les brancards… mélangez donc tous ces ingrédients potentiellement explosifs et l’on comprend que la trêve sociale n’est pas pour demain.

Que les syndicats, dont la raison d’être est la défense des intérêts  matériels  et moraux de leurs membres, luttent pour « l’amélioration des conditions de vie et de travail » qui sont, il est vrai, épouvantables pour certains, quoi de plus normal. Sauf qu’à brandir tous les jours la grève qui devrait être l’arme ultime, ils finissent par la banaliser et à nourrir une suspicion légitime sur leurs motivations, qui sait,  inavouables.

De plus, il faut être conséquent avec soi-même. Peut-on en effet réclamer indéfiniment le beurre, le prix du beurre et le c… de l’argentière, même pour ceux qui ne seront pas les premiers à mourir en cas de disette, et s’étonner dans le même temps que les taxes et impôts pleuvent ; que le prix de l’essence augmente, autrement dit que le gouvernement, qui sait toujours retirer d’une main ce qu’il a donné de l’autre, trouve dans toutes les niches fiscales possibles et imaginables, les ressources internes indispensables pour soutenir l’effort salarial devenu insupportable du fait des revendications tous azimuts ? Le problème, c’est qu’à cadeauter  quelque deux cent mille agents du public, ce sont 22 millions de Burkinabè qui   trinquent.

Inutile donc de se bercer d’illusions, malgré les vœux  tout ce qu’il y a de convenu  qu’on échange en cette période ; nonobstant les souhaits de santé, de prospérité, de succès, bref de bonheur que nous ne pouvons que formuler à l’intention de nos lecteurs et de tous nos compatriotes, 2019 sera tout aussi rude, sinon plus. Hélas, ça fait maintenant  un moment que l’insécurité, «fidèle comme une ombre», pour reprendre les mots de Moustaki,  est devenue, pour notre malheur, notre compagne de tous les jours.

 Qu’avons-nous bien pu faire à Iyad Ag Ghali (qui a revendiqué la boucherie de Toéni)   et à tous les criminels  de son acabit ? Quel crime aussi inexpiable avons-nous bien pu commettre pour mériter pareil châtiment et quand donc prendra fin notre calvaire ? Allah seul le sait, car lorsque les geckos prennent possession de votre demeure, les meilleurs insecticides du monde ne suffisent pas toujours à les en déloger. 

La Rédaction

        

(1) Zone d’Aménagement de Bunkers et de Résidences Inaccessibles

Dernière modification lejeudi, 03 janvier 2019 22:27

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