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Procès putsch manqué: D’où viennent les 15 millions d’Eddie ?

Après deux jours à la barre, le témoin Eddie Komboïgo a achevé hier, 6 février 2019, son audition à la barre de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou. Le président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) a gardé le mystère sur la provenance de la somme qu’il a remise à Salifou Sawadogo, expliquant ne pas vouloir dévoiler les sources de financement de son parti. A sa suite, l’ancien commandant du groupement mobile de la gendarmerie, le lieutenant-colonel Kanou Coulibaly, a été entendu sur le rôle joué par les pandores durant les événements de septembre 2015.

 

 

Dès la reprise de son audition, le président du CDP a de nouveau été confronté aux contradictions entre les déclarations des témoins et  celles de l’accusé Salifou Sawadogo, qui soutient mordicus qu’il y a eu une seconde réunion au siège du parti dans la soirée du 16 septembre 2015 au cours de laquelle Eddie Komboïgo aurait remis 15 millions de francs CFA pour sécuriser les domiciles des militants.

« Je crois vraisemblablement que vous insistez pour aller dans un sens qui n’est pas nécessaire », a réagi l’expert-comptable, rappelant au parquet qu’il a déjà subi une confrontation avec Michel Ouédraogo qui a soutenu un temps la thèse de la seconde réunion avant de se rétracter.

Pour le ministère public, même si cette question a déjà été évacuée, il peut toujours, étant donné que les PV y relatifs sont toujours dans le dossier, questionner le témoin à ce propos même s’il a été blanchi.   Saisissant la balle au bond, le quinquagénaire a déclaré avoir l’impression d’être traité à la barre comme un accusé alors qu’il a bénéficié d’un non-lieu. Et le président du tribunal de rappeler à l’homme d’affaires qu’il a bel et bien la qualité de témoin, et en cette qualité, il est tenu de répondre à toutes les questions même s’il a le sentiment qu’elles sont des redites.

Après cette mise au point de Seidou Ouédraogo, le procureur militaire est revenu à la charge pour avoir la réaction du patron du Parti de l’épi et de la daba par rapport aux propos de Salifou Sawadogo, qui explique que la manifestation pro-putsch du 17 septembre était une initiative de la section provinciale du Kadiogo et celle du 19 septembre, initiée par la direction du CDP. « Je n’ai pas de réaction. Je n’étais pas là-bas »,  a déclaré Eddie Komboïgo qui explique qu’à la date du 19 septembre  il était occupé à  sauver sa mère. Selon ses explications, des manifestants ont pris d’assaut le domicile de cette dernière. Elle a été exfiltrée par un trou creusé dans le mur du voisin, a-t-il raconté. « J’ai demandé à mon épouse de prendre des billets d’avion pour pouvoir l’amener hors du pays ». A l’en croire, durant cette période, il était plus occupé à protéger les siens qu’à parler politique. Si des gens ont pris des initiatives au sein du parti pendant les événements de septembre 2015 il n’en était pas le mandant et n’était informé de rien.

L’accusation l’a ensuite interrogé sur l’origine des  15 millions dont 10 millions ont été remis à Salifou Sawadogo. « Dans quelle banque êtes-vous allé chercher l’argent ? », a-t-elle en effet demandé. Réponse de l’accusé, quelque peu outré : « Je ne vais pas vous dire dans quelle banque. Vous avez saisi mes comptes pendant six mois, non seulement les comptes de mes sociétés mais aussi ceux des sociétés où je suis signataire. Il vous appartient de savoir où j’ai trouvé les 15 millions ».

« En refusant de répondre vous ne rentrez pas dans votre qualité de témoin », a assené le parquetier. Et l’expert-comptable de faire savoir qu’il n’avait pas souhaité comparaître comme témoin dans cette affaire. « Vous m’avez cité de force », a-t-il lancé au procureur militaire avant de déclarer : « Il ne m’appartient pas de venir révéler les sources de financement de mon parti devant un tribunal ».

Le juge Seidou Ouédraogo, repose alors autrement la question du ministère public : « Est-ce que les 15 millions proviennent d’une banque ? ». Eddie Komboïgo manie à nouveau la langue de bois : « J’ai de l’argent du parti. J’ai remis l’argent à Salifou ». Celui qui a la police de l’audience d’interpeller le greffier  pour qu’il consigne dans le plumitif que le témoin ne veut pas répondre à la question sur la provenance de l’argent.

« Si le financement est sain, il y a quelle honte à en parler ? », s’interroge le parquetier avant d’interroger encore le témoin : « Les 15 millions proviennent de vos fonds personnels ou de l’argent de votre parti ». Une nouvelle fois, le natif de la province du Passoré n’en pipe pas mot. Cette attitude d’Eddie Komboïgo, a soutenu le ministère public, est une omission de témoigner qui est sanctionnée exactement comme le faux témoignage.

