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Nuit des idées 2019 : De la restitution des biens culturels africains

La nuit des idées : c’est cette rencontre organisée chaque année depuis 2016 par l’Institut français et qui a lieu le dernier jeudi du mois de janvier à travers le monde avec différents sujets de débat : un cadre de dialogue sur les grands défis contemporains. « Face au présent », c’est sous ce thème général que s’est tenu l’événement cette année. Au Burkina, le public s’est donné rendez-vous ce jeudi 31 janvier 2019 à Ouagadougou, et le sujet au menu a été la restitution à l’Afrique de son patrimoine culturel, un sujet de grande actualité depuis le dépôt du rapport Sarr-Savoy. Pourquoi cette restitution ? Quels sont ses enjeux ? Comment y procéder ? Autant de questions parmi d’autres abordées au cours de la soirée au détour d’un ciné-débat suivi d’une table ronde animée par d’éminentes personnalités du domaine.

 

Dans une salle de projection du Centre national des arts, du spectacle et de l’audiovisuel (CENASA) qui a servi de cadre à « la nuit des idées », le public n’était pas celui des grands jours, ou si vous voulez, celui d’un dernier film hollywoodien. Mais croyez bien, l’attention était au rendez-vous au vu du programme bien étoffé de la soirée : projection d’un film suivi de débat, table ronde avec de fins connaisseurs du domaine culturel. Le public, composite, était constitué de professionnels et d’amateurs de la culture, particulièrement de l’art, d’universitaires, d’élèves et d’étudiants, pour ne citer que ceux-là. Des invités de marque il n’en a pas non plus marqué, avec la présence de l’ambassadeur français, Xavier Lapeyre de Cabane, et du secrétaire général du ministère de la Culture, Lassina Simporé.

Le ciné-débat, c’est ce qui a servi d’entrée en matière à cette soirée, avec la projection d’un film documentaire. « L’Afrique collectionnée », c’est le titre de ce chef-d’œuvre long d’environ 1h 15 mn à travers lequel son auteur, le réalisateur français Christian Lajoumard, interroge des acteurs du domaine culturel (collectionneurs, galeristes, écrivains, médiateurs culturels, etc.) sur la restitution des biens culturels africains collectionnés hors du continent. Selon ce qui ressort du document audiovisuel, la quasi-totalité du patrimoine culturel du Berceau de l’humanité se trouve sur d’autres continents. Mieux, une bonne partie de ces biens a été acquise sous la période coloniale. Alors que les uns dénoncent un pillage historique, d’autres s’accordent sur le fait que cela a sauvé bon nombre d’objets qui n’auraient pas survécu au temps s’ils étaient restés sur le sol africain. Pour parler de restitution, il y a des efforts à faire aussi bien par les Africains que par les conservateurs actuels de ce patrimoine, estime par exemple Vincent Négri du Centre national français de recherche scientifique (CNRS) qui ajoute par ailleurs que beaucoup de musées africains, dans leur état actuel, ne sont pas en mesure de conserver les différents objets en cas de rapatriement.

 

Du rapport Felwine Sarr et Bénédicte Savoy

 

Le ciné débat clos, place à la table ronde, l’autre volet de cette soirée spéciale culture. A l’affiche, quatre personnalités aux profils variés, mais dont le dénominateur commun est d’être au fait du sujet du jour : Gaëlle Beaujean du musée du Quai Branly en France, Jean Paul Koudougou, ex-secrétaire général du ministère de la Culture burkinabè et ancien directeur du musée national, Evariste Kaboré, juriste et directeur de la conservation du musée national sus cité, Francis Simonis, maître de conférences, historien franco-burkinabè. Au menu de la conférence, modérée par le Dr Jacob Yarabatioula, sociologue spécialiste des politiques et industries culturelles, la question de  la circulation des œuvres et la problématique de l’accès à tous aux œuvres de l’humanité. A ce propos, trois points ont été développés, à savoir l’état des lieux de la diffusion, des œuvres du patrimoine africain, les conditions d’une meilleure diffusion et le rapport Felwine Sarr et Bénédicte Savoy au sujet de la restitution des biens culturels à l’Afrique. Ce dernier point aura été le plus longuement débattu. Il ressort de l’état des lieux de la circulation des œuvres de l’humanité que plus de 90% du patrimoine culturel africain est hors du continent, collectionné en grande partie dans des musées européens : au musée du Quai Branly de Paris par exemple, à en croire Gaëlle Beaujean, 927 œuvres burkinabè sont collectionnées parmi 70 000 provenant de l’Afrique subsaharienne sur une réserve totale de 300 000  objets.

Comment ces objets peuvent-ils être restitués ? Quelles peuvent être les conditions de leur restitution ? Quelles démarches adopter ? A ces questions, parmi tant d’autres, le rapport Sarr-Savoy est vu par plus d’un comme une piste de réponse. Ce rapport, faut-il le rappeler, a été commandé par le président de la République française, Emmanuel Macron, au lendemain de sa tournée africaine de fin novembre 2017, tournée au cours de laquelle il avait émis le souhait à Ouagadougou de voir dans les cinq années qui allaient suivre « les conditions réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain à l’Afrique ». C’est ainsi qu’il avait demandé aux deux universitaires la production de ce rapport, déposé le 23 novembre dernier.

Pour l’historien Francis Simonis, ce rapport ne traduit que la vision du président français qui, comme on le sait, a  considéré la colonisation comme un crime contre l’humanité. S’appuyant sur l’histoire, les textes en vigueur en France, cet historien a ajouté que le président français ne peut pas décider de cette restitution, la question devant au préalable être débattue au Parlement. Et ce n’est pas le seul obstacle à l’effectivité de la restitution, car selon les spécialistes de la question, il faut une réelle préparation pour accueillir les œuvres en Afrique, ne serait-ce qu’au sujet des normes de conservation, jusque-là non adaptées dans plusieurs musées du continent. Autant dire qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres, c’est-à-dire que ce n’est pas demain que cette restitution aura lieu, si restitution il y a.

 

Bernard Kaboré

(Stagiaire)

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