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Sankara m’avait dit : «Nous n’allons pas quitter le franc CFA» (Damo Justin Baro, ministre des Finances sous le CNR)

 

Ces dernières années, le franc de la Communauté financière africaine (FCFA) est au cœur d’une polémique passionnée, voire passionnelle, en Afrique, notamment dans les 14 pays où cette monnaie est utilisée. Les anti-francs CFA ont le vent en poupe et crient plus fort que ceux qui y sont favorables. La polémique a enflé lorsqu’en janvier dernier le vice-président du conseil italien, Luigi Di Maio, a mis les pieds dans le plat en affirmant, urbi et orbi, que la décolonisation de l’Afrique n’est pas encore terminée puisque la France imprime la monnaie de 14 pays et est en train les appauvrir avec le système du franc CFA.

Beaucoup de choses sont dites sur le CFA, notamment par ceux qui en savent peu sur son articulation. Cette fois, nous  avons donné la parole à un fin connaisseur du sujet, puisqu’il a été vice-gouverneur, puis gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) : Damo Justin Baro, c’est de lui qu’il s’agit, nous a disséqué le système de cette monnaie ainsi que le fonctionnement du fameux compte d’opération qui fait tant de bruit. Cet ancien ministre des Finances de Thomas Sankara est formel : le leader révolutionnaire ne voulait pas abandonner le franc CFA.

 

 

 

 

Dans une autre vie, vous avez été ministre de l’Economie et des Finances du président Thomas Sankara, vice-gouverneur, puis gouverneur de la BCEAO. Aujourd’hui, que devient Damo Justin Baro ?

 

 

 

Permettez-moi d’abord de vous dire rapidement d’où je viens avant de conclure sur ce que je deviens.

 

J’ai quitté mes fonctions ministérielles en fin août 1986, et après sept ans passés à la Banque mondiale, j’ai eu le privilège de faire partie de la première équipe de commissaires à la Commission de l’UEMOA, que j’ai quittée 18 mois après pour les postes de vice-gouverneur puis de gouverneur par intérim de la BCEAO à Dakar au Sénégal.

 

Après cette mission, j’ai regagné mon pays en janvier 2009 où j’ai été nommé conseiller spécial du chef de l’Etat.

 

Suite à l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, j’ai structuré mes activités sous forme de cabinet d’études que je gère actuellement. En outre, je suis président et membre de plusieurs Conseils d’administration.

 

Mon Cabinet d’études assiste la PME/PMI dans ses recherches de financements auprès des systèmes bancaire et financier internes et externes, fait de la formation, du recrutement et du placement de travailleurs auprès des entreprises qui en expriment le besoin.

 

Je voyage beaucoup pour des missions à l’extérieur du pays et pour les conseils d’administration.

 

Cela m’occupe pleinement.

 

Voilà ce que je deviens.

 

 

 

Régulièrement, depuis le temps de Blaise Compaoré jusqu’à maintenant, votre nom revient parmi les « Premiers ministrables ». Est-ce simplement des rumeurs ou avez-vous déjà été approché dans ce sens ?

 

 

 

La réponse à cette question sera très brève.

 

J’apprends toujours en même temps que vous ces pronostics.

 

Permettez-moi de profiter de vos colonnes pour remercier tous ces pronostiqueurs qui me font figurer sur la « short list » pour leur grande confiance et leur estime pour moi.

 

 

 

Le débat sur le franc CFA est revenu à l’ordre du jour après les propos du vice-président du conseil italien, Luigi Di Maio, qui a déclaré que la France n’a pas fini de coloniser l’Afrique et qu’elle est en train d’appauvrir les pays africains avec le système du franc CFA. Vous qui connaissez bien le sujet, que pensez-vous de cette sortie ?

 

 

 

Moi aussi, j’ai été étonné par la sortie de cette importante personnalité. En tant qu’autorité européenne de rang très élevé, il a conforté des positions qui ne sont pas toutes techniquement justes. Depuis que j’interviens dans ce débat, j’ai toujours souligné son caractère « politique et émotionnel » ;

 

quant à la déclaration elle-même, j’en suis profondément choqué à cause de l’importance de son auteur et de la délicatesse de la matière visée. En effet, chaque fois que je suis face à une sortie de ce genre, une question me vient à l’esprit : « Qu’ont fait les peuples de cette zone CFA à ce vice-président du Conseil italien pour qu’il veuille précipiter la fin d’une monnaie stable qui leur permet de consommer, de produire, d’échanger et de vendre à l’intérieur comme à l’extérieur de leur zone ? » Monsieur le vice-président du Conseil italien utilise des euros, le franc CFA ne le concerne donc pas directement. S’il a des démêlés avec la France, qu’il s’explique directement avec elle. Il n’a pas besoin de mêler le CFA à ses explications.

