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Nomination Christophe Dabiré à la Primature : « Le PM ne changera pas la situation, il faut que Roch lui-même change » (Siaka Coulibaly)

Depuis le lundi 21 janvier 2019, le Burkina a un nouveau Premier ministre : Christophe Joseph Marie Dabiré, ancien ministre de Blaise Compaoré, a en effet été nommé en remplacement de Paul Kaba Thiéba, démissionnaire quatre jours plus tôt.

On n’attend plus que la composition de sa première équipe gouvernementale, qui devrait intervenir incessamment si ce n’est fait au moment où vous lisez cette interview.

En attendant, le politologue et activiste Siaka Coulibaly, que nous avons reçu hier à notre rédaction, tente de décrypter le choix présidentiel et pense qu’il faudra bien plus que ça pour que les choses bougent dans le contexte que nous connaissons.

 

 

Vous êtes l’un des éminents politologues de ce pays, avez-vous été surpris du choix porté sur Christophe Marie Joseph Dabiré ?

 

Oui et non. De toute façon il fallait trouver un Premier ministre. Et dans les options qui se présentaient au chef de l’Etat, en fonction de la situation qui se présente, oui, Christophe Marie Joseph Dabiré a l’un des profils qui faisait partie des options possibles : le profil du technocrate, avec une forte expérience de l’administration publique, de l’Assemblée nationale et des institutions internationales, notamment l’UEMOA. Sur le papier, il a aussi quelques atouts qui permettaient que le choix se porte sur lui. Non, par ailleurs parce qu’on sait aussi, avec le temps passé avec Roch Marc Christian Kaboré à la tête de l’Etat, que l’option politique pure, c'est-à-dire s’entourer des ténors et des poids lourds de son parti qui l’ont porté au pouvoir, n’était pas vraiment un choix pour lui. Il a souvent évité donc de s’appuyer sur ses collègues de parti. Cela explique un peu pourquoi il a opté pour Monsieur Dabiré. Mais oui parce que quand on fait le point de la situation du pays, il y a des foyers de tension qui nécessitent une personnalité que je qualifierais de plus opérationnelle, de plus active que le septuagénaire qui a déjà goûté à la retraite et qui, peut-être, va avoir du mal à suivre l’évolution rapide de la situation de ce pays.

 

A votre avis, qu’est-ce qui coinçait au point que le Président du Faso a mis 4 jours pour trouver le remplaçant de Paul Kaba Thiéba ?

 

Si on prend la situation objective, Paul Kaba Thiéba est considéré comme n’ayant pas réussi son « passage » au Premier ministère et il laisse une situation. Quand on fait le diagnostic de cette situation on voit tout de suite les grandes orientations, les grandes directions dans lesquelles le gouvernement et le pays tout entier doivent partir. Pour trouver une personnalité qui corresponde vraiment à la fois à la question sécuritaire et à celle économique, il faut avouer que même si on vous le demandait, cela allait être difficile. Il y a aussi les concertations que le chef de l’Etat mène pour trouver un nouveau Premier ministre.

 

Est-ce que cela n’est pas aussi dû au fait que notre démocratie n’est pas encore assez évoluée ? En France par exemple quand le ministre de l’Ecologie Nicolas Hulot a démissionné, on savait pratiquement déjà qui allait le remplacer. On forme même le gouvernement dès qu’on sait qui a gagné les élections !

 

