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Violences pendant le coup d’Etat: « Raso » signe la preuve par l’image

Le comédien Rasmané Ouédraogo dit « Raso » et le premier vice-président du CDP chargé des questions politiques du CDP, Achille Tapsoba, ont été les deux témoins entendus hier dans le cadre du procès du putsch manqué. Le premier a filmé, depuis son balcon, avec son téléphone des éléments de l’ex-RSP passant à tabac avec des ceinturons et des cordelettes des jeunes à la cité An III à Ouagadougou.

 

 

C’est un habitué des petits écrans des Burkinabè qui s’est présenté en qualité de témoin devant le tribunal militaire. Comme le veut l’usage, le juge Seidou Ouédraogo a vérifié si Rasmané Ouédraogo, plus connu sous les surnoms «Raso» et « Ladji », remplissait toutes les conditions pour prêter serment, notamment s’il n’avait pas un lien de parenté avec l’un ou plusieurs des accusés. Le célèbre comédien des séries à succès «Trois hommes, un village» et «Trois femmes, un village» a d’emblée fait savoir qu’il était «l’oncle de la fille aînée du général Diendéré». «Sa maman et moi sommes du même village », précisera-t-il. Les différentes parties n’ont pas trouvé d’inconvénient à ce que le cinéaste de formation dépose, étant donné que la relation qui existe entre lui et la famille maternelle de la fille du cerveau présumé du putsch n’est pas un lien de sang. « C’est un lien général », a estimé le parquet.

Tout doute ayant été levé, le sexagénaire a alors juré de dire la vérité, rien que la vérité sur ce qu’il sait des évènements des 16 septembre 2015 et jours suivants. Et il ressort, comme un clin d’œil du hasard, que c’est en raison d’une vidéo effectuée depuis son balcon pendant les heures chaudes du coup d’Etat que l’homme de cinéma a été appelé à contribuer à l’éclatement de la vérité.

« J’étais chez moi à la cité An III. Il y avait des échauffourées en ville. Des militaires en patrouille s’en sont pris à des jeunes qui étaient dans une cafétéria en bas de mon domicile. Ça ne m’a pas plu et j’ai décidé de filmer ». Raso explique son geste par le fait qu’étant de cet univers, il connaît la portée « historique » de l’image.  Il voulait aussi apporter des preuves pour contredire les informations qui circulaient à l’époque  tendant à nier les violences commises par les soldats de l’ex-RSP. Sa vidéo dans la boîte, le comédien la diffuse sur le réseau social Facebook.

Après cette diffusion, il a immédiatement reçu une avalanche de menaces. Une chaîne étrangère d’informations en continu  et d’autres médias se sont intéressés à son film. Après avoir consulté sa fille qui est juriste sur les implications juridiques de son acte, Rasmané Ouédraogo choisit, a-t-il relaté, de démultiplier la vidéo, pour desserrer l’étau sur sa personne.

Le ministère public, après avoir félicité le cinéaste pour sa collaboration, lui a posé des questions de précisions. « Est-ce qu’avant ce jour, vous connaissiez ces militaires ? », a notamment voulu savoir l’accusation. Et le témoin de répondre par la négative. A l’entendre, il ne saurait, même à l’heure actuelle, identifier les différents protagonistes de la scène. En réponse à d’autres questions des parquetiers, il précisera que les soldats qui passaient à tabac les jeunes qui, selon lui, ne  faisaient pas partie  des manifestants, portaient la tenue léopard, spécifique de l’ex-garde prétorienne de Blaise Compaoré.  Avec leurs ceinturons et des cordelettes, ils ont, d’après le témoin, fait coucher le groupe avant de s’acharner sur lui.

« Les cris de douleur  s’entendaient jusque chez moi. Lorsqu’ils se fatiguaient, ils changeaient de main. D’autres militaires sont arrivés à bord d’un véhicule bariolé et se sont mis aussi à battre les jeunes. Ils étaient tellement fatigués  qu’ils ne savaient même plus quelles positions prendre. Vous le verrez sur les images».

L’usage de véhicules bariolés  est, selon le procureur militaire, la preuve que les missions officielles ordonnées par la hiérarchie du RSP au moment des faits pour des « contrôles de zones », ont viré à la répression  systématique de la population.

Une opinion que ne partage pas Me Olivier Yelkouny de la défense. « Le parquet a dit que désormais tout est clair, et que des gens sont passés ici pour dire qu’il y avait d’autres forces qui étaient sur le terrain, et que cela était faux. Ce n’est pas nous qui avions inventé. Il y a d’autres forces qui disent qu’elles ont aussi patrouillé. Il ne faut pas venir ce matin nous dire que tout est clair. On a même la déposition d’un gendarme avec des itinéraires ». Ce à quoi l’accusation rétorque que les itinéraires des autres forces ne passaient pas par la cité An III.

Mais revenant à la charge, Me Yelkouny a estimé que « Ouagadougou ne se limitant pas à la cité An III, le parquet ne peut pas présager sur la seule base de la vidéo tournée par le témoin, de ceux qui commettaient les violences dans les autres quartiers.

 

Achille Tapsoba face à Salifou Sawadogo

 

Prochain témoin à déposer en principe, le sergent-chef Harouna Mandé. Mais il ne s’est pas présenté devant la justice. Le président du tribunal a différé son audition et  a instruit le parquet de faire diligence pour qu’il puisse comparaître. Place donc à Achille Marie Joseph Tapsoba, 1er vice-président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) au moment des faits.

