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8-Mars: Etre femme et vigile au Burkina

Jusqu'à une époque récente, c’est resté l’apanage des hommes. Y trouver une femme est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais de nos jours, « le sexe faible » est à la conquête du monde virile des vigiles. Une révolution silencieuse avec son cortège de souffrances tout aussi silencieuses : rudesse du travail, chantage, médisance, harcèlement sexuel et viol sont autant d’épreuves auxquelles s’exposent les femmes qui ont osé s’aventurer dans ce métier qui peine à s’accorder au féminin.

A l’occasion de la Journée internationale de la femme, 8-Mars, nous leur avons ouvert nos colonnes pour qu’elles nous content leur traversée du désert.

 

 

Vendredi 22 février 2019 dans le quartier huppé Ouaga 2000 de la capitale. Il est un peu plus de 8 heures. Minata (nom d’emprunt), uniforme sombre de travail sur sa silhouette est déjà en faction devant un immeuble.

Bien baraquée, elle a le physique de l’emploi et un regard impassible que rien ne trouble. Pas même les visiteurs.

Elle ouvre et referme presque chaque minute. Geste qu’elle exécute machinalement maintenant. « Ce n’est déjà pas la grande forme on dirait. Déjà fatiguée ? », avons-nous lancé pour détendre notre interlocutrice. « Si je devais sourire à tous ceux à qui j’ouvre la porte, mon visage se serait sans doute déformé», a-t-elle rétorqué, le ton badin.

Ce n’est pas toujours de gaieté de cœur que les femmes embrassent le métier de vigile. Minata, la trentaine bien sonnée et mère de deux gosses, s’est d’abord essayée au commerce, activité qui ne lui a pas réussi. Comment est-elle devenue vigile ? « C’est une longue histoire », s’est-elle contentée de lancer, une manière de signifier qu’elle ne compte pas revenir là-dessus. Mais la matinée passée ensemble a fini par briser le mur du silence qui nous séparait : « Je vendais du riz au marché et mon mari était mécanicien. Lorsqu’il est décédé, je me suis retrouvée à m’occuper toute seule de mes deux enfants. Mon commerce n’étant pas rentable, je l’ai arrêté pour devenir vigile », relate-t-elle, les doigts triturant compulsivement la matraque qui lui sert d’arme, et les yeux embués de larmes. Des sécrétions lacrymales qui, malgré ses efforts pour les contenir par des contractions des paupières, perlaient sur le haut de cette tenue qu’elle porte par nécessité. « Il y a trop de problèmes », soupire-t-elle soudain. Avant de courir à la vue d’un 4x4 rutilant et flambant neuf qui avance vers l’immeuble. « Ya naaba » (NDLR : c’est le patron), a-t-elle soufflé. Puis de servir un « Bonne arrivée, patron » à son boss qui, en guise de réponse, se contente d’un signe de la tête.  

Après avoir escorté le maître des lieux à son bureau, c’est une Minata aigrie qui nous revient. « Vous voyez, c’est comme ça qu’on nous traite ici, parfois moins que des chiens ». Mais il y a pire que ce mépris dont certaines femmes vigiles sont victimes. En tout cas à entendre notre interlocutrice, « on est maltraitées, mal payées, pas déclarées à la caisse, on nous harcèle, viole et violente ». Le regard fixé sur le nôtre, elle se lance :  « Avez-vous déjà été victime de viol ou de violence ? » avant d’écraser de nouveau une larme : « Plusieurs fois on a tenté de me piéger dans les toilettes quand je vais me changer. Un des patrons m’a dit clairement que si je refuse ses avances, il va me faire renvoyer d’ici et que je n’aurai plus de boulot ailleurs », se souvient celle qui semble être l’objet de regards concupiscents : « Les patrons me draguent, mes collègues vigiles me draguent, les clients me draguent. »