Vous prenez l’exemple d’un pays très institutionnalisé où l’Etat est déjà bien organisé, où les institutions sont bien connues. Et au-delà de l’Etat, les acteurs qui animent l’Etat sont aussi organisés à travers les partis politiques, les hommes politiques qui ont une vision très claire de ce que c’est que l’Etat, son fonctionnement, les grandes orientations et qui sont prêts à tout moment à assumer des responsabilités parce que connaissant déjà le protocole d’animation de ces institutions. Ce qui n’est pas le cas au Burkina Faso. Nous sommes une société de démocratie en construction. Même si on a 60 ans d’Indépendance, on est encore une démocratie en construction au regard même des dernières années qu’on a vécues. Notamment le point de départ de l’ex-président Blaise Compaoré et la gestion qui en a été faite ont montré que l’institutionnalisation n’a pas été assez forte. Car on a une constitution qui prévoit la dévolution du pouvoir dans tous les scenarii, que ce soit l’élection qui change le gouvernement par alternance, que ce soit la disparition peut-être du chef de l’Etat, les scenarii sont prévus. Malheureusement on n’a pas respecté tout ça et on a ouvert une autre voie pour essayer de rattraper peut-être le temps perdu sous le régime de Blaise Compaoré. L’institutionnalisation, ce ne sont pas seulement les textes qui régissent les institutions parce qu’a ce niveau nous avons quand même accompli un chemin assez important. Le Burkina Faso est assez fort dans l’institutionnalisation formelle, la création des textes, etc. De ce point de vue, toutes les institutions qui relèvent de la démocratie libérale existent chez nous. Là où l’insuffisance est encore forte, c’est au niveau du mental, notamment des acteurs chargés d’animer les institutions. On s’est rendu compte que l’appropriation des textes n’est pas suffisante chez les acteurs qui en font une application très sélective. Quand ça les arrange, ils font référence à la loi. Mais une fois que ça ne les arrange pas, ils sont très enclins à sauter les verrous posés par la loi. Ce qui fait qu’il est assez difficile de s’en sortir dans certaines situations. C’est pour cette raison que le Président Roch Marc Christian Kaboré en 2016 a mis assez de temps, plus d’un mois, avant de nous doter d’un gouvernement. Ce n’est pas du tout normal dans la mesure où il était dans les arcanes du pouvoir. Il a donc pris part au processus qui a fait partir Blaise Compaoré. Et à la Transition, il était encore présent. Il était candidat depuis tout ce temps. Du coup il devait avoir son équipe toute prête, non seulement en matière d’identification des hommes et en matière même de capacité de ses hommes à assumer les responsabilités. Donc à chaque poste du secteur gouvernemental, il doit avoir trois ou quatre personnalités qui sont ministrables ou qui peuvent assumer des responsabilités. Et quand on le réveille la nuit il doit être en mesure, en très peu de temps, d’être opérationnel. Apparemment ce n’est pas le cas si bien qu’il a fallu attendre quatre jours pour avoir un Premier ministre. Et jusqu’aujourd’hui (NDLR : 22 janvier), peut-être qu’on va attendre toute la semaine sans avoir un gouvernement. Ce qui à mon sens, au vu des acteurs en présence, notamment le président Kaboré lui-même avec son expérience, ne s’explique pas.

 

Qu’est-ce que vous pensez du « ressuscité » de Dissin ?

 

L’individu, comme décrit par ceux qui l’ont connu de près et ont travaillé avec lui, serait quelqu’un d’assez ouvert avec des capacités techniques avérées et qui peut être aussi un homme de dialogue. Je pense que cela a dû jouer dans son choix. Mais il faut attendre de le voir à l’œuvre. D’abord à la première étape, c’est-à-dire la formation de l’équipe gouvernementale, on verra tout de suite s’il a pris la mesure de la situation. En fonction des hommes qu’il va proposer, on verra s’il a bien compris la situation où se trouve le Burkina aujourd’hui ; ensuite, après la formation de l’équipe gouvernementale, on va écouter ses propositions notamment à travers son discours. Là, on verra si Monsieur Dabiré est en mesure de relever les défis que les populations lui demandent de relever.

 

Vous qui connaissez si bien les arcanes politiques, savez-vous s’il est toujours membre du CDP ?

 

C’est une question qui est sans réponse jusqu’à présent.  On pensait qu’il était au CDP même s’il n’était pas très actif ces derniers temps. Je pense que ça fait six mois environ qu’on ne le voyait plus trop dans les réunions du CDP en particulier à la rencontre des anciens où Mélégué a été désigné coordonnateur du Haut Conseil. On aurait dû le voir à cette rencontre. Mais cela ne signifie pas qu’il n’appartenait plus au CDP puisqu’on n’a pas vu une déclaration le concernant. Comme ce sont des personnes, je dirai assez libres de leur temps, peut-être qu’il était en déplacement pour des raisons professionnelles, etc. Je ne peux pas répondre avec certitude à cette question sur son appartenance ou non au CDP.

 

Peut-être est-il membre du MPP ?

 

C’est pareil ! Si on ne peut pas certifier son appartenance au CDP, c’est pareil pour le MPP. Je ne vois pas son nom sur les listes des structures du MPP. On n’a jamais entendu dire qu’il appartient à ce parti. C’est un mystère qu’il appartient aux médias de nous aider à résoudre.

 

Est-ce que la donne ethno-régionaliste dont on parle souvent a pu jouer sur le choix de Dabiré ?