 

Je continue de m’interroger sur les objectifs réels de ce branle-bas antifranc CFA au moment où une « Task Force » de Chefs d’Etat (Côte d’Ivoire, Nigeria, Ghana, Togo, Niger et Sénégal) a pris en charge le processus d’élaboration d’une nouvelle monnaie CEDEAO. Pour ma part, la voie du programme de coopération monétaire activée par la « Task Force » me semble la meilleure pour arriver à la monnaie CEDEAO.

 

Si tout cela est clairement perçu et que l’on tient à en découdre, alors, l’objectif poursuivi par les antifranc CFA est clair : c’est d’instaurer un débat émotionnel et subjectif pour mobiliser la jeunesse au service de préoccupations d’ordre politique.

 

 

 

Justement, est-ce que le problème tel que posé par l’Italien ne l’est pas par démagogie, puisque ceux qui échouent sur les plages de Lampedusa ne viennent pas tous de l’espace FCFA ?

 

 

 

J’ai préféré les termes « politique, subjectif et émotionnel » au mot « démagogique ». Je n’ai aucune envie de provoquer personne. Comme je l’ai déjà dit, j’en conviens avec les anti-CFA que les arguments techniques ne sont pas appropriés pour mobiliser. Il faut être initié à cette science de l’économie monétaire. Tandis que, politiquement et émotionnellement, c’est la sensibilité, le cœur qui réagit. Lorsque l’on parle de colonisation, d’exploitation, personne n’est insensible à cela. En outre, comme vous l’avez dit dans votre question, ceux qui débarquent à Lampedusa sont plus souvent Somaliens, Erythréens, Soudanais… que Burkinabè, Maliens, Sénégalais ou Togolais, etc. J’ai l’impression que monsieur le vice-président est hors sujet. Il a très probablement un vrai problème, mais la solution qu’il déploie ne paraît pas en adéquation.

 

 

 

Le débat actuel serait donc, à vous écouter, moins économique et monétaire que politico-idéologique ?

 

 

 

J’ai déjà caractérisé ce mouvement qui a instauré un débat émotionnel, subjectif et politique. On peut y ajouter sa grande inspiration idéologique et panafricaniste. Cela découle du fait que nous avons affaire au seul système monétaire au monde qui a survécu à la décolonisation et à ses liens avec l’ancienne puissance coloniale.

 

 

 

L’économiste ivoirien Mamadou Koulibaly, l’activiste panafricaniste Kemi Seba, pour ne citer qu’eux, prônent l’abandon de ce vestige colonial qu’est le FCFA. Vous n’êtes donc pas sur la même longueur d’onde et pourquoi ?

 

 

 

Selon eux, le franc CFA est un vestige colonial qui permet à la France de continuer sa domination sur la zone CFA.

 

Bien sûr que je ne suis pas sur la même longueur d’onde qu’eux. En tant qu’ancien vice-gouverneur et gouverneur par intérim de la BCEAO, les Etats de l’UEMOA nous ont concédé la gestion de leur politique monétaire. Et l’action de la BCEAO dans ses relations avec la France est régie par les Accords de coopération monétaire. Après avoir fréquenté les mêmes universités françaises et les mêmes grandes écoles, nous avons l’expertise nécessaire pour discuter à égalité avec nos partenaires français, qui défendent leurs intérêts au moment où nous défendons aussi les nôtres. Si des dispositions des Accords de coopération monétaire ne nous conviennent pas, nous posons le problème au cours des Conseils des ministres de la zone franc. Il ne s’agit pas d’hypothèse d’école. Cela est arrivé plusieurs fois. La dernière fois a consisté à modifier l’article 2 de la convention de compte. En effet, en septembre 2005, l’article 2 de la convention de compte relatif à l’obligation de déposer 65% des réserves de change de l’Union monétaire sur le compte d’opérations et 35% en gestion libre par notre Banque centrale a été modifié pour fixer le seuil de l’obligation à 50%, donc moitié/moitié.

 

Moi, je continue de m’interroger sur la finalité du combat de certains des antifrancs CFA. Pour qui travaillent-ils ? Pour leurs intérêts ou ceux de nos parents qui pourraient souffrir d’une disparition non organisée du franc CFA, tellement envié de par le monde ? Beaucoup d’entre eux qui viennent mobiliser la jeunesse ne sont même pas concernés par le franc CFA. Ils gardent soigneusement dans leur poche des documents d’identité français et brûlent des signes monétaires chèrement acquis par les populations laborieuses de la zone franc.