 La violence, elle en sait aussi quelque chose. En seulement huit mois de service, Minata a essuyé plusieurs claques de la part de clients auxquels elle a refusé » l’accès à l’immeuble après les heures de service. Pour quel salaire ? Pour seulement 40 000F CFA le mois, qui servent à entretenir ses deux mômes et à constituer de maigres économies pour reprendre son commerce. « Avec ça, tu es ton propre boss ; personne ne te dicte ce que tu dois », fait-elle savoir.  Dans ce qui semble être un univers de machos à la braguette facile, Minata passe malgré tout pour une chanceuse. Elle n’a pas subi, jusque-là, le pire des outrages fait à une femme : le viol. Ce qui n’est pas le cas de certaines de ses congénères.

A la Zone du Bois, Claire (pour faire référence à son teint qu’elle s’est procuré) se plaît bien à son nouveau poste devant une villa. Agée de 42 ans, elle y travaille depuis neuf mois et tout baigne : « Les membres de la famille me respectent ». Mais dans son ancien poste, tout baignait également, mais dans du sperme, serait-on tenté de dire. « C’était dans une entreprise où on était cinq vigiles. J’étais la seule femme. Un jour, l’un de mes collègues vigiles du soir m’a suppliée d’assurer sa garde car il avait un empêchement. Je l’ai fait. Vers 3 heures du matin, deux autres coéquipiers, alors que j’étais allongée sur la terrasse, se sont rués sur moi. Et… ». Le violent éclat de sanglot qui coupa sa voix en dit long sur l’indicible monstruosité qu’elle a subie.

Selon son récit, lorsqu’elle est rentrée chez elle, elle n’a plus mis pied à son poste. Après s’être remise de ce traumatisme, elle a cherché du boulot dans une autre société de gardiennage et a tourné à jamais cette page noire de son histoire. Et depuis cette nuit d’abomination, sa résolution est prise : « Même avec tout l’or du monde, je ne travaillerai plus de nuit. »

L’irruption des femmes dans le monde des concierges n’est pas l’affaire des seules « vieilles mères », comme on dit dans le jargon nouchi. De plus en plus de jeunes filles n’hésitent pas à franchir le Rubicon. Sylvie est l’une d’elles et a 19 ans. En chômage technique depuis deux mois, c’est donc à son domicile qu’elle nous reçoit le samedi 2 mars 2019. Après nous être perdue dans les coins et recoins de ce quartier périphérique (Sonré), nous avons fini par retrouver son logis. Elancée, de teint noir de jais, sourire de star hollywoodienne, Sylvie nous accueille dès l’entrée en compagnie de sa mère. L’eau de bienvenue est servie au milieu d’une cour où se dresse une bicoque de dix tôles.  L’aventure de cette adolescente débute en 2018, année où son père a répudié sa mère.  Vivant en zone non lotie, elle a dû abandonner l’école pour se lancer dans la vie active comme vigile.  A ce jour, Sylvie est à son troisième employeur. Qu’est-ce qui peut bien justifier ce nomadisme professionnel ? « Les mauvaises conditions de travail », dit-elle sans hésiter avant d’insister sur le chantage dont elle était objet de la part d’un contrôleur : « A chaque fin du mois, il prenait 5 000F CFA sur mon salaire et me menaçait de me noter mal auprès du grand patron ». Et de poursuivre : « Ce qui m’a poussée à quitter mon dernier poste, c’est le harcèlement sexuel. Je travaillais dans une famille. Je montais le matin à 6h et descendais à 18h. Le patron (NDLR: le père de famille) m’a fait la cour, ainsi que son fils aîné », relate-t-elle avec un air de fierté. Selon cette jeune fille qui a le niveau 4e, en plus de son salaire mensuel, son patron lui faisait un bonus de 15 000F CFA. « Pour moi, c'était par altruisme qu’il le faisait puisqu’il a des enfants de mon âge. Un jour, il est revenu plus tôt de son service avant sa femme et m’a demandé de lui servir de l'eau dans sa chambre. A partir de ce jour, j'ai compris ce qu'il voulait réellement. Par la suite, il a promis de m’acheter une moto si j’étais gentille avec lui et que j’acceptais d’être sa deuxième femme », a raconté Sylvie, tout sourire. Après le père, ce fut au fils, dont elle dit qu’elle était déjà amoureuse, de tenter sa chance. Et sa mère, qui acquiesçait déjà de la tête, d’ajouter, qu'effectivement le jeune homme de 25 ans fréquentait la cour et leur apportait parfois des vivres. « N'est-ce pas là la preuve qu'ils s'aiment vraiment ? » feint-elle de s’interroger. Mais au regard de la différence de conditions sociales, elle n’a pas voulu que sa fille vive une sorte d’union morganatique. « Nous vivons dans une zone non lotie alors qu’eux sont à Ouaga 2000. On n’a pas les mêmes problèmes », explique la maman. En attendant que Sylvie puisse se décrocher un autre boulot de vigile pour prendre soin de sa mère, elle jure qu’elle ne tombera plus jamais dans ce genre de piège.

