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Christophe Dabiré nouveau PM : L’âge du capitaine peut-il être un handicap ?

Ce n’est sans doute pas pour rien qu’on parle d’oiseau rare. Tellement rare qu’il aura fallu pas moins de quatre jours pour le dénicher de la faune politique burkinabè.

 

Quatre-vingt seize heures après la démission du Premier ministre Paul Kaba Thiéba, le président du Faso a en effet signé hier un décret nommant à ce poste Christophe Joseph Marie Dabiré. Remarquez, le président Roch Marc Christian Kaboré aime prendre son temps puisqu’après son investiture le 29 décembre 2015, il avait mis une bonne semaine à nommer son chef de gouvernement, et plus d’un mois si on considère la date de son élection.

Bien qu’il n’ait pas eu vraiment d’excuse en son temps parce que son élection ne fut pas, à proprement parler, une surprise, on pouvait comprendre que l’accouchement fût long au regard du contexte socio-politique de l’époque. On sortait en effet de deux années de turbulences qui ont vu l’ancien président Blaise Compaoré balayé par une insurrection populaire pour avoir voulu disputer le match de trop.

Puis il y eut le coup d’Etat du général Gilbert Diendéré, mis en pièce par le peuple insurgé et une partie de l’armée. Les cartes avaient donc été tant battues et rebattues que le premier magistrat, porté par une coalition hétéroclite au pouvoir, devait peser et soupeser une décision qui pouvait déterminer le cours de son mandat. Sans doute aussi, fallait-il en son temps s’accorder avec Salif Diallo (disparu depuis) Simon Compaoré et, dans une certaine mesure, consulter les responsables des partis qui ont soutenu sa candidature à la présidentielle.

Mais cette fois-ci on a beau chercher, on ne voit pas pour quelle raison le suspense durait autant. Car ce divorce à l’amiable entre le président du Faso et son fusible de service Paul Kaba Thiéba était forcément programmé, ne serait-ce que pour des raisons de respiration démocratique.

Dans le cadre d’un quinquennat, on ne voit pas comment le chef de l’Etat pouvait ne pas donner un second souffle à son action, surtout quand elle en avait bien besoin avec la crise sécuritaire que vit actuellement le pays. Restait donc le timing, question de trouver le bon moment, à supposer qu’il y en ait un. On imagine donc mal Roch surpris par le départ du PM. Et on pensait naïvement qu’avant de le libérer, il avait une ou des solutions de rechange entre les mains, quitte à ce que la composition du futur gouvernement prenne un peu plus de temps. 

En tout cas, ce temps de battement interroge. Peut-on en effet se payer le luxe d’un tel flottement institutionnel, une espèce de «laisse-guidon» gouvernemental qui pouvait conduire dans le décor alors que Rome brûle ? On n’avait déjà pas un chef d’état-major général des armées puisque celui qui vient d’être nommé, le général de brigade Moïse Miningou, n’a pas encore été officiellement installé - et donc reconnu comme tel par ses frères d’armes - et dans l’interrègne, son prédécesseur ne peut prendre d’importantes décisions. Idem pour ceux qui assurent l’exécution des affaires courantes dans les ministères.

Fin donc de la « vacance de pouvoir » avec la nomination de celui qui coulait depuis 2017 une paisible retraite après une carrière bien remplie. Economiste gestionnaire de formation, diplômé de l’université de Bordeaux, le désormais chef du gouvernement fut en effet plusieurs fois ministre, notamment de la Santé (1992-1997), puis des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique (1997-2000). A cela il conviendrait d’ajouter son expérience parlementaire pour avoir été sept ans élu CDP et président de Commission.

Roch donne donc l’impression, avec l’ancien député CDP de faire du neuf avec du vieux même si les mauvaises langues diront que tel est l’ADN même du MPP. A-t-il voulu faire un clin d’œil à l’ancien régime dans le sens de la réconciliation en cornaquant l’un de ses vénérables représentants qui ne traînent pas de casseroles  particulières ? Rien n’est moins sûr, car si l’intéressé lui-même semble en retrait de la politique active, son épouse, l’enseignante-chercheur Clémentine Dabiré est par contre membre du bureau politique du MPP.

Quoiqu’il en soit, le « prêtre raté » que trahissent ses manières onctueuses de chanoine mentalement bien structuré, condisciple, au petit séminaire de Nasso et au grand séminaire de Koumi, de Mgr Der Raphaël Dabiré, actuel évêque de Diébougou, a pour lui l’expérience, le sens de la mesure et de la pondération, la sagesse même, qui sait, indispensables à ce niveau de responsabilité. Mais ces vertus seront-elles suffisantes alors que ce dont nous avons besoin en ce moment, c’est d’un vrai « guerrier », d’un Premier ministre de combat qui aurait pu contrebalancer la bonhomie légendaire du président du Faso ?

Combat sur le front syndical en constante ébullition.

Combat dans le domaine macroéconomique avec l’indispensable maîtrise des dépenses publiques, particulièrement de la masse salariale ainsi que du train de vie de l’Etat et, pour avoir été à l’UEMOA de 2007 à 2017, le natif de Dissin dans le Ioba est bien payé pour le savoir.

Combat surtout sur ce champ de bataille où la vermine terroriste s’est incrustée un peu partout sur le territoire et, pour ne rien arranger, la défiance vis-à-vis de la puissance publique et de l’autorité de l’Etat va crescendo sans oublier ces écervelés qui veulent déchirer le contrat social intercommunautaire qui a été jusque-là la première richesse de ce pays.

Autant dire que c’est sur un champ de mines que s’aventure Christophe Dabiré et qu’il va lui falloir crapahuter. Du coup, nonobstant les précieux atouts dont il dispose, on en est à se demander si l’âge du capitaine – il a 71 ans – ne pourrait pas s’avérer un handicap dans le contexte actuel, car il faut qu’il soit physiquement au point et endurant pour supporter la charge, les longues nuits sans sommeil qui prolongent les interminables journées de travail quand les gens de sa génération s’exercent dans l’art d’être grand-père ou grand-mère.

Pour autant, et comme on ne reconnaît le bon maçon qu’au pied du mur, il faut se garder d’avoir des a priori dans la mesure où le PM est avant tout un chef d’orchestre qui met en musique la politique du président et qu’il convient d’attendre de voir le visage de sa future équipe pour se faire une idée plus juste de la volonté réelle de changement. Car s’il faut changer de Premier ministre sans toucher en profondeur au gouvernement, ça ne servirait pas à grand-chose.

 

Ousséni Ilboudo

Dernière modification lemardi, 22 janvier 2019 23:36

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