 

Le passeport n’est même pas un vestige colonial mais une réalité française. Je les comprends en ce sens qu’ils garantissent leurs arrières en ayant un document d’identité français pour s’assurer qu’à tout moment ils peuvent retourner chez eux en laissant derrière eux nos populations souffrant dans leurs villages des nombreux effets pervers d’une dévaluation ou d’une disparition non préparée du franc CFA ou même d’une dépréciation du franc CFA liée à leurs déclarations et agitations intempestives.

 

En réalité, le franc CFA est une monnaie solide et forte qui « se tient toujours droit dans ses bottes » et continue de jouir d’une confiance inébranlable à l’intérieur et à l’extérieur de sa zone d’émission. Il y a des monnaies qui, pour moins que cela, se seraient effondrées comme des châteaux de cartes. Et l’argument le plus évident découle tout simplement du bon sens. Je l’ai entendu de la bouche de M. Claudy Siar sur RFI. Il disait : Ce franc CFA qui date de 1945 ne démontre-t-il pas par sa longévité qu’il est crédible et solide ? C’est d’une telle monnaie qu’un pays, une zone a besoin. Son origine coloniale ne me semble pas être fondamentale. Que l’on regarde autour de nous et nous verrons une « flopée » d’institutions qui ont des origines coloniales et qui ne dérangent personne.      

 

 

 

Tout de même, ne trouvez-vous pas paradoxal que cette même France qui garantit notre FCFA ne l’accepte pas sur son territoire ?

 

 

 

Je vous comprends. Sachez que la France est un partenaire important de l’Union monétaire ouest-africaine, mais qu’elle n’en est pas membre. Elle avait sa monnaie nationale et maintenant elle est partie prenante à une monnaie régionale, l’euro, qui a cours obligatoire et pouvoir libératoire dans tout l’Euroland.

 

Dans le cadre du partenariat que nous entretenons avec la France, elle n’est pas tenue de conférer au franc CFA sur son territoire national un cours obligatoire et un pouvoir libératoire.

 

Dans le contexte de cette coopération, les transferts causés sont libres et illimités. L’appartenance à la même zone ne signifie pas forcément la mise en place d’une monnaie unique dans ladite zone. La France et l’UMOA ne sont pas en union monétaire mais en partenariat, en coopération. Cela ne me choque pas qu’en France on ne soit pas obligé d’accepter le CFA.

 

 

 

Dites-nous, techniquement parlant et en français facile si possible, les avantages et les inconvénients de cette monnaie commune.

 

 

 

Le dispositif institué par les accords de coopération monétaire de décembre 1973 comporte sur le plan technique les avantages suivants que je synthétise :

 

il y a d’abord la stabilité du franc CFA. La fixité du taux de change et la garantie de la convertibilité ont permis aux Etats membres de l’UMOA de connaître la stabilité monétaire au cours des cinquante dernières années. En effet, il suffit, pour s’en convaincre, d’observer dans la sous-région les performances réalisées par les pays voisins ayant fait le choix de gérer en propre leur monnaie. Je ne veux pas citer des pays hors UEMOA dans lesquels l’instabilité monétaire chronique oblige des agents économiques à refuser leur propre monnaie d’émission au profit du dollar ou de l’euro. Dans ce sens, essayez de louer une maison ou un appartement dans certaines villes de nos voisins hors UMOA. On vous fera payer 12 mois d’avance en dollars US. La chasse aux devises y est telle que, dans certaines administrations, vous payez en devises et on vous fait toujours l’appoint en monnaie nationale.

 

Enfin, la stabilité monétaire dans la zone CFA a donné de la visibilité et confiance aux investisseurs.

 

Ensuite la convertibilité, gage d’un pouvoir d’achat international dans la mesure où l’Accord de coopération monétaire prescrit la garantie de la convertibilité du franc CFA par le Trésor français, la fixité de la parité entre le franc CFA et le franc français (aujourd’hui l’euro), la centralisation des avoirs en devises des Etats membres de l’UMOA dans le compte d’opérations ouvert dans les livres du Trésor français, la garantie de change ou garantie du pouvoir d’achat du franc CFA. C’est ce mécanisme solidement ficelé et mis en place qui a permis aux Etats membres de l’Union de disposer d’une monnaie convertible ayant un pouvoir d’achat international. Grâce à ce pouvoir d’achat, les Etats, les entreprises et les ménages peuvent acquérir des médicaments et des biens d’équipement indispensables.

 

Enfin, les facilités et le confort découlant des accords de coopération monétaire.

 

La garantie de la convertibilité par le Trésor français permet de ne pas avoir de souci sur la couverture de l’émission monétaire. En effet, par principe, rien n’empêche le compte d’opérations d’être débiteur, puisque le Trésor français est garant de son solde (créditeur ou débiteur). Dans cette perspective, le problème des réserves de change, en couverture de l’émission monétaire, ne devrait jamais se poser à la Banque centrale.

