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Procès putsch manqué : «C’est le général Zagré qui a présidé la réunion du 17 septembre» (Colonel-major Alassane Moné)

 

Dans le cadre du procès du putsch manqué de septembre 2015, l’audition, en qualité de témoin, du général de brigade Pingrenoma Zagré s’est poursuivie hier 26 février 2019 dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. Le chef d’état-major général des armées au moment des faits était, à son 3e et dernier jour d’interrogatoire, confronté aux questions des avocats de la défense ; ceux-ci tentant par divers moyens d’obtenir des précisions dans le but de faire disculper leurs clients. A l’issue de sa déposition, c’est le colonel-major Alassane Moné, secrétaire général du ministère de la Défense, qui a été appelé à la barre. Sur le débat qui était de savoir qui des généraux Diendéré et Zagré a présidé la réunion du 17 septembre, Moné a été formel : c’est le général Zagré.

 

 

 

 

Dès la reprise de l’audience, Me Abdoul Latif Dabo, l’un des avocats du général de brigade Gilbert Diendéré, a souhaité avoir plus de précisions afin de mieux fourbir ses armes de défense. «La proposition de déclaration qui a été faite au général Diendéré, c’était le 20 ou le 21 septembre 2015 ? », a-t-il demandé en guise d’introduction. «C’est le 21 matin que la déclaration a été soumise au général, lui demandant de se soumettre à l’autorité de la Transition et du CEMGA », a répondu le général Pingrénoma Zagré.

 

A la question de savoir pourquoi il a attendu jusqu’au 21 septembre avant de demander la démission de « Golf», l’actuel ambassadeur du Burkina Faso auprès du Ghana et du Togo a invité l’avocat à ne pas faire de «diversion». Selon ses propos, dès la nuit du 16 septembre, il a été clairement signifié au cerveau présumé du putsch manqué qu’il fallait mettre un terme à ce pronunciamiento et reconnaître l’autorité de la Transition et du commandement militaire.

 

«Avez-vous eu vent de terroristes ou de djihadistes qui venaient en appui aux éléments du RSP ? », a poursuivi Me Dabo. La réponse du général aux deux étoiles est sans ambages : «Je n’en ai pas eu connaissance ». Le général Zagré ne se souvient pas non plus avoir ouï dire qu’il y avait, lors des événements, une femme qui se promenait de poste en poste pour donner de l’argent aux militaires dudit régiment dans le but de les galvaniser. «Mon général, dans votre déclaration à l’adresse de la troupe le 21 septembre 2015, est-ce que vous ne pouviez pas donner la position claire de la hiérarchie militaire et dire qu’elle n’a aucunement cautionné ce qui venait de se passer ?», a suggéré le conseil. «Maître, c’est votre point de vue », a répliqué le témoin. «Ce n’est pas un point de vue, c’est un constat, beaucoup de la troupe s’attendaient à avoir votre position claire et nette », a renchéri l’avocat. «Maître, je prends acte de votre constat », a-t-il réagi.

 

 

 

«Je ne m’en souviens pas, c’est possible»

 

 

 

«Mon général, vous dites qu’au moment des faits, des autorités politiques vous ont interpellé en vous demandant de bombarder le camp et que vous ne l’avez pas fait… ». L’avocat n’a pas eu le temps de formuler sa question que le témoin lui a donné cette réponse : «Je ne m’en souviens pas, c’est possible».

 

Et l’avocat de rassurer le témoin Zagré qu’il n’a pas tenu ces propos dans le but de le confondre ou de le mettre mal à l’aise. «Monsieur le président, il a été reproché à certains accusés d’avoir reçu des messages de la part de civils, des messages les incitant à ne pas déposer les armes, appelant à la violence. Si ces personnes n’ont pas posé d’actes, on ne devrait pas leur en vouloir aussi », a fait observer Me Dabo.