 

Je réponds par oui directement parce que je sais que c’est une préoccupation qui avait déjà cours sous Blaise Compaoré, qui, dans les trois pouvoirs, veillait à ce que l’un ou l’autre soit tenu par des  personnalités qui proviennent de localités différentes que celle du président. Dans l’équipe gouvernementale sous Blaise on tenait compte de ce paramètre. Maintenant surtout, à quelques encablures de l’élection présidentielle, on pense même qu’on risque d’avoir un gouvernement pléthorique  qui sera destiné à préparer les élections parce que c’était la coutume. A l’approche des élections on prend les gens de toutes les régions pour leur dire : « vous faites partie de la dynamique, il faut appuyer le choix du chef de l’Etat ». C’est une probabilité qu’on aura un gouvernement basé sur l’équilibre régionaliste.

 

Si vous deviez décrypter le choix présidentiel, quel message Roch Marc Christian Kaboré a voulu faire passer en nommant CJMD ?

 

Je vous ramène hors de votre réflexion. Vous vous intéressez trop à mon sens, à la question du choix du Premier ministre. C’est un peu exagéré. Dans notre modèle politique décrit par la constitution, le Premier ministre n’est pas une personnalité capitale. Il est celui qui va aider le Président à mettre en œuvre la politique pour laquelle il a été choisi par le peuple à travers le suffrage universel. Donc le contrat existe entre le peuple et le président Kaboré. Maintenant il désigne qui il veut.

 

Dans ce cas est-ce que la démocratie n’est pas viciée parce qu’en cas de problème, c’est le PM qui est chassé et non le président du Faso ?

 

C’est une sorte de limite de ce que nous avons copié in extenso du modèle français sans avoir réfléchi à ses tenants et à ses aboutissants. Le PM a été inventé lors de la Constitution de 1958. On voulait que le général De Gaulle relève la France avec l’autorité, mais en même temps il y avait une sorte d’instabilité politique à l’époque en France qui avait fait que, sous la Troisième et la Quatrième République, on avait eu à peu près un président tous les six mois. Pour protéger le général De Gaulle de cette effervescence, on a inventé ce Premier ministre fusible qui sautait à la place du président pour lui permettre de travailler. Nous avons pris le modèle sans tenir compte de notre contexte. Quand vous prenez la constitution, on a peut-être aménagé un espace. On dit : il est dépositaire du pouvoir réglementaire, il coordonne l’action gouvernementale. Mais c’est le chef de l’Etat qui préside le Conseil des ministres. C’est lui qui nomme le Premier ministre et les ministres. On a un pouvoir présidentiel. Le Premier ministre en réalité ne peut pas changer la situation dans laquelle on se trouve si le Président lui-même ne change pas. C’est le Président qui porte la responsabilité politique dans notre modèle. C’est pour ça que je ne m’intéresse pas trop à la formation du gouvernement. S’il le veut, il peut même mettre sa petite sœur. L’essentiel ce sont les résultats du programme pour lequel le peuple l’a choisi.

 

Le nouveau PM a tout de même 71 ans ; à votre avis son âge est-il un atout ou un handicap ?

 

Ça peut être les deux. C’est le président qui définit les orientations et qui décide. Ensuite, le Premier ministre agit sur ordre du chef de l’Etat et c’est lui qui est responsable de la politique qui est mise en œuvre.

Comme il a déjà assumé des responsabilités, il peut avoir une certaine pratique de l’animation des départements ministériels en particulier dans le domaine de la fronde sociale où on a compris que le gouvernement Paul Kaba Thiéba avait des limites en matière de dialogue social. Le dialogue entre les syndicats et les autorités posait problème indépendamment des contenus et de la satisfaction des revendications.

L’âge en lui-même n’est pas important puisqu’il cumule une certaine expérience. Cette expérience peut servir à diriger le dialogue social. Si vous prenez quelqu’un qui a quarante-cinq ans, il peut avoir une bonne foi, de grands diplômes mais il n’a pas l’historique des institutions. Il peut se planquer et je crois que cela a beaucoup joué dans l’équipe de Kaba. Il avait beaucoup de ministres qui n’avaient jamais été responsables. Cette pratique institutionnelle a manqué quelque part dans la gestion de certaines situations.