 

En outre, la rémunération de ces dépôts conventionnels (50% des disponibilités extérieures de l’Union) a toujours été au-delà de ce que les institutions monétaires et financières internationales accordent aux placements.

 

Il faut noter que la parité fixe supprime tout risque de change pour les transactions de tous ordres avec la France et les autres Etats de l’euro zone ; ce qui constitue un avantage considérable, parce qu’il s’agit d’une zone d’échange privilégiée de fait : il s’agit de la même union monétaire.

 

 

 

Qu’en est-il des inconvénients ?

 

 

 

De mon point de vue, la parité fixe, qui pose le problème du choix du régime de change, peut être relevée comme un aspect à revoir. En effet, il existe deux grandes catégories de régimes de change : les régimes de change fixe (cas du franc CFA) actuellement, et les régimes de change flottant.

 

Chacune de ces deux catégories a plusieurs variantes de régimes de change et chacune de ces deux catégories a ses avantages et ses inconvénients.

 

La fixité de la parité du franc CFA le rend insensible au jeu des mécanismes du marché.

 

Seule la Conférence des chefs d’Etat peut en modifier administrativement le taux de change. L’arrimage du FCFA à l’euro par une parité fixe (655,957 francs CFA pour un euro) confère au FCFA toutes les caractéristiques de l’euro qui est une devise forte.

 

Or, comme l’affirme M. Kako Nubukpo (Ndlr : économiste togolais, l’un des grands pourfendeurs du CFA), « une économie faible qui a une monnaie forte engendre des ajustements très difficiles à soutenir » ; en d’autres termes, une monnaie forte pour des pays pauvres aggrave leur situation de pauvreté en leur facilitant la satisfaction de leurs besoins de consommer des biens importés.

 

Le problème de compétitivité des pays CFA conduit inéluctablement à une extraversion de leurs économies.

 

Au regard de ce qui précède, de mon point de vue, « le talon d’Achille » du dispositif actuel du franc CFA est la question de la compétitivité des économies des Etats de l’UMOA. Elle est fondamentale. En effet, toute appréciation de l’euro par rapport au dollar US se traduit de facto par une appréciation du taux de change réel du franc CFA, et cette appréciation du taux de change effectif, réel impacte la compétitivité des productions agricoles exportées telles que le coton, le binôme café/cacao de Côte d’Ivoire, des produits maraîchers et même des produits de l’artisanat, etc. Ainsi, on peut affirmer qu’aujourd’hui le franc CFA, via son rattachement à l’euro par un taux de change fixe, est beaucoup plus déterminé par les événements au sein de la zone euro que par la conjoncture économique au sein des pays de la zone franc.

 

En conclusion, ce problème de la parité fixe est l’inconvénient majeur de l’avantage de la stabilité qu’il confère au Franc CFA.   

 

 

 

Ce n’est certainement pas par charité chrétienne que la France garantit la convertibilité de cette monnaie. Qu’est-ce qu’elle gagne concrètement dans le système actuel du FCFA ?

 

 

 

Un illustre homme d’Etat français (Charles de Gaulle, Ndlr) a dit qu’« entre les Etats, il n’y a pas d’amitié mais des intérêts ». Naturellement, ce n’est pas par charité chrétienne que la France garantit la convertibilité du franc CFA. Avant l’adoption de l’euro, le mécanisme profitait à la France seule. Aujourd’hui, la parité fixe et la garantie de convertibilité du franc CFA profitent à tout l’euroland. Pour tous ces pays européens, le dispositif de l’arrimage facilite leurs investissements en Afrique, le rapatriement des capitaux et l’importation de nos matières premières, etc., pour ne citer que cela. C’est une vraie zone d’échanges privilégiés.

 

Et puis, d’un point de vue purement bancaire, une garantie est un engagement par signature, un engagement conditionné : si le débiteur principal est défaillant, le garant paie pour son compte. Faites le tour de toutes les banques du monde, cette opération n’est pas sans frais. Le Trésor français est une banque.

 

La contrepartie de la garantie de change est une sorte de contre-garantie constituée par 50% des réserves de change de la Banque centrale que le Trésor français fait fructifier comme tous les dépôts dans les institutions bancaires. Il faut savoir aussi que ces dépôts sur le compte d’opérations sont bien rémunérés.

 

Tels sont les intérêts qui dictent le comportement de la France dans sa garantie de convertibilité du franc CFA.

 

 

 

Si l’on en croit le vice-Premier ministre italien, sans sa vache laitière qu’est le FCFA, la France serait la 16e puissance économique mondiale. Cette affirmation est-elle exacte ?

 

 

 

Je ne suis pas à même d’apprécier l’exactitude ou l’inexactitude d’une telle déclaration. Je ne sais pas quel modèle macroéconomique il a utilisé pour aboutir à ce résultat.

