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Burkina Faso: Changer de regard pour changer le monde

Qu’est-ce qui a changé dans l’opinion nationale entre les attaques de Nassoumbou, de Toéni et de Kaïn et la riposte des FDS à Kaïn, Banh et Gomboro ? En d’autres termes, quel a été l’agent de cette métamorphose subite qui fait que l’on passe de l’apathie générale à la liesse qui accompagne la riposte des FDS. La réponse est dans le regard que l’on jette désormais sur les FDS depuis le 4 février. Et c’est une photo qui nous en donne la clé.

 

 

Cette photo, nous l’avons découverte sur les réseaux sociaux à la page Facebook de Crépin Hilaire. C’est une photo de Hicham Nazzal. C’est un chaton qui regarde son reflet dans une flaque d’eau. Dans le reflet, c’est un tigre que l’on voit. Est-ce un effet de grossissement, d’illusion optique ou de trucage ? Qu’importe. Ce cliché traduit bien ce que nous cherchions depuis fort longtemps à mettre en mots depuis que le Burkina Faso est entré dans l’œil du cyclone. La réalité n’existe pas en dehors de nous, de notre regard.

Depuis hier, la toile fourmille de publications dithyrambiques à l’endroit de nos forces armées, de louanges et de célébrations de leur force, de leur invincibilité. Et pourtant, ce sont les mêmes laudateurs d’aujourd’hui qui, hier, vitupéraient cette armée à qui l’on reprochait d’être plus prompte à la débandade qu’à l’affrontement, incapable de protéger la mère-patrie. Et c’est pourtant la même armée, les mêmes soldats qui sont passés du « FDS bashing » à l’acclamation. Alors que s’est-il passé ?

La réponse est à trouver dans le reflet du chaton. C’est le regard de l’opinion sur l’armée qui a changé parce que l’armée a changé sa façon de se raconter et donc de se montrer au peuple. Depuis hier, l’armée déroule un récit de victoires, de triomphe et d’héroïsme. En deux jours, elle a neutralisé 143 terroristes au Nord, 60 au Soum et 30 à Oursi avec des chiffres à donner le tournis. 146 terroristes neutralisés au Nord, 60 au Soum et 30 à Oursi. Avant, la Grande Muette était mutique ou, lorsqu’elle parlait, elle délivrait des récits dévalorisants pour son image où il était question de camps attaqués, de soldats tués. Bref un inventaire de la défaite en lieu et place d’une geste héroïque. Ce qui importe ici n’est pas le nombre de terroristes passées de vie à trépas, mais la décision de l’armée, comme instance narratrice, de se dire comme une force qui avance et qui vainc.

La force d’un récit, c’est d’habiller le réel de lumière et de noirceur. L’extérieur n’est ni beau ni laid, ce sont les mots que nous jetons sur les choses qui comptent. Petit rappel : en 1985, pendant la guerre de Noël avec le Mali, il est évident que nous n’avons pas gagné la guerre sur le terrain ni à la Cour internationale de La Haye. L’avons-nous perdue ? Le moins du monde dans nos esprits, car le récit que l’armée et les médias ont fait de cette guerre a été héroïque. Il est dit que nous n’avions pas d’armement comme le Mali, qui nous bombarda, mais nous avions le courage, disait-elle. Ainsi face aux chars maliens, nos soldats allaient à l’assaut, grimpaient sur le monstre, ouvraient la tourelle pour y jeter une grenade dégoupillée. C’est ainsi que nous avons détruit quantité de tanks et freiné l’avancée de la colonne de blindés maliens dans notre territoire.

On racontait la bravoure d’officiers comme Boukary le Lion ou Thomas Sankara. De Thomas Sankara, on aurait pu avoir les deux versants du récit. Les faits : pendant cette heure, sans attendre un ordre de sa hiérarchie, le jeune officier a entraîné ses hommes dans un village malien. On aurait pu y voir un acte d’indiscipline en temps de guerre, faute qui eût mérité la cour martiale. Cela est un récit crépusculaire. On a préféré y voir la bravoure au lieu de la bavure, de l’audace et l’esprit d’initiative. Voilà le récit solaire. C’est ce rendu positif de son acte qui a certainement permis à ce jeune officier de sortir du lot pour écrire plus tard les plus belles pages de l’histoire du Burkina Faso. 

Il faut espérer que ce changement de perspective du récit du combat de l’armée contre le terrorisme va perdurer, car en ces temps de grand doute sur l’avenir et le vivre-ensemble, sur la capacité de cette armée à vaincre l’hydre terroriste, de tels récits sont nécessaires pour mettre un peu de couleurs sur le gris des choses. Dans cette entreprise de reconquête de l’estime de soi, les créateurs et les médias nationaux ont une grande part. Disant cela, il nous vient à l’idée les romans de Jean Lartéguy sur les soldats français en Indochine et en Algérie, Les Centurions et Les Prétoriens, qui racontent les défaites de l’armée française dans ces pays, mais s’attachent à montrer l’héroïsme de ces soldats. Il ne s’agit ni de propagande ni de manipulation mais de choix de l’angle le meilleur pour rendre à chaque chose ou être sa grandeur. Mais pour cela, il faut avoir conscience de la grandeur qui git en soi pour pouvoir la projeter sur le monde. Les choses sont telles que le regard les voit. Le monde nous renvoie donc l’image que nous lui donnons. Les couleurs sont en nous, le gris, le noir tout comme les belles couleurs. C’est ce que dit le cliché du chaton de Hachim Nazzal.

 

Saïdou Alcény Barry

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