Contrairement à elle, Ramata Belem a plus de chance. Elle vient de se taper un nouveau job. Et le vendredi 1er mars 2019 était son premier jour de travail dans une importante société de gardiennage de la place. Pour celle qui se considère comme une chanceuse, c’est une fierté que de porter la tenue. Nous l’avons rencontrée à son poste, au siège de la société, où elle joue le rôle de standardiste. 30 000 F CFA le mois durant la période l’essai, pour elle, ce n’est pas de refus. Mais qu’est-ce qui a pu bien la pousser dans ce milieu ou la gent féminine se risque rarement ? «J’ai cherché du travail partout et je n’en ai pas trouvé. Donc…», a-t-elle indiqué. A-t-elle déjà entendu parler des abus de toutes sortes dont sont parfois victimes les femmes vigiles ? Pas du tout.

Au cours de leur service, les employés des sociétés de gardiennage reçoivent de façon inopinée la visite de contrôleurs. Ces derniers ont pour tâche de vérifier s’ils y sont effectivement. « L’objectif de ces contrôles est d’amener les vigiles à bien se comporter sur le terrain », nous a expliqué Henri Kaboré, contrôleur à la société où travaille Ramata.  Au sujet des excès que subissent les femmes, il préfère jouer la carte de la prudence : «J’ai entendu dire qu’il y a des contrôleurs qui exigent des vigiles une certaine somme d’argent en échange de leur couverture. Il y en a également qui exigent des femmes vigiles certaines faveurs», mais lui, il ne mange pas de ce pain-là, affirme-t-il la main sur le cœur.

 

Le regard des autres…

 

Même si les femmes se battent au quotidien pour dompter le travail de vigile, nombreux sont ceux-là qui sont dubitatifs sur leurs capacités opérationnelles. Parmi eux, il y a des patrons d’entreprises qui demandent expressément des hommes pour les garder. «Le vigile, c’est la vigilance, la protection, la force, la dissuasion, bref des aptitudes dont ne dispose pas une femme», confie un entrepreneur qui a requis l’anonymat de peur d’être qualifié d’antiféministe.

Même état d’esprit chez Denise Ouédraogo dont le domicile est actuellement gardé par une femme : « Elle vient en remplacement d’un jeune homme qui est présentement en congé. Au départ, mon mari a trouvé ça bizarre », explique-t-elle avant d’avouer qu’au regard de ses exigences physiques, « le métier de vigile convient nettement mieux aux hommes ».

Pour Louicie Oueddouda, restauratrice au marché de Paaglayiri, il n’y a que les fainéantes qui embrassent le métier de vigile : « Comment une femme peut-elle rester assise toute la journée ? », s’interroge celle qui confie néanmoins avoir essayé ce job.

Son de cloche dissonant chez Elise Sabo : « Tout ce que l’homme peut faire, la femme le peut aussi ». A l’en croire, avec une bonne formation des gardiennes, les gens finiront par leur faire confiance.