 

Pour ma part, en vue de préparer un débat télévisé sur le même thème en mars 2017, selon les informations que j’avais pu collecter, en 2016 les réserves de change représentaient 0,17% du PIB français. Donc c’est un impact marginal de mon point de vue.

 

 

 

Qu’est-ce que nous (pays de la zone franc) perdrions concrètement si cette convertibilité n’était pas garantie ?

 

 

 

La garantie de convertibilité est un élément sérieux de la confiance des investisseurs dans la zone CFA ;

 

en effet, comme toutes les garanties, elle met en confiance le banquier ou, dans notre cas, les partenaires techniques et financiers (PTF).

 

Déjà que notre zone a des difficultés à mobiliser l’aide publique au développement (APD) et l’investissement privé étranger (IPE), je parie que ce serait plus compliqué sans la garantie de convertibilité de notre monnaie.

 

 

 

En français facile, à quoi renvoie la problématique des réserves de change, à quoi servent-elles exactement ?

 

 

 

Elles servent à la réalisation de nos opérations de commerce extérieur : import/export.

 

 

 

Comment génère-t-on ces fameuses réserves de change ?

 

 

 

Pour mieux comprendre, retenez que les réserves de change sont les monnaies étrangères ou devises que nos opérateurs économiques reçoivent en paiement de leurs exportations. Ce sont les dollars US, les yens, les wons et même les euros que nos exportateurs reçoivent lorsqu’ils vendent nos productions de coton, café/cacao, uranium, or, etc. Les opérateurs étrangers qui achètent ces produits paient avec la monnaie fabriquée par le pays dans lequel ils résident. Souvent, c’est en dollars, en yens, en yuans, en wons, etc. Comme ces monnaies ne circulent pas chez nous, ils ne peuvent pas les dépenser ici, alors ils remettent toutes ces monnaies étrangères à la BCEAO qui va agir comme un bureau de change en leur remettant (par crédit de leur compte) l’équivalent en franc CFA qu’elle (fabrique) émet. La BCEAO ayant remis la contrevaleur en CFA à ceux qui les ont gagnées, les devises deviennent sa propriété.

 

La BCEAO accumule ses devises en deux endroits : 50% sur un compte ouvert dans les écritures du Trésor français, c’est le compte d’opérations, et 50% gérés directement par la BCEAO qui les fera fructifier par des placements sur des places financières jugées intéressantes par leur rentabilité et surtout par la sécurité que ces places financières inspirent.

 

Lorsque la BCEAO prend possession des monnaies étrangères ou devises après les opérations de change, ces devises deviennent les réserves de change qui constituent la couverture de l’émission monétaire dans l’UEMOA. En application de la convention de compte d’opérations, la BCEAO dépose les 50% sur le compte d’opérations et gère elle-même les autres 50%.

 

La totalité de ces réserves de change (les 50% déposés sur le compte d’opérations et les 50% en gestion libre par la BCEAO, soit 100% échangés en franc CFA) sert à financer nos économies. Elles (ces réserves de change) constituent la contrepartie des signes monétaires CFA qui circulent dans nos pays.

 

Enfin, il convient d’avoir en tête que ce sont des dépôts qui appartiennent à notre Banque centrale, qui les utilise chaque fois qu’elle en a besoin, par exemple pour couvrir ses ordres de transfert.

 

La BCEAO recourt aux dépôts sur le compte d’opérations pour exécuter les ordres de transfert qui lui sont transmis par les banques des huit pays de l’UMOA pour les règlements des opérations d’importation (médicaments, machines-outils et toutes sortes d’équipements ou de produits de consommation non manufacturés par les opérateurs économiques de notre zone CFA).

 

Ce n’est pas facile d’expliquer ce que soi-même perçoit comme une évidence. J’espère avoir réussi à me faire comprendre.

 

 

 

A supposer même que le franc CFA ne pose pas problème, qu’est-ce qui nous empêche de battre monnaie pour nous départir de cette charge coloniale qui n’est quand même pas négligeable, quoi qu’on en dise ?

 

 

 

Le franc CFA ne pose aucun problème pour ma part. Parce qu’aucun opérateur économique ne s’est plaint du CFA. Je ne vois pas non plus des queues interminables découlant de difficultés d’approvisionnement ou des sachets noirs, signes que l’inflation galope et que, pour acheter du pain, des comprimés, etc., les poches ne suffisent pas pour mettre le prix de ces produits.

 

Si donc le franc CFA ne pose aucun problème, je ne vois pas de raison de faire autre chose. C’est si le franc CFA posait problème que nous devions l’abandonner au profit de notre propre monnaie.