 

On rappelle volontiers que c’est quand il était ministre des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique qu’il y a eu l’année invalidée à l’université…

 

Cette année blanche n’a pas été considérée comme une lacune par le chef de l’Etat à l’époque puisque c’est le gouvernement qui avait validé cette année blanche. Le choix technique, je crois que ça vient des cadres du ministère. A l’époque on avait fait venir une équipe d’experts du Canada qui avait fait un diagnostic de la crise universitaire et avait, entre autres solutions, prescrit cela. Je ne mets pas au compte de Christophe Dabiré cette décision de faire l’année blanche. Il y a également qu’on l’a peut-être considéré comme quelqu’un de rigoureux, et c’est l’une des limites qu’il peut présenter aujourd’hui. Le contexte est très différent aujourd’hui. A l’époque il agissait dans le cadre d’un régime qui était très fort. Que Christophe Dabiré soit un expert ou pas, le régime lui-même permettait de surmonter certaines crises. Aujourd’hui, c’est tout à fait l’inverse. On a une situation où le gouvernement n’est pas du tout fort. Il a même du mal à imposer ses choix surtout qu’on nous parle tout le temps de restaurer l’autorité de l’Etat, y compris par la force. Donc il vient maintenant dans un contexte où il n’y a plus cette peur que les gens avaient de se faire sanctionner ou même tout simplement de disparaître comme c’était le cas avant quand il était aux affaires.

 

Mais plus que le choix du Premier ministre, c’est le visage de tout le gouvernement qui compte. Vous qui êtes politologue, au regard de la situation actuelle, quels sont les ministères qui ont le plus besoin de nouvelles têtes ?

 

C’est assez facile à identifier. En premier lieu il y a la Sécurité. Tout le monde sait aujourd’hui que cette question n’est plus sectorielle. Le gouvernement a sa façon de la gérer, mais moi j’ai une autre approche. A mon avis, c’est une question transversale qui aurait dû se ressentir dans la politique gouvernementale tout entière. Cette dernière devait prendre une connotation sécuritaire. Par exemple, il fallait faire en sorte que même dans les autres départements on trouve des composantes qui accompagnent la politique sécuritaire. Même l’Action sociale aurait dû être remodelée pour convenir à la situation dans laquelle nous sommes.

Il y a bien entendu l’Economie. Liée à la fronde sociale, elle entraîne une augmentation de la masse salariale qui est un contresens du point de vue des normes de gestion imposée par les institutions internationales de développement. Que ce soit par rapport à la fronde sociale ou à la question du rétablissement des grands équilibres macroéconomiques, l’économie est un secteur sur lequel on doit se pencher avec beaucoup d’intérêt.

 

Vous voulez dire qu’il faut une nouvelle tête là-bas aussi ?

 

J’aurais pensé cela, mais il faut avouer que ce sont des supputations que nous faisons. La décision revient au chef de l’Etat. Il verra bien s’il faut ou pas garder le ministre actuel. Le plus important à mon avis, c’est l’orientation qu’il lui donne. On avait pensé au départ, comme il est lui-même économiste, que cet aspect serait vite réglé. Et bien que son PM fût lui aussi économiste, ça n’a pas changé grand-chose. C’est encore un expert de ce domaine qui a été nommé. Du coup, on peut penser qu’avec l’expérience de Christophe Dabiré, il pourra être utile, ne serait-ce que dans ce secteur précis. Il sait à peu près comment les comptes nationaux doivent être structurés, comment ils doivent fonctionner, comment on les alimente, etc. Je pense qu’avec l’appui du ministre de l’Economie et des Finances, il sera un plus et pourra faciliter cette dimension des choses.

 

Que dites-vous du ministre de la Défense ?

 

En fait j’ai mis la Défense dans le même sac que la Sécurité. Pour moi ce sont des secteurs contigus. Dans une situation extrême, on peut revenir au ministère de l’Intérieur qui cumule les deux et faciliter l’action. Mais apparemment Roch ne voit pas les choses de la même manière… Voilà les départements prioritaires mais on peut en ajouter d’autres, en l’occurrence ceux qui détiennent le plus d’agents publics, en particulier à cause de la fronde sociale. Il y a l’enseignement, la santé et l’agriculture. Le Burkina a pas mal de priorités, et c’est toute l’action gouvernementale qui nécessite un intérêt accru aujourd’hui. Peut-être qu’on aurait dû avoir un PM qui est beaucoup plus dans l’action actuelle que quelqu’un qui a une expérience à valoriser. C’est vrai, il connaît les institutions, mais aujourd’hui il va falloir courir, se réunir à des heures pas possibles ou discuter avec des gens qui ont une autre mentalité que lui. Quand on prend l’administration actuelle, je ne suis pas sûr que même les DG aient connu Christophe Dabiré aux affaires. D’un point de vue collaboratif, ce sera difficile qu’il puisse être aussi efficace que par le passé.

