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Ousséni Faisal Nanéma : «Roch a entamé son pouvoir avec un pied cassé»

 

Qui est au juste Ousséni Faisal Nanéma ? D’où viennent ses accointances avec les hommes politiques ? Quel genre de services leur rend-il ? A 32 ans, le jeune homme traîne déjà une bien longue réputation sulfureuse. Les plus méchants le traitent de handicapé mental quand d’autres croient percevoir en lui une intelligence supérieure qui sait ce qu’elle veut. Entretien avec l’une des vedettes du procès du putsch, manqué dans le cadre duquel il est poursuivi pour dégradation volontaire aggravée de biens et recel.

 

 

 

 

Vous dites que vous êtes du CDP alors que vous soutenez le mouvement qui porte la candidature de KDO ; finalement de quel bord politique êtes-vous ?

 

 

 

 KDO est un militant du CDP. Il est membre du bureau politique national. Personne ne peut aujourd’hui vous dire que Kadré Désiré Ouédraogo n’est pas du parti. Il sera même le candidat du CDP. Si Dieu le veut, il va en porter les couleurs. C’est compte tenu de ses fonctions internationales, plus précisément la présidence de la Commission de la CEDEAO, qui est incompatible avec ses activités politiques, qu’il avait démissionné entre-temps. Au dernier congrès, l’année passée, il a été élu membre du bureau politique jusqu’en 2021. Donc, pour le moment Kadré Désiré est militant et cadre du CDP.

 

 

 

Vous parlez de la candidature de KDO, et Eddie Komboïgo ?

 

 

 

Eddie est le président du CDP. Il peut avoir ses ambitions, tout comme le militant lambda qui se trouve à Falangountou ou à Tansalga. En tant que président du CDP, rien n’empêche Eddie d’avoir des ambitions présidentielles. Mais, à un moment donné il faut voir s’il peut vraiment porter les couleurs du parti et si cela va marcher.

 

 

 

Vous ne semblez pas porter Eddie dans votre cœur. Pourquoi un tel doute sur sa capacité à briguer la magistrature suprême du pays ?

 

 

 

Comment ça je ne le porte pas dans mon cœur ? Est-ce que vous m’avez entendu l’insulter ou lui manquer de respect ? Il est le président de mon parti, nous sommes de la même localité. C’est mon grand frère de la province du Passoré, je n’ai pas de problème personnel avec lui. Nous n’avons que des divergences politiques. Donc chacun a sa position. S’il estime qu’il va être le candidat qui va faire gagner le CDP, moi j’estime que s’il en est le candidat, le parti ne va pas gagner en 2020.

 

 

 

Le coup d’Etat de septembre 2015, comment l’avez-vous vécu ?

 

 

 

Je l’ai vécu comme tout citoyen burkinabè. Pour moi, depuis le départ du président Blaise Compaoré, la Transition a eu des hauts et des bas : l’exclusion, la décision de la CEDEAO que le président de la Transition, Michel Kafando, a promis de respecter mais qui n’a pas été respectée. Pour moi quand le coup d’Etat a eu lieu, c’était salvateur. Parce que ça devait permettre à tout le monde d’aller en compétition. Après on a déploré des morts, des blessés, des dégâts matériels, etc. C’est ça qui n’était pas bien. C’est ce que je n’ai pas cautionné. C’est pourquoi j’ai dit que personne ne doit mourir à cause de la politique. Les 30 et 31 octobre 2014, il y a eu déjà des morts. Et si en moins d’un an, on a enregistré encore des morts pour des raisons politiques, ce n’est pas bon. Je profite de cette occasion saluer la mémoire de ces combattants de la liberté et de la démocratie qui sont tombés lors de l’insurrection populaire et du coup d’Etat. Ce sont des patriotes qui se sont engagés pour dire non. Je crois qu’ils méritent la reconnaissance de la Nation. C’est vrai que la nation les a reconnus, mais ils méritent plus que ça parce que ce sont des héros. A ceux qui ont toujours des séquelles, qui sont blessés, je souhaite bonne santé.

 

 

 

 Rappelez-nous ce dont vous êtes accusé dans le procès du putsch manqué.

 

 

 

J’avais commencé par huit charges : complicité d’atteinte à la sûreté de l’Etat, coups et blessures volontaires, etc. Finalement, aujourd’hui il y en a deux qui sont retenues : dégradation volontaire aggravée de biens et recel. Lors de mon passage à la barre, j’ai eu le temps d’expliquer de long en large que je n’étais pas mêlé à ce dont on m’accuse.

 

 

 

 Pourtant, on vous accuse de recel d’objets que vous dites avoir achetés et qui proviennent du domicile de feu Salif Diallo. Qu’en est-il exactement ? 

