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Procès putsch manqué : Le général se tait, ses avocats démontent les écoutes

Au 7e jour de l’audition du général Djibrill Bassolet, les lignes n'ont véritablement pas bougé. Ce 14 janvier 2019, la partie civile a dit tout le mal qu'elle pense de la ligne de défense de l’accusé qui, selon elle, refuse d’entrer dans les débats de fond qui permettraient d’étayer les chefs d’accusation. Pour sa part, la défense, elle, s'est ingéniée à démontrer que les écoutes téléphoniques qui constituent « les seuls éléments à charge » ne sont que du montage  commandité dans les officines politiques.

 

 

La première personne à prendre la parole hier matin a été Me Pierre Yanogo de la partie civile  qui est revenu sur les débats concernant la légalité des écoutes querellées en martelant : "C'est après la commission d'infraction que l'on recherche les éléments constitutifs de ladite infraction. Dire qu'aucun juge n'a autorisé les écoutes n'a aucun sens juridique, car tout le monde sait que les écoutes sont indispensables à la sécurité de l'Etat et peut-on faire des renseignements sans en faire un usage juridique ? Même si les écoutes sont dans le domaine public, cela n'enlève en rien leur caractère infractionnel. La défense du général n'existe pas dans le fond mais sur des questions de forme. Elle consiste à dire que les écoutes sont illégales et sauvages mais elle n'a jamais dit que l'accusé n'a pas tenu les propos ressortis dans les retranscriptions. C’est une défense qui s'appuie sur le discrédit de la justice. Elle veut un procès où seules ses règles à elles prospèrent ; mais nous n'accepterons pas qu'elle nous impose la règle du jeu".

 

"Nos clients ne sont pas à vendre"

 

Son confrère Séraphin Somé se veut encore plus virulent : "l'accusé clame son souci de recherche de la vérité mais refuse d'y participer, il dit que nous sommes virulents, mais les balles des putschistes n'étaient pas des roses, elles étaient mortifères. L'accusé dans son for intérieur veut que nous trahissions la confiance de nos clients, ça, ce n’est pas possible. Pourquoi cette posture ? Parce qu'il n'est pas n'importe qui : il fut ministre de la Sécurité, ministre des Affaires étrangères ; haut représentant du chef de l'Etat dans des négociations, il est un homme politique. Comme il est poursuivi pour des infractions particulièrement graves et infamantes, il veut défendre son image aux yeux de l’opinion. Il utilise le procès comme une tribune politique pour dire que si on le condamne, c'est parce qu'on lui en veut ; c'est de la manipulation".

Puis l’avocat a égrené des dispositions pour justifier les écoutes et ainsi prouver qu'elles  sont loin d'être   illégales : l'article 69 du décret du 13 juillet 2013 sur la sécurité, l'article 35 de la loi du 27 novembre 2018 sur les téléphonies mobiles. "C'est déraisonnable de dire que c'est illégal et soutenir que c'est fabriqué, il veut qu'on fasse du mouta mouta en donnant de l'argent aux victimes, mais nos clients ne sont pas à vendre, il tente de manière indécente de faire l'apologie de l'impunité en oubliant que les choses ont changé".

Face à toutes ces charges, le général n'a pas daigné faire le moindre commentaire, laissant le soin à ses avocats de riposter.

Premièrement par la voix de Me Antoinette Ouédraogo : "Ce procès est hors norme dans la mesure où on accable le général de tous les noms d'oiseau, mais personne n'a la morale plus que l'autre ici, le parquet reproche à mon client de revenir sur les sujets qui ont fait l'objet de débat devant la chambre de contrôle mais aucune décision n'est insusceptible d'être débattue devant vous. Monsieur le président, si on veut faire une saine application de la loi, il faut l'admettre. Ce qui est indécent, c’est de prendre une pièce illégalement obtenue contre un accusé, c'est ça qui est scandaleux. L'administration de la preuve doit se faire de manière loyale sans ruse ni stratagème comme le dit la jurisprudence française. Une pièce donnée par Isaac Zida qui lui-même est partie au procès, quelle peut être sa crédibilité ? Vous parlez de renseignements pour protéger le pays, c'est bien, mais où est passée cette matière grise qui s'y connaît pour nous laisser compter maintenant chaque jour des morts ? Les ministres auditionnés, comme Amadou Nebila Yaro, Salifou Dembélé, Jean Claude Somda, ont tous dit avoir écouté des enregistrements le 25 septembre 2015. Mais le parquet a du mal à prouver que ce ne sont pas des pièces du 25 septembre qui ont été versées dans le dossier", a conclu Me Antoinette Ouédraogo.

Sa consœur de la défense Me Mireille Barry précisera justement que les enregistrements expertisés datent du 27 septembre alors que les ministres parlent déjà desdits enregistrements 2 jours plus tôt. En plus, selon la défense, le rapport d'expertise n'a pas pris en compte tous les enregistrements, notamment celui concernant la " supposée" conversation entre Guillaume Soro et Bassolet. Pire, selon Me Barry, il n’y aurait pas de concordance entre les transcriptions des officiers de police judiciaire et celles de l'expert.

Me Dieudonné Bonkoungou, autre conseil du général Diendéré, s’est étonné que le parquet veuille se cantonner à charger, alors qu'il doit retenir aussi les éléments qui déchargent l'accusé : "Si le parquet peut demander des circonstances atténuantes, ou même la relaxe, ça veut dire que son rôle ne se limite pas à charger sinon il ne représenterait pas la société".

