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Colonel-major Noufou Béremwoudougou : «Tout le monde a opposé un refus catégorique »

Le  colonel-major Noufou Béremwoudougou, directeur général des études et des statistiques sectorielles au ministère de la Défense, était à la barre du tribunal militaire hier lundi 18 février 2019 dans le cadre du procès du putsch manqué. Ayant participé aux réunions des 16 et 17 septembre 2015 dès les premières heures du coup d’Etat manqué, il a été cité à comparaître en tant que témoin pour dire au tribunal ce qu’il a vu, entendu ou fait lors de ces événements. «Le général a demandé le soutien de l’armée pour ce putsch mais les uns et les autres ont réagi, ils ont regretté la situation, tout le monde a opposé un refus catégorique», a-t-il fait savoir.

 

Dès la reprise de l’audience, c’est le colonel-major Naba Théodore Palé qui a été convoqué à la barre. Il a été suivi par le général de brigade Gilbert Diendéré, invité à réagir sur la déposition du témoin. Golf a relevé un certain nombre de points qui lui paraissent importants.

«Le colonel a fait savoir que le RSP était une armée dans l’armée. Je suis étonné par ses propos. Ce sont des allégations qui étaient entretenues par des activistes de Yacouba Isaac Zida, mais venant de sa part, je suis vraiment étonné. Le RSP a été créé en 1995 et mis sous la responsabilité du chef d’état-major particulier de la présidence du Faso. Dans le décret de juillet 2000, le corps était désormais sous le commandement du chef d’état-major de l’armée de terre, lui-même sous le commandement du chef d’état-major général des armées. Donc entre 2000 et 2015, cela fait 15 ans, et ça m’étonne que l’adjoint du chef d’état-major général des armées tienne ces propos », a déploré d’emblée le général Gilbert Diendéré.

De plus, par rapport à l’affectation des militaires au sein du défunt régiment, il dit avoir été offusqué d’entendre le colonel-major Palé parler de cooptation. «Les officiers, les sous-officiers et les militaires du rang y venaient sur la base de leur compétence individuelle. Je refuse qu’on parle de cooptation, les affectations étaient faites sur la base de notes de service provenant du CEMGA », a souligné l’ancien chef d’état-major particulier de la présidence du Faso.

Dans le chapitre des stages (intérieurs, extérieurs) tout comme celui des missions, il a aussi soutenu que l’ex-garde prétorienne ne bénéficiait pas d’un traitement particulier. Mieux, a-t-il ajouté, les éléments, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, étaient envoyés au nord du pays. «Avant 2014, il y avait une compagnie déployée à Tin-Akoff, à Essakane. Je pense que ce n’était pas une unité à part. Elle occupait la première position, est-ce que le chef de l’Etat était là-bas ? Dans les missions des Nations unies également, il y avait 100 à 140 éléments au Darfour. Au Mali, c’était 300 à 350 qui étaient dans les contingents extérieurs et ce, au titre des forces armées nationales, désignés par celles-ci. Dire que le RSP était une armée dans une armée, c’est malheureusement l’une des causes des crises qui ont émaillé l’année 2015 et qui ont abouti à ce qui est arrivé », a fait remarquer le cerveau présumé du coup d’Etat manqué.

Après avoir égrené les points qui lui tenaient à cœur, Golf a voulu que le colonel-major retienne que le RSP était sous la responsabilité de l’armée de terre et mis à la disposition de la présidence du Faso pour emploi. A l’opposé, ce qui est «bizarre», selon lui, c’est l’actuelle unité (composée de policiers, de gendarmes et de militaires) chargée de la sécurité présidentielle. «On a fait des critiques sur le RSP, mais c’est l’actuelle unité qui est bizarre. Les gendarmes et les militaires relèvent de la Défense, est-ce que l’état-major contrôle les autres qui sont là-bas ?», a-t-il demandé avant d’avouer ne pas savoir comment fonctionne cet attelage.

 

«Je comprends que quelqu’un qui se noie se débatte de la sorte »

 