 

Entre nous, est-ce parce qu’on aura enlevé Jean-Claude Bouda ou Clément Sawadogo que la situation sécuritaire va ipso facto s’améliorer ?

 

Ça peut s’améliorer de ce fait mais dans une proportion limitée. Si la personne qu’on va mettre a de la ressource, elle peut apporter un plus en termes de propositions, de réformes et d’actions mais elle ne décidera pas seule étant donné qu’elle fait partie d’un gouvernement. Elle aura au-dessus d’elle le PM et le président. Déjà il faut que ce ministre arrive à faire des propositions qui vont correspondre aux besoins actuels et à les faire valider. Deuxièmement, s’il y a une stratégie valable qui est dessinée, il faut encore qu’il soit en mesure de la mettre en œuvre. Quand on regarde le fonctionnement qu’il y a eu jusqu’à présent, on a eu l’impression qu’il y avait un manque de dynamisme, à la fois dans les propositions de solutions que dans la mise en œuvre et même dans le fonctionnement normal de ces deux secteurs. Les collaborations entre les services de la défense et de la sécurité par exemple. C’est un aspect purement managérial qui relève du ministre tout simplement. On n’a pas besoin que ça sorte sur les réseaux sociaux pour que les gens le sachent. Mais, dans les interventions des agents, on a compris qu’il y avait un problème de collaboration. Ce n’est pas normal. Donc la personne qui va être nommée peut avoir un impact dans cette dimension. Mais pour ce qui est de sa stratégie, il faut remonter au chef de l’Etat.

 

Au contraire, quels sont les membres actuels du gouvernement qui mériteraient selon vous de conserver leurs maroquins ?

 

Je n’ai pas en tête tous les ministres. Mais comme je vous l’ai dit, je ne m’appesantis pas trop sur  les individus…

 

On peut vous citer quelques noms : Alpha Barry par exemple.

 

J’ai cru comprendre qu’il a été un des choix du chef de l’Etat pour le poste de Premier ministre. Cela m’amène à penser qu’il a toujours la confiance de ce dernier. Pourtant, les relations internationales dans un gouvernement, c’est un secteur de souveraineté et de priorité pour le chef de l’Etat. S’il a pu proposer Alpha Barry à la Primature, ça veut dire qu’il a une grande confiance en lui pour ses capacités mais peut-être aussi par rapport à ce qu’il a déjà fait. Je n’ai pas la possibilité de voir tous les acquis que celui-ci a permis d’engranger mais certainement que le chef de l’Etat a confiance en lui et si c’est le cas, il peut bien le garder. De l’extérieur, je ne vois pas beaucoup quels ont été les apports spécifiques réalisés par ce ministre. Je ne peux détacher ces acquis de ceux de l’ensemble du gouvernement qui, comme on l’a dit, n’a pas eu un bilan extraordinairement positif.

 

Et Rémis Dandjinou ?

 

A ce sujet, moi j’aimerais bien demander aux hommes de médias que vous êtes ce qu’ils pensent de leur ministre. Que pensez-vous de sa gestion ? Est-ce que sa présence a amélioré vos conditions de travail en termes de cadre juridique, surtout dans les organes de presse privés ? Est-ce qu’il a augmenté la cagnotte de ces derniers ? C’est vous qui pouvez le dire. Moi, j’ai d’autres indicateurs d’appréciation de Rémis Dandjinou, c’est sa gestion des libertés. Je suis obligé de constater que, pour quelqu’un qui est beaucoup intervenu dans ce domaine, il n’a pas été celui qui a favorisé la protection des libertés. Ça, c’est mon bilan personnel en ce qui le concerne. C’est au cours de sa gestion qu’on a vu des emprisonnements pour des questions de liberté d’expression dans des conditions qui, à mon sens, ne relevaient pas de la légalité. Du coup, je ne peux pas le créditer d’un bilan positif mais il peut avoir eu des acquis dans d’autres domaines que les journalistes connaissent. 

 

Le ministre René Bagoro de la Justice ?