C'est Me Yérim Thiam, également avocat du général, qui a bouclé la soirée par ses observations (cf. encadré). Aujourd'hui on poursuivra avec le même accusé.

 

San Evariste Barro

Abdou Karim Sawadogo

J. Benjamine  Kaboré

 

 

Encadré

« Le fabricant du produit »

 

Dans une interview du 3 décembre 2015, l'ancien Premier ministre Isaac Zida a affirmé que « les écoutes sont authentiques » et qu'il ne pouvait pas y avoir de débats là-dessus.  "Ça se comprend, le fabricant connaît bien son produit. Comment un membre de l'Exécutif, en dépit de la séparation des pouvoirs, peut faire de telles affirmations alors même que la procédure est en cours ?" s'est demandé Me Antoinette Ouédraogo.

 

A.K.S.

 

Encadré

« Si j'avais le pouvoir... »

 

Si le général est resté peu bavard, se murant même souvent dans le silence, il a toutefois tenu à préciser son idée sur la gestion militaire de cette crise née au RSP en septembre 2015. Il a affirmé que s’il était à la place des autorités militaires, il n'aurait pas signé un ordre de poursuite de ses frères d'armes alors qu'ils ont participé à un processus de sortie de crise qui a abouti à un accord au sein de l'armée et ce, pour garder la cohésion au sein de cette institution. « Je suis pragmatique, je n’entre pas dans les considérations morales et philosophiques. Dans notre contexte, l’Etat pouvait donner de l’argent aux familles. Si j'ai cité la somme de 10 millions, c'est juste un exemple. Aider les familles à se prendre en charge n'est pas une mauvaise chose. On pouvait reconstruire le tissu de notre armée et s'occuper aussi de la réparation. Pour moi, on gagnerait mieux que ça ».

 

A.K.S.

 

Encadré

Les observations de Me Thiam

 

Me Yérim Thiam, pour défendre son client, a fourré le nez dans la retranscription des écoutes téléphoniques qui l’accablent. L’avocat a balayé tout ce qui est du président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro, et gardé les propos de son client. Et selon lui, il est composé essentiellement de « hummm ; ouh ouh ; oui oui ; ah bon ; voilà…» soit 45 fois oui oui, 22 fois ah bon, d’accord 10 fois, etc. « Et comment avec une telle conversation on peut comploter contre tout le Burkina ? », a questionné l’avocat avant d’indiquer que jamais les humm, humm n’ont constitué un dossier solide et « ce n’est pas au Burkina que ça va commencer ».

L’avocat s’est aussi dit intrigué par le fait qu’à plusieurs reprises, la partie civile, pour s’adresser au général Bassolet, dit « eux ». « M. Bassolet, c’est qui eux ? », a-t-il demandé à son client. Et ce dernier de répondre qu’il a l’impression que la partie civile fait allusion à lui ainsi qu’à d’autres accusés qui faisaient partie de l’ancien régime. « Sommes-nous au procès de l’ancien régime ? » a demandé l’avocat sénégalais.

Le fait que le général a donné 5 millions à Ismaël Diendéré, le fils du présumé cerveau du coup de force, selon Me Yérim Thiam, n’est qu’un simple geste anodin qui n’a rien à voir avec un accompagnement du coup d’Etat d’autant plus que selon l’avocat, son père venait de dépenser 85 millions pour le financement. « M. Bassolet, est-ce que 5 millions suffisent pour financer un coup d’Etat ? ». Réponse du général « Je n’en ai pas connaissance, mais cela me semble dérisoire. Celui à qui j’ai donné l’argent est comme un fils. Il m’avait fait cas de ses difficultés, donc je l’ai aidé. Je pense que son papa n’en était même pas au courant », a déclaré le mis en cause.

L’ancien bâtonnier du barreau du Sénégal n’a pas manqué de donner l’occasion à son client de s’exprimer sur ses conditions de détention. A en croire le général de brigade, « C’est une prison taillée sur mesure avec une restriction de liberté parfois plus contraignante qu’à la MACA », a-t-il indiqué avant d’ajouter que, du jour au lendemain, on lui a interdit de jouer à la pétanque dans cette même cour.

« Avez-vous réveillonné avec votre famille ? » a voulu savoir son conseil. L’accusé a indiqué qu’il n’a pas eu ce privilège. Ses enfants sont rentrés du Canada, et avec sa femme, ils ont fait la demande de passer quelques heures avec lui, mais cela a été peine perdue, selon celui qui est en détention depuis quatre ans.

 

J.B.K.

 

Encadré

« J’ai connu Zida grâce à Soro »

 

A chaque audience, il y a des révélations que les accusés laissent échapper soit pour sauver leur peau, soit par lapsus. De l’audience d’hier, ce que l’on peut retenir comme révélation, c’est que Zida aurait lâché les écoutes qui incriminent le général Bassolet à cause d’une affaire qu’il aurait traitée avec Soro et qui n’a pas marché. Et comment est-ce possible ? Celui qui est à la barre a indiqué qu’il a connu Zida grâce à Guillaume Soro. Ce dernier, lors d’une visite au Burkina, lui a présenté le lieutenant Yacouba Isaac Zida comme son frère. «Guillaume m’appelait souvent pour recommander particulièrement Zida. Et après, les choses se sont détériorées entre eux jusqu’à ce qu’il y ait ces écoutes», a affirmé le général de brigade avant d’indiquer que tout cela lui a permis de comprendre qu’il y avait de la manipulation de la part de Zida.

 

J.B.K.

 

 

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