 

 

 

Permettez-moi de ne pas trop parler du dossier du putsch avec vous parce que c’est toujours en jugement. C’est vrai que c’est devenu public, mais comme la décision n’est pas encore tombée, je vais parler des choses aujourd’hui et le président du tribunal ou le parquet militaire vont trouver que je suis en train de dévoiler des choses qui mettent leur travail en difficulté. Mais après le verdict, on aura l’occasion de revenir en long et en large sur la question si vous voulez. Après le procès, on pourra revenir sur comment on a vécu les sept jours du putsch manqué, sur ce qui s’est réellement passé sur le terrain, etc. Pour le moment, permettez que je ne développe pas beaucoup le sujet pour ne pas mettre mal à l’aise le tribunal et mon avocat lors des plaidoiries.

 

 

 

Combien de temps avez-vous passé en détention ?

 

 

 

J’ai été détenu durant 15 mois à la MACO avant d’obtenir la liberté provisoire. Mais je n’ai pas pu me rendre à l’audience du 31 mars 2018. On a donc ordonné une prise de corps et j’ai fait 8 mois à la MACA avant d’obtenir à nouveau la liberté provisoire.

 

 

 

Comment était l’ambiance ?

 

 

 

Il y avait des jours où on peut dire que ça va, on s’entend bien mais il y a eu aussi des jours où on ne s’entendait pas. Dans l’ensemble, que ce soit avec mes codétenus, avec l’administration ou encore avec les gardes de sécurité pénitentiaire, tout s’est bien passé.

 

 

 

Mais il semble que vous étiez à couteaux tirés avec un de vos codétenus !

 

 

 

Effectivement. Mais pour moi c’est du passé. Je suis un homme politique et j’ai besoin des gens. Du coup, dès que j’ai un problème avec quelqu’un, je m’excuse et on passe à autre chose. Cette histoire est derrière moi et je ne souhaite pas revenir sur ça.

 

 

 

Malgré ce passage en prison, vous semblez être en forme, d’où tirez-vous cette force ?

 

 

 

Il faut être relax et garder le moral. Nelson Mandela a fait la prison mais il a été président, il a dirigé l’Afrique du Sud. C’est également le cas de Laurent Gbagbo qui a été président de la Côte d’Ivoire. Il en est de même pour Alpha Condé de la Guinée. J’ai toujours dit que lorsqu’on fait la politique, il faut s’attendre à quatre choses : la prison, l’exil, la mort ou le pouvoir. Donc si tu sors de prison, tu ne dois pas te décourager et dire que tu ne fais plus la politique. Pour moi, il y a des hommes politiques et des politiciens. J’ai mes hauts et mes bas mais je reste serein et je garde le moral.

 

 

 

D’aucuns disent que vous êtes démarcheur de femmes pour les gourous ?

 

 

 

Démarcheur de femmes ? Proxénète vous voulez dire ? Je suis un homme. Comment je peux aller draguer une femme pour quelqu’un alors que moi-même j’en cherche ? Ce n’est pas mon travail. J’entends beaucoup de choses sur ça mais je ne suis pas comme cela. Aujourd’hui c’est très malheureux que les gens parlent de ça. Encore que personne ne puisse dire qu’il n’a jamais fait ce genre de trucs. Tu peux par exemple t’asseoir avec tes grands frères qui vont voir des femmes et vont t’envoyer prendre les contacts pour eux. Mais dire que c’est un travail, c’est exagéré. Si quelqu’un a des preuves, qu’il les montre. Je ne peux pas interdire aux gens de parler de moi. Bien au contraire quand on parle de toi, cela veut dire que tu es important. Il y a des gens qui ont dit que je suis utilisé par les grands types pour faire leurs sales besognes. Aujourd’hui on dit que je suis proxénète, demain ça sera autre chose que les gens vont dire sur moi. Pour que les gens ne parlent pas de toi, il ne faut pas exister. Celui qui me connaît sait que j’aime les femmes.

 

 

 

Est-ce que vous êtes marié ?

 

 

 

Non. Je ne suis pas marié.

 

 

 

De quoi vivez-vous ?

 

 

 

Je suis un homme d’affaires. J’ai une société et je soumissionne aux marchés d’import-export. Je ne vais pas vous mentir, la politique nourrit son homme puisque c’est un métier. Tous ceux qui font la politique peuvent en vivre. Tout dépend de comment tu la fais. Je suis venu en politique pour gagner. Je fais la politique pour payer un âne ou un cheval. S’il y a des gens qui sont venus en politique pour devenir un âne, voire un mouton, c’est leur choix. Cela fait 16 ans que je fais la politique. Je sais comment la politique marche. J’invite les jeunes à faire la politique autrement. Il ne faut pas être pressé. Lorsqu’on est pressé en politique, on n’y arrive jamais.

