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La Bible : Au service de l’esclavage ou de la libération ?

 

Dans la Bible, Dieu se révèle comme celui qui prend le parti des pauvres et des faibles. Il les sauve même de l’oppression. Le problème, c’est que le christianisme antique, s’est laissé enfermé dans l’univers aristotélicien de l’esclavage. A Rome et en Grèce où les premières communautés chrétiennes s’implantent, l’esclave est livré à la cruauté et aux humeurs de son propriétaire. Dans cet univers où le travail est une corvée réservée qui justifie l’esclavage, Aristote définit le gouvernement despotique comme « le pouvoir du maître sur l’esclave ».

 

Pour lui, « l’usage des esclaves et des bêtes est à peu près le même et l’on en titre les mêmes services pour les biens de la vie ». Par ailleurs, « il y a des hommes pour la liberté et d’autres pour la servitude, auxquels, et par justice et par intérêt, il convient de servir ». Donc, dans l’espèce humaine, il y a des créatures qui sont nées pour servir. Ainsi, « l’esclavage est un moyen naturel pour accroître les richesses, il fait partie de l’économie domestique ». Pour mieux situer les enjeux de l’evangile dans les situations historiques où s’est développée la formulation de la foi chrétienne, il faut avoir en mémoire ces propos d’Aristote. Il ne s’agit pas de dédouaner les méandres du discours ecclésiastique sur l’esclavage au cours de l’histoire. Il s’agit d’indiquer que l’obéissance et la soumission de l’esclave à son maître sont aussi un héritage des cultures des sociétés qui font du travail manuel une corvée et une marque de la servitude. Il est vrai que, même si Saint-Paul a développé une des synthèses les plus remarquables sur la foi chrétienne dans l’église primitive, il n’a pas eu, suivant notre conception moderne des choses, une approche « chrétienne » du problème du maître et de l’esclave. « Que chacun demeure dans la condition où il se trouvait quand il a été appelé. Etais-tu esclave…mets à profit ta condition d’esclave », dira-t-il aux Corinthiens. Pierre de son côté enseignera : « Serviteurs, soyez soumis avec une profonde crainte à vos maîtres, non seulement aux bons et aux doux, mais aussi aux acariâtres. Car c’est une grâce de supporter par respect pour Dieu des peines que l’on souffre injustement » (1P 2, 18). Avec une telle religion, les maîtres peuvent dormir en paix. En même temps, c’est le même Paul qui écrira que la croix du Christ a aboli toutes les frontières et toutes les divisions, car dans l’état du monde inauguré par la résurrection, il n’y a plus « ni esclaves ni hommes libres » (Gal 10, 12, Col 13, 11). Une difficulté demeure :  Pierre et Paul n’ont pas cherché à s’attaquer au droit de l’empire romain qui fondait l’esclavage dans le monde hellénistique. Les pères de l’église (Cyrille de Jérusalem, Jean Chrysostome, Grégoire de Nysse, etc.), vont, eux aussi, se conformer à l’ordre social qui fait des maîtres ceux qui commandent et des esclaves ceux qui obéissent. L’esclavage des Noirs va se greffer dans cette vision des choses. Dans les lieux d’église investis par l’économie de la traite à l’heure où la civilisation de l’Atlantique jette les bases de l’expansion du capitalisme à l’échelle de la planète, la Bible va être capturée par les forces de la mort et mise au service de l’esclavage. Les citations bibliques voleront au secours des esclavagistes. Que faire ? Il nous faut affronter la mémoire du continent africain pour promouvoir une autre intelligence de la révélation biblique et assumer l’aspiration à la libération qui travaille en profondeur des millions d’Africains depuis des générations. De ce point de vue, le rapport entretenu par les Noirs américains avec la Bible est intéressant, c’est pour cela que je continue à penser qu’il faut faire connaître cette histoire. De fait, aussi incroyable que cela puisse paraître, la communauté noire va faire sienne la religion du maître et faire du christianisme la manifestation d’une identité nouvelle, indépendante et critique. Les Noirs vont recomposer, de l’intérieur le mouvement d’une expérience croyante et la cohérence d’une vision religieuse qui s’enracine dans le passé africain, se forge au feu de la situation d’esclavage et se manifestera dans les réveils religieux des 18e et 19e siècles. Aux yeux de beaucoup, le christianisme européen n’a pas su révéler aux Africains le véritable visage du Dieu de l’évangile. Pourquoi donc ne pas réévaluer la rencontre entre l’évangile et l’homme africain en faisant la distinction entre le christianisme et l’usage que les hommes en ont fait ? Fondamentalement si le Dieu de Jésus-Christ n’est pas un Dieu pervers, « nous avons besoin de trouver un art de raconter l’évènement fondateur du christianisme en nous rappelant que le Verbe incarné a, sur la croix, fait d’un instrument d’humiliation un moyen de lutte pour la vie de l’homme » ( J. M. Ela). Le christianisme négrier a promis aux esclaves le bonheur de l’au-delà en organisant leur propre bonheur sur la terre, laissant de côté la capacité de protestation évangélique dont le christianisme est porteur. Mais dans la Bible, Dieu intervient en faveur de l’être humain dans les situations d’esclavage. On peut donc reconnaître que le Dieu de Jésus-Christ est un Dieu libérateur. Combattre l’esclavage est une exigence du message évangélique. Il faut continuer à travailler à libérer l’évangile de la captivité des forces de morts pour ouvrir des chemins d’espérance aux hommes et aux femmes du continent noir.

 

 

 

P. Jean-Paul Sagadou

 

Assomptionniste

 

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