 

Je vais vous faciliter la tâche en disant que nous sommes souverains et qu’à tout moment nous pouvons décider de quitter le franc CFA pour une autre monnaie. En cela, nous ne serions pas les premiers, car les pays magrébins : Tunisie, Algérie et Maroc ont abandonné le franc CFA pour leur monnaie nationale. Plus récemment, la Mauritanie en a fait de même.

 

Des pays plus petits que nous battent monnaie, pourquoi nous ne pourrions pas, si des conditions économiques de base sont remplies, en faire autant ?

 

 

 

Depuis quelques années, il est justement question d’une monnaie unique de la CEDEAO ; où en est-on actuellement ?

 

 

 

Si j’ai bonne mémoire, c’est depuis 1989 qu’il est question de la monnaie commune CEDEAO. Il y a eu beaucoup de rendez-vous manqués.

 

Ressortissant d’une zone (UMOA) qui a une culture de gestion d’une monnaie commune et en ma qualité de responsable de la BCEAO, j’ai représenté la Banque centrale comme personne-ressource dans le programme de coopération monétaire de la CEDEAO au niveau du conseil de convergence jusqu’à la fin de mon mandat à la BCEAO.

 

Mon sentiment personnel est que la volonté politique n’y était pas. Cependant, depuis un certain temps les choses commencent à bouger.

 

En effet, comme je l’ai indiqué tantôt, une « Task Force » constituée de chefs d’Etat (Niger, Nigeria, Côte d’Ivoire, Sénégal, et Togo) a pris le processus en charge. Elle a sorti une feuille de route qui prévoit la monnaie commune CEDEAO en 2020. La première feuille de route que j’avais est dépassée, elle était du 9 mai 2009, et la monnaie commune était toujours prévue en 2020.

 

Il y a à peine une semaine, j’ai vu le président Alassane Ouattara sur les réseaux sociaux affirmer avec force que la feuille de route serait respectée et que le CFA était une monnaie solide au regard du taux de couverture de l’émission monétaire. Je ne peux que m’aligner sur cette position.

 

 

 

Est-ce que ça peut être une réponse au lâchage du FCFA que certains réclament à cor et à cri ?

 

 

 

Je pense pouvoir dire que oui. Parce que je ne vois pas la monnaie commune CEDEAO circuler parallèlement avec le franc CFA.

 

 

 

Le retard socio-économique qu’accusent les pays de la zone FCFA est-il seulement imputable à cette monnaie ?

 

 

 

Mais pas du tout ! Je me répète en disant qu’il y a une certaine interdépendance entre l’économie réelle et l’économie monétaire. Ce n’est pas la monnaie qui donne la force à l’économie, c’est l’économie qui donne la force à la monnaie.

 

Toutes ces personnes qui vilipendent le franc CFA et l’accusent de tous les « péchés d’Israël » ont tort, car la monnaie ne peut pas tout faire. Je me permets de citer le Baron Louis, ministre français des Finances, qui disait : « Faites-moi de bonnes politiques et je vous ferai de bonnes finances ». Permettez-moi de le paraphraser en disant : faites-moi de bonnes politiques de gestion économique et je vous ferai une bonne monnaie.

 

Dans le cas du franc CFA, on a été obligé de compléter Union monétaire ouest-africaine (UMOA), essentiellement monétaire, par Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui met l’accent sur la qualité des politiques macroéconomiques.

 

Moi, je n’accuse pas le seul franc CFA, autrement tous les pays non CFA autour de nous auraient été émergents. Certains pays l’ont quitté pour des raisons que j’ignore. Aujourd’hui, ces pays ne se sont pas plus développés que ceux qui sont restés dans la zone. C’est la preuve que le franc CFA n’est pas le seul responsable des mauvaises performances économiques de la zone CFA. La plupart des pays à monnaie nationale souffrent d’hyperinflation.

 

 

 

Vous êtes un pur produit de la BCEAO, n’est-ce pas normal que vous défendiez bec et ongles le CFA ?

 

 

 

Je ne pense pas être un pur produit de la BCEAO. Pour moi, un pur produit de la BCEAO est celui qui, à l’issue de sa carrière universitaire, a été recruté directement à la BCEAO. Ce n’est pas mon cas. Je suis arrivé à la Banque centrale comme vice-gouverneur après une expérience professionnelle de 17 ans, à savoir 7 ans à la Banque mondiale, un an et demi à l’UEMOA et tout le reste dans la Fonction publique.

 

J’ai respecté mon engagement décennal signé en 1971 comme une des pièces du dossier de demande de bourse après mon succès au baccalauréat.