 

 

 

Après avoir côtoyé de nombreuses personnalités politiques, dites-nous ce que vous retenez de chacune d’elles :

 

 

 

Le Général Gilbert Diendéré ?

 

 

 

C’est un homme qui a aimé son pays, c’est un patriote. Actuellement il traverse une situation difficile avec le procès du putsch manqué. J’ai eu des problèmes avec lui par rapport à cette histoire de carte mémoire, mais je souhaite que Dieu lui permette de servir son pays autrement.

 

 

 

Fatou Diendéré ?

 

 

 

C’est une femme très exceptionnelle, une femme à part entière avec un grand F. En Afrique, il n’y a pas une femme comme elle. Je la comparerai à Hillary Clinton ou Angela Merkel. C’est une perte pour la province du Passoré qu’elle ne soit plus là. Depuis 2015, il y a beaucoup d’activités qui y ont été suspendues du fait de son absence. Je lui souhaite longue vie et espère qu’un jour, elle pourra revenir dans son pays.

 

 

 

Le président Roch Marc Christian Kaboré ?

 

 

 

C’est le président de tous les Burkinabè. C’est un homme qui a de l’amour pour son pays. On l’a proposé à des postes à l’extérieur mais il a refusé parce qu’il veut servir son pays. Il est arrivé au pouvoir dans un contexte d’insécurité. Déjà deux semaines après sa prise du pouvoir il y a eu l’attaque du Cappuccino et de l’hôtel Splendid. Il a commencé son pouvoir avec un seul pied. Il croyait qu’il allait pouvoir soigner son pied cassé et poursuivre avec les deux mais il n’a pas réussi. C’est vrai que c’est mon adversaire politique, mais je connais l’homme et je sais que c’est un patriote. C’est pour cela que je lui lance un appel à renoncer à son deuxième mandat. S’il veut entrer dans l’histoire du Burkina, il faut qu’il y renonce.

 

 

 

Chantal Compaoré ?

 

 

 

Elle était comme ma maman. C’est une dame qui a toujours été auprès des faibles. Elle est capable de prendre son assiette pour la donner à quelqu’un et dormir le ventre vide. Vous avez vu comment elle a soutenu la fondation Suka. C’est une femme exceptionnelle dont le Burkina a besoin. Durant les 27 ans de pouvoir de son mari, personne ne peut dire qu’elle a fait quelque chose de mal. Aujourd’hui la fondation Suka souffre parce qu’elle n’est pas là.

 

 

 

Salif Diallo ?

 

 

 

Que son âme repose en paix ! C’était un grand politicien, une véritable bête politique. Voilà pourquoi quand ils ont créé le MPP, ils ont tout de suite eu des militants. Il faut voir comment il a bataillé pour installer le président Kaboré. Ainsi que comment il a organisé l’insurrection populaire. C’était un homme qui n’avait jamais d’ambitions personnelles, il a toujours eu des ambitions collectives. En Afrique, il y a eu des grands comme Thomas Sankara, Nelson Mandela mais de la carrure de Salif Diallo, il n’y en a pas.

 

 

 

Simon Compaoré ?

 

 

 

Voici un homme que je connais, qui me connaît, mais avec qui je n’ai jamais eu d’audience. Quand on se voit, on se respecte mutuellement. Je sais que c’est un grand travailleur. Si la ville de Ouagadougou pouvait parler, elle dirait  que Simon lui manque parce  que c’est grâce à lui que Ouaga est devenue une ville moderne.

 

 

 

Blaise Compaoré   ?

 

 

 

Le président Blaise Compaoré est tout pour moi. C’est un homme à part entière. Un homme qui a toujours eu l’amour de sa patrie. Il a toujours été serviable ; il suffit de voir comment il a développé le Burkina, comment il a placé notre pays sur la scène internationale à travers les médiations, faisant de Ouagadougou la capitale des grandes cérémonies. La manière dont il a quitté le pouvoir prouve qu’il aime son pays. Il pouvait résister pendant des semaines, voire des mois, mais on allait dénombrer beaucoup plus de morts et de dégâts. Dès qu’il a senti que ça n’allait pas marcher, il s’est retiré. Je lui souhaite longue vie. Mon souhait est que le président Blaise Compaoré puisse renter au Burkina et vivre en paix avec son peuple.

 

 

 

Est-ce que vous êtes en contact avec lui ?

 

 

 

Oui, j’ai de ses nouvelles. Il va bien. Je suis ses mouvements. Il se déplace souvent au Maroc pour faire ses contrôles. Il vit à l’aise et son seul désir, c’est de revenir au pays.

 

 

 

L’ancien Premier ministre Yacouba Isaac Zida ?