« Le 16 septembre, j’étais au siège du CDP à Kwame Nkrumah pour une rencontre du Secrétariat permanent convoqué par le président. L’ordre du jour était le remplacement des candidats exclus de la compétition électorale. Nous  avons fini la réunion vers 13h-14h. Je suis resté avec le Secrétaire général, Anicet Poda, pour mettre de l’ordre dans les dossiers de candidatures. Lorsque j’ai voulu quitter le siège vers 17h, j’ai vu des militants du parti qui voulaient dresser des barricades. Je suis resté pour les en dissuader. Cela a un peu pris du temps et j’ai finalement quitté le siège vers 18h », a raconté l’enseignant à la retraite. Il mentionne, par ailleurs, que vers la fin de la rencontre, les membres du Secrétariat permanent ont appris que les autorités de la Transition avaient été prises en otage. Au cours de cette même réunion, a-t-il ajouté, le président du parti, Eddie Komboïgo, faisant suite à de nombreuses demandes de financement à trois jours de l’ouverture de la campagne, s’est absenté pour aller en banque. « Il est revenu avec 15 millions de francs dans un carton et a donné des instructions pour la répartition de cette somme aux structures dans le cadre du lancement de la campagne. Il m’a remis l’argent avant de partir et j’ai procédé sur place au dispatching devant tout le monde. »

« Donnez-nous des éléments d’information  sur la présence de vos militants au monument des Héros nationaux, le 17 septembre et jours suivants », a demandé le parquet. Pour le père de cinq enfants, à la date du 16 septembre, le parti avait très peu d’informations sur les évènements en cours. Et le lendemain, il était trop occupé à essayer de réunir le Bureau exécutif national pour faire une analyse de la situation et donner le point de vue du parti de l’épi et de la daba.  Pour le témoin, ces différents regroupements sont des initiatives qui émanent des structures du parti et non du Bureau politique national.

« Est-ce qu’il est normal que des structures du parti prennent des initiatives sans en informer la direction ?», s’est enquis le ministère public. Et Achille Tapsoba de se faire plus précis : «Nous avons été informés mais nous n’avons pas donné de consignes».

Interrogé sur la clé de répartition de la manne apportée par Eddie Komboïgo, celui qui a assuré l’intérim du parti pendant l’exil du président, tout en indiquant ne pas se souvenir de tout, a confié que la bonne partie, soit 10 millions, a été remise à la section provinciale du Kadiogo. Sur la destinée de ces fonds, il a maintenu que c’était dans le cadre du financement de la campagne. Néanmoins, a-t-il développé, «vu le contexte, il y a eu des recommandations pour qu’en cas de besoin, cet argent puisse être utilisé à la sécurisation des domiciles des militants du parti ».

Le parquet lui a alors rappelé que son camarade politique Salifou Sawadogo, présent sur le banc des accusés, défend, lui, depuis le début que les 15 millions devaient servir à la mobilisation du lendemain et à la sécurisation des domiciles. Qui plus est, l’accusé soutient que la somme a été remise lors d’une seconde réunion dans la soirée du 16 septembre. Achille Tapsoba est cependant catégorique : « Il n’y a pas eu d’autre  réunion  à part celle qui a pris fin vers 13h-14h ».

Devant ses contradictions, Salifou Sawadogo a été invité à la barre pour réagir aux propos de son camarade politique. « Les choses ne se sont pas passées comme ça », a-t-il balayé d’entrée de jeu. Selon sa version, après la première rencontre qui s’est achevée aux environs de 13h, Achille Tapsoba, Anicet Poda et lui-même se sont retrouvés au jardin Yennenga pour se restaurer. Et c’est là, et non pas durant la réunion du Secrétariat permanent, qu’ils ont appris l’arrestation des autorités. Le groupe et d’autres camarades se sont donné ensuite rendez-vous au siège et c’est à ce moment que le président du parti Eddie Komboïgo a donné la somme de 15 millions pour la sécurisation des domiciles des militants.

Le procès reprend le vendredi 1er février avec la suite de l’audition d’Achille Tapsoba.

 

San Evariste Barro

Hugues Richard Sama

 

 

Encadré 1

Décalage horaire

 

Une fois n’est pas coutume, le président du tribunal dont la vigilance n’a jamais fait défaut s’est quelque peu mélangé dans les aiguilles de sa montre. Pendant l’audition de Salifou Sawadogo, Seidou Ouédraogo après avoir jeté un coup d’œil à son poignet, informe la salle qu’il est « 13h moins 2 » et qu’il allait suspendre l’audience.

Rien de surprenant puisque selon le chronogramme, le procès  doit être suspendu à 13h. Sauf qu’après que la séance a été levée et que beaucoup ont eu accès à leurs téléphones et montres, l’assistance s’est rendu compte qu’au moment où le président annonçait la suspension, il était non pas 13 h moins 2 mais 12h moins 2. Le président du tribunal était en avance d’une heure. Un souci d’horlogerie ou tout simplement une erreur de lecture de sa tocante ?

Une enquête "sérieuse" sera sans doute nécessaire pour remettre les pendules à l’heure… En attendant, les différentes parties au procès ont ainsi pu bénéficier hier d’une heure de plus de pause.

 

H.R.S.

 

 

Encadré  2

Seconde liste de témoins

 

Nignan Moïse Traoré

Eddie Komboïgo

Capitaine Cuthbert Somda

Médecin-colonel Saïdou Yonaba

Colonel Salif Tinguéri

Lieutenant-colonel Paul Henri Damiba

Capitaine Stéphane Sessouma

Lazare Tarpaga (ex-DG de la police nationale)

Mathurin Bako (ex-président de l’ARCEP)

Commandant Kanou Coulibaly

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