 

« Cela me gêne »

 

Le président du tribunal militaire a appelé à la barre Salifou Sawadogo et Léonce Koné pour réagir à la déposition du président de leur parti. Le premier a dit maintenir ses déclarations et le second a tenu à faire des observations. Selon Léonce Koné, le chef du CDP était bien absent du pays après le 16 septembre 2015 et ils  n’ont pas eu de contact ni direct ni indirect. « J’ai compris qu’il s’est démarqué des initiatives qui ont été prises. Cela ne me pose aucun problème. Mais cela me gêne qu’il dise que ce n’était pas des décisions du CDP », a-t-il désapprouvé.

Pour l’ancien banquier, un parti comme le CDP se devait de fonctionner malgré l’absence de son premier dirigeant et, vu le contexte, le parti devait s’exprimer sur les évènements. C’est dans ce cadre, a-t-il expliqué, que leur famille politique a participé à la rencontre de l’hôtel Laïco avec le président Macky Sall et que les militants sont sortis pour soutenir l’inclusion.

Prenant la parole, Me Seydou Roger Yamba, avocat de Salifou Sawadogo, a martelé que les 10 millions reçus par son client n’ont jamais servi à soutenir le coup d’Etat. Cette manne était uniquement destinée à la sécurisation des domiciles, ce qui est d’après lui un acte banal « quand les armes crépitent ». « Je défie quiconque, y compris le parquet, d’apporter des preuves que j’ai remis l’argent pour une mobilisation de manifestants au monument des Héros nationaux », a appuyé l’ex-député Salifou Sawadogo.

Après l’audition d’Eddie Komboïgo, venu avec une suite qui a quitté la salle en même temps que son champion, c’est l’ancien commandant du groupement mobile de la gendarmerie, le lieutenant-colonel Kanou Coulibaly, 53 ans, qui a été entendu sous serment. Selon son témoignage, à l’annonce de la prise d’otage au Conseil des ministres, les pandores ont activé le plan de sécurisation du camp Paspanga et s’y sont barricadés. Le lendemain, c’est en spectateurs que les gendarmes ont suivi comme tous les Burkinabè l’annonce du coup de force du RSP. 

« Il nous est revenu que la gendarmerie ne soutient pas le RSP. Notre chef avait dit qu’on n’avait pas de matériel de maintien de l’ordre, notamment le gaz lacrymogène. Le 18  septembre, le commandant de la troisième région de gendarmerie, le colonel  Serge Alain Ouédraogo, m’a instruit de prendre contact avec le chef de corps du RSP, le commandant Abdoul Aziz Korogo, pour récupérer du matériel. 700 grenades lacrymogènes je crois».

Le lieutenant-colonel a expliqué que depuis l’insurrection populaire, la gendarmerie n’était plus dotée en matériel de maintien d’ordre. Le matériel récupéré, les pandores ont initié des patrouilles mais à une seule condition : « Nous avons dit que pour nous faire sortir, il faut que chacun respecte sa zone d’action. Ouagadougou est divisée en deux parties : la partie nord relève de la gendarmerie et le sud de la police ».

L’officier a confié qu’entre le 18 et le 19 septembre, la gendarmerie a effectué trois sorties dont il a donné les itinéraires : « La première patrouille, c’était autour du camp Paspanga. La seconde est allée vers Tanghin, elle a rencontré des éléments du RSP et elle a rendu compte. Nous leur avons demandé de revenir à la base. La troisième patrouille est allée à Kamboinsin en passant par l’avenue 56, l’avenue Yatenga. Elle avait pour mission de sensibiliser les gens pour qu’ils ne s’exposent pas. » 

A en croire le témoin, cette dernière mission a rencontré des jeunes avec des barricades qui ont laissé les pandores passer tout en prévenant que les éléments du RSP n’auraient pas ce privilège.

Répondant à une question du procureur militaire sur la nature du matériel utilisé lors de ces missions, le témoin a évoqué les véhicules, des gaz lacrymogènes et « certainement » des armes que portaient les éléments à bord parce qu’ils ne savaient pas qui ils pouvaient rencontrer. « Avez-vous fait usage de fusils AK-47 », « Vos hommes ont-ils tiré sur quelqu’un », « Les éléments ont-ils rendu compte d’incidents en rapport avec les sorties ? » ; toutes ces questions du parquet ont obtenu une réponse négative de l’officier de gendarmerie. Interrogé sur la situation actuelle du matériel récupéré au RSP, le lieutenant-colonel Coulibaly, tout en précisant ne plus être au groupement mobile de Ouagadougou, croit savoir que « le matériel est toujours en magasin ».

Après la suspension de la mi-journée de l’audience, l’accusation a voulu savoir ce à quoi devait servir ledit matériel. Le témoin a fait savoir que c’était destiné au maintien de l’ordre. Toutefois, insiste le lieutenant-colonel, cette fameuse dotation n’a jamais été utilisée.

Pourquoi ? A la lecture du témoin, le matériel octroyé n’était pas d’une quantité suffisante et ne permettait pas aux unités de la gendarmerie de s’engager à maintenir l’ordre. L’homme à la barre fera savoir d’ailleurs que la dotation reçue suffisait à peine à équiper une trentaine d’éléments.