 

 

 

C’est mon cousin. On était très proche. Chaque dimanche on partait à l’église ensemble. De 2007 à 2008, je peux dire qu’il était mon tuteur. Son nom était inscrit sur ma CNIB comme personne à contacter en cas de besoin. Quand il était à la tête du gouvernement il a eu des problèmes. Selon moi, cela est lié à une incompréhension avec ses anciens camarades du RSP. Celui qui connaissait Zida sait qu’il n’a jamais été comme ça. Il a toujours été un homme souple. C’est un homme qui était bon. On dit que le pouvoir change mais moi je ne crois pas que dans son cas, c’est le pouvoir. Je me demande s’il n’y a pas eu un autre problème. Il s’est battu pour que la Transition arrive à son terme. Il faut reconnaître à César ce qui appartient à César. Sans lui, on allait avoir 3 ou 4 transitions avant d’aboutir aux élections. C’est parce qu’il a été courageux et avait décidé que quel que soit ce qui allait arriver, il allait se donner à fond pour que ça marche. Aujourd’hui on l’accuse de beaucoup de choses mais je crois qu’il doit renter.

 

 

 

Parlant de rentrer, il a intention de se présenter à l’élection présidentielle de 2020. Pensez-vous qu’il a des chances ?

 

 

 

En 2020 si Yacouba Isaac Zida est candidat, il sera un faiseur de roi. Le fait d’être hors du pays est un peu en sa défaveur, mais il va arriver 3e. Moi je le vois derrière le président sortant, s’il est candidat. Car c’est KDO et Roch Marc Christian Kaboré qui vont arriver 1er et 2e. Selon mon analyse et mes enquêtes, Zida va arriver 3e avec 17 ou 18%. Parce que son ombre plane toujours sur les esprits des Burkinabè. S’il n’avait pas quitté le pays et avait fondé son parti, il aurait toutes ses chances. Mais je pense qu’il peut jouer un grand rôle. Je l’encourage à renter et à solder ses comptes avec la justice. Il connaît la politique, et tous ceux qui peuvent venir nous aider pour qu’il y ait un changement en 2020 sont les bienvenus. Je sais que Roch et KDO occuperont les deux premières places avec 30 et 25%, Zida va suivre avec 18%, ensuite Zéphirin Diabré viendra en 4e position. Cette prévision n’engage que moi. Zida sera la grande surprise de l’élection 2020.

 

 

 

En attendant 2020, que pensez-vous de la gouvernance du MPP ?

 

 

 

Il n’y a pas de fermeté. Il n’y a pas d’autorité. On sent aussi la peur. Le président doit siffler la fin de la récréation s’il veut enter dans l’histoire. Vous voyez ce qui s’est passé à Yirgou et à Arbinda ; si cela reste impuni, demain qu’est-ce qui prouve que ça ne sera pas à Bobo, à Ouaga… ? Cela va nous amener dans un conflit ethnique qu’on n’a jamais souhaité. Il faut que le président règle le problème de Yirgou et d’Arbinda. Le président manque d’autorité. Et son bateau a au moins cinq capitaines. Mais il faut reconnaître qu’il a de bons cadres avec lui comme le président Sakandé de l’Assemblée nationale qui m’a mystifié. En moins de deux ans, il a montré qu’il sait ce qu’il veut. On a dit que l’appétit vient en mangeant. Quand il est arrivé à l’Assemblée nationale, il a vu qu’il pouvait devenir le successeur du président Roch, donc il est en train de se faire la place. Il y a également le jeune ministre de l’Energie, Ismaël Bachir Ouédraogo, qui est en train de faire des merveilles. 

 

 

 

Des gens sont partagés sur votre personnalité, si certains vous accusent de ne pas toujours jouir de vos facultés mentales, d’autres par contre vous trouvent une intelligence supérieure qui vous permet d’entrer dans la cour des grands…

 

 

 

Chacun n’a qu’à se faire sa propre opinion de moi. Je ne peux pas empêcher les gens de dire ce qu’ils veulent. Je n’aime pas me prononcer sur les polémiques. Mais j’aime que les gens parlent de moi. Ceux qui me côtoient savent qui je suis. Chacun pense ce qu’il veut. Ce n’est pas pour rien que Ouagadougou est la capitale du cinéma.

 

 

 

Donc quel est le secret de Faisal Nanéma pour être aussi proche des grands ?

 

 

 

Il n’y a pas de secret. C’est le travail. C’est le combat. Chacun doit se battre pour se faire de la place où il veut. Lorsque je veux quelque chose, je me donne corps et âme. Par exemple si je veux voir quelqu’un, je ne me fatiguerai pas tant que je ne l’ai pas vu. Même si c’est 1000 fois, je vais aller. 

 

 

J. Benjamine Kaboré

Dernière modification lemercredi, 10 avril 2019 21:25

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