 

Par ailleurs, l’homme en robe noire est revenu sur le chapitre de la réunion du 16 septembre 2015 : «Vous dites qu’il n’y a pas eu de suspension sauf quand le général Diendéré et le major Kiéré se sont retirés pour consulter la base et revenir vous faire le point en disant que la troupe avait refusé, est-ce exact ? ». «Aux environs de minuit, étant donné que le général tenait à sa position, il a été proposé une formule, un message à adresser au public pour mettre fin à la forfaiture. Le général et le major sont allés en faire part aux hommes et sont revenus rendre compte à la CRAD, c’est le premier mouvement. Pour le deuxième mouvement, ils nous ont précédés au camp Naaba Koom II », a déclaré le témoin. «Le colonel Déka Mahamadi était-il dans la salle ? », a encore interrogé Me Dabo. «Je ne l’ai pas aperçu, si Déka était là, je ne m’en souviens pas», a indiqué le général de brigade Zagré qui ne se souvient pas non plus si son promotionnaire Diendéré s’est absenté ou est sorti de la salle plus d’une fois. «C’est possible qu’il soit sorti pour un appel téléphonique », a affirmé Pingrénoma Zagré. «Une personne fait 1, 2, 3, 4, 5 ou 6 sorties, si cette personne qui est votre interlocuteur n’était pas là, comment peut-on alors discuter ? », a martelé l’avocat. «Maître, je ne sais pas, les chiffres, c’est vous qui les annoncer. Nous sommes tous des êtres biologiques, des gens peuvent sortir pour aller se soulager. Mais je ne comptais pas les sorties des uns et des autres », a rétorqué le comparant dont la réponse ouvrait la porte à un long développement de Me Dabo. «D’abord, l’ancien directeur général de la police a déclaré devant votre barre que le général Diendéré l’a appelé à cinq reprises en l’espace de quelques minutes. Or, le 16 septembre, dans la soirée, le général était en réunion au ministère de la Défense nationale et des Anciens combattants (MDNAC) et aucun témoin n’a dit qu’il est sorti autant de fois. Ensuite, Mathurin Bako (ndlr : ancien président de l’Autorité de régulation des communications électronique et des postes, ARCEP) dit que le général l’a appelé, à cette même date, entre 19h et 20h. C’est impossible que le général ait donc conversé avec Mathurin Bako en passant par le colonel Déka qui n’était pas là-bas. De plus, il a été fait cas de l’hyperactivité d’une femme qui distribuait de l’argent aux militaires, en l’occurrence Fatouma Thérèse Diawara. Mais le CEMGA Zagré n’a pas reçu d’informations dans ce sens ou  il ne se le rappelle plus. Il a également été fait cas de milliers de combattants qui arrivaient sur le territoire burkinabè. La hiérarchie n’a pas eu vent de cela. Monsieur le président, nous espérons que cela sera noté», a espéré Me Dabo.

 

 

 

«Les déclarations du général Zagré nous posent problème»

 

 

 

L’avocat ,qui n’était toujours pas à la fin de ses observations, a fait remarquer que le témoin Zagré, sans qu’on ne lui pose la question, a répété incessamment que c’est lui qui avait présidé la réunion du 17 septembre 2015. L’autre aspect est qu’il a affirmé que le colonel Abdoul Karim Traoré (A.K.T.) a dit «du n’importe quoi» le concernant. En effet, selon les comptes rendus de la presse, le colonel déclarait qu’il avait surpris des propos entre le général Diendéré et l’ex-CEMGA évoquant des questions de postes dans le futur gouvernement du CND. C’était à l’aéroport international de Ouagadougou à l’accueil des chefs d’Etat mandatés par la CEDEAO. «Comment le général Zagré a-t-il pris connaissance de ces propos ? », s’est interrogé l’avocat. Il a estimé que le témoin est bel et bien scotché aux médias. Selon Me Dabo, si des mesures sont prises afin que les témoins n’assistent pas à tout ce qui est dit à la barre, c’est pour ne pas entamer leur spontanéité lors des dépositions en barre d’audience. Pour lui, le rôle d’un témoin, ce n’est pas de venir battre en brèche des propos d’un accusé mais c’est de venir dire ce qu’il a vu et entendu dans le cadre d’une affaire. C’est partant de là qu’il a tiré la conclusion suivante : «les déclarations du général nous posent problème, il a adapté sa déposition par rapport à ce qui a été déjà dit ici ». Le conseil a ajouté que les comptes rendus faits par la presse ne sont que des «rapports synthétiques».