 

Je défends le franc CFA parce qu’à un moment de ma vie professionnelle, j’ai eu le privilège de participer directement à sa gestion et de mieux connaître en interne son dispositif de gestion à travers les accords de coopération monétaire. J’ai eu également des idées préconçues qui dépeignaient ces phénomènes monétaires de la manière la plus révoltante. Pris dans cette ambiance, j’ai vraiment cru que nous étions tous des employés du Trésor français.

 

Lorsque j’ai découvert la réalité en interne, que j’ai vu qu’il n’y avait aucun coopérant dans la Banque centrale, j’ai vu que la plupart des Etats africains commandaient leurs billets de banque à des compagnies d’imprimerie de droit privé à l’étranger, notamment aux deux principaux imprimeurs que sont Oberthur fiduciaire et De La Rue ; j’ai vu que cela était possible également à la BCEAO, j’ai compris la série d’idées reçues.

 

Enfin, non seulement j’avais et j’ai toujours l’intime conviction que le CFA n’est pas une mauvaise monnaie parce qu’il est très fréquemment falsifié à cause de sa crédibilité, mais en outre je me devais de faire mon travail de vice-gouverneur, puis de gouverneur par intérim, à savoir défendre le franc CFA sous l’autorité du gouverneur. Même à la retraite aujourd’hui, je demeure conséquent avec moi-même et je continue de défendre cette monnaie.

 

 

 

Vous qui étiez le grand argentier de Thomas Sankara, le bruit a couru qu’il voulait quitter le FCFA pour battre sa propre monnaie. Qu’en était-il au juste ?

 

 

 

Oui, le bruit a effectivement couru que le Burkina allait battre monnaie. Cette affirmation a été confortée par les nombreux changements opérés en 1984 au premier anniversaire de la révolution : le nom du pays, le drapeau, l’hymne national, les noms des principaux cours d’eau du pays, les noms des circonscriptions administratives, la configuration des galons militaires, etc. Dans cette lancée, tout le monde s’est dit qu’il n’oublierait pas la monnaie, le signe de souveraineté le plus manifeste.

 

Le président Thomas Sankara savait qu’il était attendu sur ce point. Je l’entends encore, comme si c’était hier, me dire : « Nous n’allons pas prendre la décision de quitter le CFA au profit d’une monnaie nationale. Nos partenaires dans le CFA seraient tellement contents de nous voir agir exactement comme ils l’ont programmé. Mais ils pourraient nous chasser de deux manières :

 

- en pleine réunion, ils s’organisent pour quitter la salle en nous laissant seuls. Dans ce cas, nous devons prendre acte et nous organiser pour assumer la situation ;

 

- ou par la méthode moins diplomatique et plus directe, en nous convoquant pour nous signifier que nos méthodes révolutionnaires sont incompatibles avec la gestion du franc CFA. Dans ces deux situations, le résultat est le même : nous sommes chassés de l’Union.

 

En cas de réalisation d’une telle hypothèse, il convient de se préparer pour continuer d’exister et de vivre. »

 

Alors, l’Union révolutionnaire de banque (UREBA) a vu le jour. Cette banque, dont l’objectif apparent était de financer les collectivités publiques locales, devait préfigurer la Banque nationale du Burkina Faso, notre institut d’émission, au cas où nous aurions été jugés indésirables par nos partenaires dans le CFA.

 

J’avais même reçu la mission de confectionner un organigramme avec les services essentiels indispensables pour le fonctionnement d’une banque centrale.

 

Quant à l’UREBA, elle poursuivait ses activités connues de financement des collectivités publiques locales avec à sa tête « le Camarade Directeur général Moïse Nignan Traoré ».

 

Qu’on se comprenne : je n’ai pas dit que le président Thomas Sankara avait décidé de battre sa monnaie nationale. Au contraire j’ai bien dit qu’il craignait la décision d’exclusion de son pays, le Burkina Faso, de l’UMOA et du franc CFA. En homme responsable, il a décidé de « prévoir pour pourvoir afin de pouvoir ».

 

Le président Sankara prenait des précautions pour éviter les surprises en attendant quelque décision d’exclusion que ce soit. Dans cette attente, il a décidé de jouer le jeu, de respecter et de faire respecter la discipline, la rigueur et une gestion saine dans nos organisations d’intégration sous-régionale. C’est ainsi que l’ancien ministre ivoirien du Plan, feu Mohamed Tiékoura Diawara, et l’ancien secrétaire général de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEAO), le Sénégalais Moussa Ngom, ont été incarcérés à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) sous l’instigation du président Sankara après les preuves d’une gestion indélicate des fonds de cette institution par ses responsables et leurs complices.