Dans la même veine, Assita Zoungrana pense que le principal, c’est d’aimer le travail que l’on fait.  Elle encourage ses sœurs à investir tous les secteurs d’activité au nom de l’adage qui enseigne qu’ « il n’y a pas de sot métier ».  

A l’ère du terrorisme, de l’insécurité si une femme a le courage de travailler comme vigile, il faut l’encourager, estime Timothée R. Ouédraogo, car « c’est bonne femme ».

Malgré ce regard mitigé, voire méprisant, de la société, les femmes sont de plus en plus nombreuses à déposer des demandes d’emploi auprès des agences de gardiennage. « Hélas, Il y a des sociétés qui n’en veulent pas. Du coup, l’offre dépasse la demande », fait remarquer Rihanatou Tapsoba/Sawadogo, patronne d’une maison de surveillance. Elle indique par contre qu’il est facile de travailler avec les femmes. Pour celle qui emploie plus de 600 vigiles, dont une vingtaine de sexe féminin, ces dernières sont les meilleurs agents. Et de préciser qu’il s’agit de femmes et non de jeunes filles. « Les demoiselles n’ont pas conscience des enjeux, elles passent leur temps à se maquiller et à se dépigmenter pour séduire les hommes », fait-elle remarquer.

Malgré les nombreuses contraintes liées, entre autres, aux horaires de travail (6h à 18h et 18h à 6h du matin), aux faibles rémunérations, au harcèlement sexuel, aux violences et aux chantages, ces amazones se refusent à dire que le gardiennage est un métier d’homme.  Et en attendant qu’il y ait un aménagement ou une réglementation pratique pour permettre à l’autre moitié du ciel d’exercer ce qui peut devenir une vocation pour certaines, il faut leur tirer le chapeau.

 

J. Benjamine Kaboré

 

 

 

Encadré 

La petite histoire des sociétés de gardiennage

 

Interrogé sur la naissance des sociétés de gardiennage ainsi que l’intégration des femmes dans ce milieu, le président du Conseil burkinabè des agences de gardiennage (CBAG), Dramane Nignan, par ailleurs directeur général de la Société de placement de main-d’œuvre (SONAPLACE), nous fait savoir que l’avènement des sociétés de gardiennage au Burkina remonte à 1988. Elles ont été légalisées par la loi 10 ADP/1992 avec le retrait du monopole des placements des vigiles à l’Office national pour la promotion de l’emploi (ONPE), il s’en est suivi l’ouverture des sociétés privées de gardiennage. Il a fallu attendre 1997 pour voir le premier décret régissant le secteur. Selon ce dernier, le vigile, c’est celui qu’on appelait dans le passé « gardien ». Ils étaient des fonctionnaires dans les services publics ou privés. Avec l’ajustement structurel, il a été question d’externaliser certaines professions dont celle des « gens de maison » (le gardien, le boy, le garde-bébé). « C’est ainsi que les sociétés de gardiennages sont nées et ont commencé à mettre au service de tiers un vigile à la porte, pour sécuriser les lieux. Avec le temps, on a remarqué que les femmes s’intéressaient à ce métier alors que lorsqu’il était question de fonctionnaire gardien, elles étaient d’office exclues », soutient-il. Selon le récit de M. Nignan, s’en sont suivies des sociétés qui ont commencé à demander des femmes vigiles qu’elles utilisent comme standardistes ou hôtesses d’accueil.  « Dans ce cas, ce ne sont plus les aptitudes physiques qui sont recherchées mais l’intellect », dit-il. C’est ce qui explique la création de centres de formation pour faire face à ce besoin. « Pour l’amélioration des conditions de travail, nous avons mis en place le CBAG, qui compte actuellement une quarantaine de sociétés, celles qui sont réglementaires », précise-t-il avant d’ajouter que pour plus d’efficacité, le Conseil est en train de mettre en place une convention collective.

J.B.K

 

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