 

Me Olivier Yelkouni, un autre avocat du général Diendéré, commencera où son confrère s’est arrêté. «Les déclarations du témoin viennent de confirmer nos inquiétudes. Avant de venir à la barre, le témoin avait connaissance de tout ce qui a été dit, dans ces conditions, il est venu pour des formalités», a-t-il soutenu.  L’avocat a aussi  critiqué le fait que l’ex-CEMGA ait repris des propos de certaines personnes en considérant, lui aussi, que le RSP était une armée dans l’armée, avant de terminer par une interrogation : «en tant que CEMGA, avez-vous été au courant du décret du 20 juillet 2000 sur le RSP ? ». «Les textes sont ce qu’ils sont. On peut prendre un texte mais il faut voir aussi l’application qu’on en fait. Le texte ne peut être valable que par l’action des hommes sur le terrain », a répliqué le témoin. Interrogé sur la personne qui était alors censée faire appliquer les textes, le général Zagré déclarera que c’est la République, celle-ci étant structurée en ‘’corps d’Etat’’ et agissant par l’entremise de personnes. «Est-ce que finalement vous contrôliez votre armée, mon général ? »,  a conclu Me Yelkouni à qui il a été dit de faire l’appréciation qu’il veut. « Ma conviction est que l’armée n’était pas commandée », a embrayé l’avocat. «Merci pour vos compliments, Maître », a ironisé l’ex-patron de l’armée.

 

 

 

«Un hélico, ce n’est pas une fourchette ! »

 

 

 

Interrogé sur la mission héliportée ayant récupéré le matériel de maintien d’ordre, le général Zagré a laissé entendre qu’il a eu vent de la demande d’hélicoptère mais n’a jamais donné d’ordre pour son utilisation. «Dès le 16 septembre, nous avons dit que ce n’est pas la vocation de l’armée d’utiliser du matériel, des moyens de l’Etat, pour commettre des actes contraires à la loi, je n’ai jamais donné d’ordre dans ce sens. L’hélico ce n’est pas une fourchette, ce n’est pas un matériel consommable », a déclaré le témoin, déclenchant des murmures dans la salle. Il a martelé que même si le général Diendéré a fait une demande, ce n’est pas lui, CEMGA, qui a autorisé l’utilisation de la MI 17.

 

Le président de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou, Seidou Ouédraogo, lui, a ordonné à l’appariteur de noter qu’il y a une variation dans la déposition du général Zagré. En effet, concernant cette mission, le général répondant à une question du juge d’instruction avait déclaré qu’il n’en a pas connaissance. Mais, à la barre, il a précisé en avoir eu vent nonobstant le fait qu’il n’a pas donné d’ordre pour l’utilisation de l’oiseau de fer.

 

Dans l’après-midi, c’est le colonel-major, Alassane Moné qui a succédé au général Pingrénoma Zagré pour dire ce qu’il sait des événements du 16 septembre 2015 et des jours suivants. «J’étais dans mon bureau lorsque j’ai reçu un appel du général Diendéré me disant ceci : nous venons, mouvement sur Kosyam. Le PF et le PM ainsi que les ministres ont été mis aux arrêts. Je sollicite rencontrer la CRAD », a énoncé celui qui était le secrétaire général du MDNAC au moment des faits. A cette réunion, il a aussi rappelé ce que ses prédécesseurs témoins ont déjà déclaré : Golf a confirmé la nouvelle et énuméré les raisons ; exclusion, loi sur le statut du personnel des forces armées nationale et dissolution du RSP. Le témoin dans sa narration des faits a été aussi formel sur la personne qui a présidé la réunion du 17 septembre : le général Pingrénoma Zagré.

 

L’audience a été suspendue juste après la déposition de l’ancien SG du ministère de la Défense et reprendra ce matin, jour de l’an I de l’ouverture du procès. Elle reprendra avec les questions et observations des différentes parties.

 

 

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

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