 

Pour revenir au franc CFA, à la place des Nations unies à Ouagadougou, nous avions le plus beau slogan pro CFA jamais réalisé dans aucun autre pays membre de l’Union. C’était un grand panneau publicitaire sur lequel trônait l’ancien billet de banque de 10 000 FCFA de couleur rouge. En bas de ce billet, on pouvait lire : « Consommons burkinabè pour économiser nos devises ». Même la BCEAO n’aurait pas fait mieux ! Ce panneau est resté durant toute la période révolutionnaire du président Thomas Sankara et longtemps après.

 

Le président Sankara était révolutionnaire, nationaliste et panafricaniste, mais fervent croyant en l’intégration économique régionale et africaine comme solution au développement économique et social de l’Afrique. Pour lui, l’intégration économique était un passage obligé si l’Afrique veut devenir une vraie puissance mondiale.

 

Au regard de ce qui précède, j’en déduis que c’est la raison pour laquelle il ne s’est pas attaqué aux initiatives réussies d’intégration économique et monétaire telles que l’UMOA et la BCEAO.

 

 

 

En tant qu’économiste, que pensez-vous du débat national sur le fonds commun qui a défrayé un temps la chronique ?

 

 

 

Le débat a retenu mon attention à plus d’un titre : en ma qualité d’inspecteur principal du Trésor ayant passé une période de sa vie professionnelle au ministère de l’Economie et des Finances et en ma qualité de citoyen burkinabè.

 

Les fonds communs existent dans tous les Etats de la sous-région ayant un héritage juridique français.

 

Techniquement, ils sont générés par les services de recettes du ministère de l’Economie et des Finances (Trésor, Douane et Impôts). Le Trésorier payeur général, dans ses fonctions de banquier de l’Etat, consent sous sa responsabilité des facilités de paiement à des contribuables, notamment aux opérateurs économiques, pour leur permettre d’enlever leurs marchandises facilement périssables entreposées dans des magasins sous douane. Il s’agit ainsi d’un crédit d’enlèvement en douane. Comme tous les crédits, il porte intérêts. C’est une partie des intérêts sur le crédit en douane qui alimente le FC, comme on l’appelle.

 

Les droits de douane sont prévus au budget, mais les intérêts sur crédit d’enlèvement en douane ne sont pas budgétisés.

 

Le débat a été provoqué par les seuls agents du ministère des Finances.

 

En effet, la plupart des administrations de la Fonction publique ont des avantages liés à leur corps ; pourquoi c’est le seul fonds commun qui a fait l’objet de critiques ? C’est parce que ses bénéficiaires n’ont pas su faire preuve de la discrétion et de la réserve qui s’imposent à des agents investis du privilège de gérer des deniers publics. C’est parce qu’entre eux il y a eu déficit de cohésion. Et face à des montants devenus relativement importants, les informations sont parties dans tous les sens. Ils ont étalé dans la rue ce qu’ils auraient dû régler en interne. La conséquence directe, c’est ce que nous vivons aujourd’hui.

 

 

 

Fallait-il le laisser en l’état ou le plafonner comme vient de le faire l’Assemblée nationale ?

 

 

 

Le ministre de tutelle aurait dû en discuter avec les bénéficiaires pour les sensibiliser à la conjoncture nationale. Il ne fallait pas négliger le fait que, chez tous les travailleurs du monde, les droits acquis sont difficiles à réviser à la baisse.

 

Même si on ne pouvait pas les laisser en l’état, il fallait négocier leur indexation à la masse totale du fonds commun. Cela aurait eu pour effet de maintenir au fonds commun sa vocation originelle : stimulant des services chargés des recettes. Ce qui veut dire que plus ces services font rentrer de recettes budgétaires, plus la masse à partager du fonds commun est importante et plus leur gratification est élevée.

 

De mon point de vue, l’Assemblée nationale, qui autorise le budget en recettes et en dépenses, n’a rien à voir dans la gestion de ressources hors budget. Ayant transformé cela en autorisation budgétaire, les montants payés aux agents ne sont plus des gratifications mais des indemnités. Et il semble que c’est tout le monde qui en bénéficie.

 

La justice, ce n’est pas tout le monde sur un pied d’égalité, mais à chacun selon la pénibilité de son job, les sujétions, les risques immanents et spécifiques à chaque type de métier de la fonction publique. On a eu tort d’avoir budgétisé le fonds commun. L’origine des ressources ne le permet pas.  

 

Chacun doit assumer son choix professionnel. Je ne suis pas médecin, ni magistrat, ni militaire, ni administrateur civil, ni agent des Eaux et Forêts, ni professeur d’université, etc. Je n’irais pas réclamer les avantages liés à leur corps de métier.

 

Cela dit, j’admets complètement que lorsque la conjoncture le requiert, nous fassions preuve de patriotisme avec tous les sacrifices que cela coûte.

 

 

 

Interview réalisée par

 

San Evariste Barro

 

Abdou Karim Sawadogo

 

Aboubacar Dermé

 

 

 

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