 

Pareil. C’est quelqu’un avec qui nous avons partagé des convictions et mené des actions. Je l’avais considéré comme un défenseur des droits humains, mais au regard de la gestion du secteur de la justice, depuis qu’il a été ministre au gouvernement de la Transition et ensuite avec celui du MPP, je ne vois pas les grandes améliorations auxquelles on s’était attendu dans ce domaine. Néanmoins, je suis obligé de mentionner la suppression de la tutelle de l’Exécutif sur le Judiciaire, notamment le fait que le chef de l’Etat ne préside plus le Conseil supérieur de la magistrature. Mais dans la gestion de la justice, notamment les dossiers emblématiques, on n’a pas eu d’avancées significatives :  il s’agit par exemple des affaires Thomas Sankara, Norbert Zongo, de l’insurrection et du putsch. Dans le procès du coup d’Etat, vous voyez tous les jours les avatars de cette justice. Déjà nous avions tous considéré le tribunal militaire comme une institution à réformer profondément, pour ne pas dire à supprimer. Cela ne semble pas être l’opinion du ministre Bagoro. Au contraire le tribunal militaire est utilisé d’une manière que je dirai autoritariste, tendant généralement à priver certains activistes de leur droit comme on a pu le constater avec Safiatou Lopez Zongo. Je ne peux pas non plus le créditer d’un bon bilan.

 

Pensez-vous qu’au regard de la situation actuelle, le PF gagnerait à renoncer à sa promesse de ne pas avoir des militaires dans son gouvernement ?

 

Je ne suis pas très catégorique sur cette question comme peuvent l’être la plupart des Burkinabè qui pensent que si on met un militaire, on aura moins d’attaques terroristes et moins de perte. L’homme qu’il faut à la Défense et à la Sécurité peut très bien être un civil comme il peut être un militaire. Mais il faut trouver la personne qu’il faut pour occuper ces deux ministères. Apparemment le chef de l’Etat semble se contenter de ceux qu’il a et ne pense pas modifier sa posture. Il a ses raisons. Dans le passé, on a partagé avec lui certaines convictions, notamment les relations entre militaires et civils, mais ici je pense que si on trouve l’oiseau rare de la défense et de la sécurité parmi les hommes de tenue, il ne faudrait pas hésiter à avoir recours à ce dernier. Mais ce n’est pas une voie obligatoire.

 

Un conseil au président du Faso si vous deviez lui en donner un ?

 

Même s’il y a une effervescence autour du gouvernement, ma perception profonde est qu’on ne va pas avancer plus avec ce nouveau gouvernement parce que pour moi, la pression devrait se mettre au niveau du chef de l’Etat et l’amener à adopter certaines orientations en vue de changer certaines pratiques (sécurité, fronde sociale, économie, etc.). C’est lui qui doit apporter l’essence de l’action gouvernementale. Vous avez vu ce qui s’est passé en France. Quand la crise des gilets jaunes a commencé, le chef du gouvernement et certains de ses ministres ont eu des prises de position dès les premiers moments. Mais le président Macron a tout battu en brèche avec ses orientations à lui. Il s’agit, à titre d’exemple, de l’ISF (Impôt sur la fortune). Le ministre de l’Economie était prêt à remettre l’ISF en place. Emmanuel Macron a dit non. Chez nous on ne sent pas cette poigne du chef de l’Etat en termes d’orientation. J’enjoins le gouvernement à aller dans ce sens. Vous avez vu la fronde sociale en 2017. On a totalisé 233 jours de manifestations diverses, liées à l’absence de dialogue pour la plupart. On a vu par exemple le médiateur inviter à un échange, et le ministre n’y est pas allé. Dans une telle configuration, le président devait taper du poing sur la table et dire : tel jour il y aura une rencontre, le ministre va recevoir le syndicat. Cela aurait mis fin à deux mois de tergiversations. Je pense que c’est ce style de gouvernance qui manque à l’heure actuelle à Roch Marc Christian Kaboré et je ne sais pas comment nous allons arriver à lui faire changer cette approche des choses. Peut-être que sa rencontre avec les autorités religieuses et coutumières pourrait porter une impulsion à sa façon de diriger, mais moi je reste sur ma faim.

 

 

Propos recueillis par

San Evariste Barro,

Lévi Constantin Konfé

Zalissa Soré &

Hadepté Da

 

Dernière modification lejeudi, 24 janvier 2019 23:15

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