Poursuivant sa série d’observations sur la déposition du colonel-major, le général Gilbert Diendéré s’est dit une fois de plus étonné. «Par rapport au déroulement de la rencontre, je maintiens tout ce qui a été dit dans ma déclaration. Je suis étonné que le colonel ne se souvienne pas de ce qui a été fait, en l’occurrence, la lecture du projet de déclaration. Par contre, il se souvient de ce qui n’a pas été fait, en l’espèce, un communiqué conjoint. Je n’ai pas signé ou lu un tel communiqué à cette date. Ce que j’ai lu, c’est la déclaration du 21 septembre, dans laquelle je disais qu’il faut éviter les affrontements, où j’ai déploré les pertes en vie humaine. Cette déclaration n’a pas été rédigée le 16 septembre pour n’être lue que le 21 », a précisé le général Diendéré avant de se lancer dans un autre long développement. Pour lui, il n’y a pas eu de désapprobation totale de la hiérarchie militaire. Il a réitéré avoir bel et bien bénéficié de l’accompagnement de ladite hiérarchie (hélicoptère pour la récupération du matériel de maintien d’ordre, accompagnement à l’aéroport pour l’accueil des chefs d’Etat). «Quand il a été question des mouvements des troupes vers Ouagadougou, lui-même, colonel-major, s’est rendu à Bobo-Dioulasso pour tenter de dissuader ces militaires qui venaient. Il les a rencontrés au camp et les éléments lui ont fait savoir que s’il est là pour leur dire de monter sur Ouaga, ils sont d’accord. Ils ont également dit que si c’était pour les faire renoncer, il peut repartir», a révélé le général de brigade qui a aussi parlé d’une mission similaire du chef d’état-major de l’armée de terre à Fada N’Gourma.

A l’issue du mot du général aux deux étoiles, le témoin a dit que celui-ci a été «très long». «Mais je comprends que quelqu’un qui se noie se débatte de la sorte. Ce n’est pas honorable, on peut tromper quelques personnes tout le temps, tromper tout le monde quelques fois,  mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps. La hiérarchie militaire a dit ‘’non’’ à la réunion du 16 septembre 2015 et ce ‘’non’’ a été déterminant dans l’échec de son coup d’Etat. Il tient absolument à utiliser des mensonges déshonorants pour un général de sa stature. Il tient à entraîner la hiérarchie militaire avec lui, je lui demande de se ressaisir, on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps », a affirmé le colonel-major Naba Théodore Palé, paraphrasant le père de la Révolution, le capitaine Thomas Sankara.

 

«Il a confirmé l’interruption du conseil des ministres et donné trois raisons »

 

Sous le coup de 10h10mn, c’est le colonel-major Noufou Béremwoudougou qui était à la barre pour jurer de parler sans haine, de dire toute la vérité et rien que la vérité. Il est le directeur général des études et des statistiques sectorielles du ministère de la Défense nationale et des Anciens Combattants (MDNAC). Après que le tribunal a pris acte de sa prestation de serment et lui avoir rappelé les risques auxquels il s’expose en cas de faux témoignage, le promotionnaire de Golf a affirmé qu’il a participé aux réunions des 16 et 17 septembre 2015. «Le 16 septembre à 16h, j’ai participé à une réunion voulue par le Chef d’état-major général des armées (CEMGA) en sa qualité de président de la CRAD. Il a dit qu’il était à une rencontre du conseil d’administration de l’USFA (Union sportive des forces armées) lorsqu’il a reçu l’appel du général Diendéré lui disant que le Conseil des ministres a été interrompu et que les autorités de la Transition avaient été arrêtées. Le général, à la réunion, a confirmé les dires du CEMGA et cité trois raisons : la situation politique délétère, des gens qui avaient été écartés du jeu électoral ; le travail de la commission qui a décidé de dissoudre le RSP ; la troisième, je ne m’en souviens pas, mais je pourrai y revenir. Il a ensuite demandé le soutien de l’armée pour ce putsch. Tout le monde a réagi, les uns et les autres ont regretté la situation, car on était à quelques jours des élections, l’impact sur la situation socio-économique et le fait que ça allait ternir l’image de notre pays », a narré le colonel-major Noufou Béremwoudougou. Parlant de la requête de soutien du général, il a martelé que «tout le monde a opposé un refus catégorique ». Entre-temps, a-t-il poursuivi, il a été proposé qu’un message soit rédigé à l’intention de la population. Il était question alors d’appeler la population au calme et à la sérénité. De la discussion sur les éléments constitutifs de ce message, il est ressorti, d’abord, que cet appel dira clairement que la crise qui venait d’éclater est le fait des militaires du RSP ; ensuite, ce message devait signaler que les forces vives et l’armée étaient sur le point de mettre en place une commission pour discuter avec ledit régiment de la recherche de solutions. Ce message devait enfin dire que le RSP allait libérer les autorités alpaguées.

Noufou Béremwoudougou dit avoir participé à la rédaction de cet appel qui a été présenté au général dans la foulée. «Le général a dit que le colonel-major Boureima Kiéré et lui ne pouvaient pas prendre la responsabilité de l’accepter sans consulter la base. Sur ces entrefaites, ils sont revenus dire que les militaires ont refusé et les participants ont mis en place une équipe pour aller rencontrer les éléments au camp Naaba Koom II. La délégation est revenue dire que les militaires ont refusé de libérer les autorités et qu’elle a été menacée. Après cela, le général a dit qu’il a une déclaration et les uns et les autres ont dit d’assumer leurs actes s’il s’agit d’un coup d’Etat. La réunion a pris fin vers 3h30 du matin», a relaté le témoin.