Dans des déclarations antérieures, selon le ministère public, le colonel Coulibaly a déclaré que le matériel a été acquis  dans un contexte où le RSP dictait sa loi. Est-ce à dire que celui qui commandait le groupement mobile de la gendarmerie a été contraint d’aller chercher le matériel ? A cette question du parquetier, l’homme de 53 ans s’est contenté d’indiquer qu’il ne peut pas être affirmatif.

 

Diendéré, Kiéré et Korogo à la barre

 

Pour obtenir des réactions suite aux déclarations de l’officier de gendarmerie qui pourraient l’aider à asseoir sa conviction, le président Seidou Ouédraogo a appelé trois accusés à la barre : Le commandant Abdoul Aziz Korogo, le colonel-major Boureima Kiéré et le général Gilbert Diendéré. « Vous venez d’écouter la déposition du lieutenant-colonel Coulibaly. Qu’en dites-vous ? » a demandé celui qui détient la police de l’audience au commandant Korogo.

Cet accusé fera savoir qu’il n’a aucun commentaire à faire. Son camarade d’armes Kiéré embouchera la même trompette lorsqu’il lui sera posé la même question. Mais à son tour, le général aux deux étoiles a déclaré : « Les déclarations de Kanou confortent en partie ce que j’ai dit lors de ma déposition en ce sens que le besoin de matériel de maintien d’ordre a été un besoin exprimé par le chef d’état-major général de la gendarmerie », a introduit « Golf ». Il a indiqué que cette demande a été faite lors de la réunion tenue par la hiérarchie militaire à la date du 16 septembre. Le lieutenant Kanou confirme également que des patrouilles ont été effectuées par la gendarmerie. En s’attardant sur ces faits, le général a visiblement voulu faire une piqûre de rappel au tribunal sur la thèse selon laquelle les évènements des 16 septembre et jours suivant ne sont pas étrangers à la hiérarchie militaire.

 

Au sujet de ce fameux matériel, le parquet a voulu savoir si le général, en sa qualité de président d’alors de l’éphémère Conseil national de la démocratie, savait si le matériel a été stocké et non utilisé. Droit dans ses bottes, le présumé cerveau du putsch a dit ne pas savoir si la dotation a été utilisée ou non. Mais il a dit être convaincu « qu’on ne demande pas du matériel pour le stocker ». « Le matériel n’a pas été octroyé pour décorer la gendarmerie », a martelé le général avant de poursuivre : « En nous faisant la demande, le chef d’état-major de la gendarmerie ne nous a pas dit que c’était pour équiper une, deux ou trois unités. Même si c’est une seule grenade, le matériel a été utilisé pour faire un travail. S’ils ne voulaient pas le matériel ils n’avaient pas à en faire la demande. » Conviction de l’ex-numéro 1 du RSP, c’est d’ailleurs suite à la demande de la gendarmerie qu’il y a eu la fameuse mission héliportée à Niangologo pour l’enlèvement du matériel de maintien d’ordre.

Visiblement au secours du général, Me Mireille Barry de la défense a intervenu sur cette supposée implication de toute la hiérarchie militaire dans ces évènements du putsch avorté. Dans son développement, elle a fait remarquer que les agissements de la gendarmerie et des éléments du RSP ont été les mêmes lors des évènements, prenant pour exemples les patrouilles effectuées par les pandores.

Avant que le témoin et les trois accusés ne soient autorisés à quitter la barre, « Golf » a tenu à s’excuser pour, dit-il « son attitude au cours de l’audience de la veille », faisant allusion à sa vive réaction depuis le box des accusés lors de la déposition d’Ousséni Faïsal Nanéma. L’audience reprend vendredi matin à 9heures.

 

San Evariste Barro

Hugues Richard Sama

Bernard Kaboré

 

 

Encadré

« Le parquet a une attitude de défense de  la hiérarchie militaire »

 

Rarement depuis le début du procès, l’audience d’une journée ne s’est close sans qu’il y ait des points d’achoppement entre parquet et avocats de la défense ou entre ces derniers et ceux des parties civiles. Au passage à la barre du lieutenant-colonel Kanou Coulibally, il y a encore eu cette passe d’armes entre le ministère public et la défense. Pourquoi ? Des conseils d’accusés ont en effet estimé que le parquet, à travers certaines de ses questions, a l’intention de diriger à souhait les déclarations du témoin, notamment celles en lien avec la hiérarchie militaire.  « Le parquet dans cette affaire a une attitude de défense de  la hiérarchie militaire qui est elle aussi impliquée dans le coup », dira Me Olivier Yelkouni.

Son confrère Me Dieudonné Wili va s’indigner même de la volonté du parquet de requérir des poursuites contre des témoins qui ont des troubles de mémoire ou dont les déclarations ne sont pas exactement les mêmes que des déclarations tenues il y a trois ans.

Mais de son côté, le ministère public fera cet aveu : « Nous n’avons besoin d’encadrer un témoin. Les questions que nous posons, c’est pour la manifestation de la vérité. Depuis le début du procès, nous n’avons jamais dit que nous ne retenions pas la hiérarchie».

 

B.K.

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