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Intelligence africaine de la foi : La patience a ses limites !

Fatigués de l’hypocrisie du christianisme des maîtres esclaves et de leurs «missionnaires», les Noirs se sont sentis obligés de créer des Eglises indépendantes.

 

Il semble même qu’ils auraient préféré continuer de prier avec leurs frères blancs, mais il n’était plus possible pour eux de continuer à supporter les «manières blanches» d’incarner le christianisme sous la forme de l’humiliation des autres et de la discrimination dans les temples. L’Evangile de la soumission au service de l’idéologie raciale ne passait plus dans les rangs des esclaves convertis au christianisme.

Chez les Méthodistes, même les prédicateurs noirs étaient maintenus à un rang inférieur. Le vivre-ensemble étant devenu impossible, il fallait trouver une autre voie. Richard Allen, grand leader noir, a raconté une histoire terrible vécue par son ami Absalom Jones et qui montre bien que les Noirs n’avaient pas d’autre choix que de créer eux-mêmes leurs propres églises.

C’est une scène qui se passe à l’intérieur d’une église : «Nous pensions prendre les sièges situés au-dessus de ceux que nous occupions auparavant. Faute d’autres indications, nous les avons pris… Alors, à ce moment-là, le doyen dit ‘Prions’. A peine nous étions-nous agenouillés, j’entendis un brouhaha considérable et des murmures. Je levai la tête et découvris qu’un marguillier, M.H.M., tirait le révérend Absalom Jones pour le faire lever, en s’écriant : ‘’Levez-vous ! Vous n’avez pas le droit de vous agenouiller ici’’.

Le révérend Jones répliqua : ‘’Attendez la fin de la prière. – Non, répondit M.H.M., vous vous levez tout de suite ou j’appelle à l’aide et vous oblige à partir. - Attendez la fin de la prière, reprit le révérend. Je me lèverai et ne vous dérangerai plus’’. Alors, le marguillier fit signe à un de ses collègues, William White, de le faire lever de force. Mais la prière était arrivée à sa fin et nous quittâmes le temple tous ensemble et ne leur imposâmes jamais notre présence». La sagesse africaine dit que «si les autres inventent leurs fétiches, fabrique aussi le tien».

Ainsi donc, Absalom Jones fondera l’Eglise épiscopale africaine de Saint-Thomas qui sera dédicacée le 17 juillet 1794 et Richard Allen érigera, de son côté, l’Eglise de Béthel qui sera inaugurée le 29 juillet 1794. De façon générale, les premières églises indépendantes apparaissent dans le Sud à la veille de la Révolution américaine. Globalement aussi, ces églises sont plutôt d’audience baptiste.

De fait, les Noirs sont attirés par le sens de la liberté et de la démocratie locale des baptistes. Au Nord de l’Amérique, à côté des églises baptistes, on voit se développe des églises noires méthodistes. En 1810, on compte une quinzaine d’«Eglises africaines», représentant des dénominations différentes. Quoique sous surveillance blanche (car elles continuent à connaître une supervision blanche), et malgré le fait que leur marge de manœuvre restait limitée, ces églises noires vont être les premiers exemples du nationalisme noir et du séparatisme noir.

Les Noirs quittent donc les Eglises dominées par les Blancs pour retrouver leurs frères de couleur. Ils sont conscients de mettre en œuvre une sorte de discrimination, mais c’est la seule issue qu’ils trouvent à une situation qui était considérée comme une nuisance par les Blancs et comme une insulte par les Noirs.

La discrimination engendre la discrimination, pourrait-on dire ! En tout cas, les églises noires indépendantes vont avoir leurs caractéristiques propres. Elles vont assumer des fonctions multiples au sein du peuple noir. L’Eglise devient le lieu de cristallisation de toute la vie sociale noire : elle devient centre religieux, club social, arène politique, école promotionnelle…

Les églises créent des structures qui permettent d’enterrer dignement leur mort, et se transforment dans certains cas en sociétés d’assurance et en caisses d’épargne pour la protection des pauvres et des faibles. Bien plus, alors qu’il était interdit aux Noirs de lire et d’écrire, les églises vont prendre en charge le domaine de l’éducation.

Chaque Eglise africaine se crée une «école du dimanche» où se transmettent les connaissances. Le christianisme qui se développe dans ces églises noires prend en compte la sensibilité africaine. Cela dit, on le verra par la suite, bien loin d’être un christianisme d’évasion, le christianisme noir sera un christianisme de protestation.

 

P. Jean-Paul Sagadou

Assomptionniste 

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