Le sexagénaire (ndlr : né en 1958) a ajouté qu’il a aussi participé à la réunion du 17 septembre dans la matinée. A ce niveau, le CEMGA d’alors, Pingrénoma Zagré, a fait le point de la situation à des gradés qui n’avaient pas assisté à la réunion de la veille avant de laisser Golf parler d’un mouvement d’humeur qui s’est mué en coup d’Etat. Parce que c’était une rencontre d’information voulue par le cerveau présumé du putsch, celui-ci a signifié qu’il a «parlé avec les ambassadeurs de la France, des Etats-Unis, au président sénégalais Macky Sall et au Dr Mohamed Ibn Chambas. Il a aussi parlé de préoccupations liées à la sécurité et précisé qu’une réunion du CFOP (Chef de file de l’opposition politique) se tenait mais qu’il ne sait pas dans quel sens la directive allait être donnée ».

Le DG des études et des statistiques sectorielles du MDNAC a par ailleurs entendu que le général a souhaité la continuation du maintien d’ordre par les forces armées nationales étant donné qu’il y avait déjà des saccages de domiciles et des morts. La hiérarchie en retour a dit au général de rappeler «ses éléments » à l’ordre pour ne pas rompre la cohésion.

 

Kiéré et Diendéré à la barre

 

Suite à la déposition du témoin, le colonel-major Boureima Kiéré et le général Gilbert Diendéré ont été invités à se prononcer là-dessus. Le premier a reconnu effectivement que la hiérarchie militaire a désapprouvé le coup de force dès le 16 septembre mais n’a pas souvenance du message auquel le témoin a fait cas, vu qu’il se déplaçait beaucoup. Cependant, il a fustigé l’attitude du CEMGA d’alors, Pingrénoma Zagré. Le fait d’avoir annoncé le général à la réunion du 17 septembre (ndlr : ‘’Le président du CND’’) et lui avoir rendu les honneurs constituent à ses yeux un accompagnement. «Il a donné son accord pour le maintien d’ordre. On n’est pas là pour charger quelqu’un, mais le CEMGA a accompagné mais pas la hiérarchie militaire», a-t-il fait savoir.

Golf, lui, fera noter que la déposition du colonel-major Béremwoudougou ressemble trait pour trait à celle de son prédécesseur, le colonel-major Palé. Pour lui, il n’a pas été question d’un coup d’Etat dès le 16 septembre mais plutôt d’œuvrer à ce qu’on n'en arrive pas à des situations pareilles. Selon ses propos, il n’a jamais été non plus question d’un message à adresser à la population. «Le seul que j’ai fait lire, c’est le texte de la déclaration, il n’y a pas eu un autre. Par rapport à la réunion du 17 septembre, c’est  moi qui l’ai demandée et je l’ai présidée. On parle de morts qu’on attribue aux éléments du RSP, il y a quelqu’un qui était tombé mais on ne savait pas si c’était du fait des militaires du régiment. Il en est de même pour les incendies de domiciles, on ne pouvait pas indexer le RSP», a répliqué le général Diendéré. Il a soutenu aussi que si la hiérarchie militaire ne cautionnait pas le putsch, elle pouvait refuser de l’accompagner à l’aéroport pour l’accueil des chefs d’Etat, comme l’ont fait les ambassadeurs, qui avaient une position bien tranchée sur cette affaire.

Après les questions et observations des avocats des parties civiles, le témoin a été confronté à celles des avocats de la défense dans l’après-midi. Il a fini par céder sa place à un autre colonel-major. Léonard Gambo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a aussi pris part à la réunion du 16 septembre 2015 et a relaté les faits comme son prédécesseur. Son audition se poursuit ce 19 février 2019 à 9h.

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

 

Encadré

«C’est une honte pour notre pays »

 

Parlant du commandement militaire qui était «humilié  et affaibli » pendant la Transition, le général Gilbert Diendéré a estimé que c’est l’une des raisons qui ont favorisé l’entrée des terroristes sur notre territoire. «Après l’attaque du 16 janvier 2016 (ndlr : Hôtel Splendid et le café Cappuccino), on a été obligé de faire appel à des forces extérieures pour faire face à trois terroristes, c’est une honte pour notre pays, l’armée française est venue de Gao, de Bamako. L’autre attaque spectaculaire, c’est celle de l’état-major général des armées où on a vu nos officiers sortir par des fenêtres, c’est une honte, c’est le résultat de ce qui est arrivé. Tous ceux qui rôdaient au niveau de nos frontières et qui ne pouvaient pas entrer ont profité de la situation et malheureusement ça continue. On prie pour que ça s’arrête, sinon nous allons continuer à perdre notre terrain et nos hommes », a regretté le général.

 

A.D.

Dernière modification lemardi, 19 février 2019 22:11

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