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Intelligence africaine de la foi: La négritude de Dieu !

Dans la conscience collective de l’humanité, le mot «négritude» évoque immédiatement l’histoire récente de l’Afrique et des Antilles avec des personnalités comme L.S. Senghor, L.G. Damas, et A. Césaire. De fait, on le sait, dans les années 30, ils sont un petit groupe d’Africains et d’Antillais à se réunir à Paris pour dénoncer l’impérialisme de la civilisation occidentale et poser le problème noir dans trois dimensions : politique, raciale et culturelle. « Il faut que nous affirmions notre négritude », disait un jour Césaire à Senghor. Le mot était donc prononcé et on sait la trajectoire qu’il fera avec les critiques qui l’accompagneront. Ce qu’on sait moins, c’est l’usage de ce mot appliqué à Dieu que feront les Noirs américains à travers la théologie noire américaine. La référence en la matière, c’est le « manuel » de théologie noire publié par J.H. Cone en 1970 et intitulé « A Black Theology of liberation ». En prenant la parole pour dire quelque chose sur Dieu, la théologie noire américaine montre que le peuple noir a été opprimé, mais que Dieu a fait sienne sa cause et qu’il brisera ses chaînes. Dans ce sens, ce qui importe pour cette théologie, ce n’est pas le mot « Dieu » en lui-même, mais la réalité qu’il désigne. Du coup, cette théologie ne rationalise pas Dieu, il le personnalise. Sa question n’est pas : Dieu existe-t-il. Mais : Quel est notre Dieu ? Est-il celui de l’esclavage ou celui de la révolution ? De qui est-il solidaire ? Que réalise-t-il dans l’histoire ? Comme Dieu est toujours mêlé au devenir de son peuple, les chrétiens noirs américains n’hésiteront donc pas à le désigner comme « noir ». Ce faisant, tout le travail va consister, pour le christianisme noir, à articuler étroitement, discours politique et discours symbolique, langage social et langage religieux. J.H. Cone propose de qualifier de «noir» le Dieu de la Bible qui n’est autre chose que le Dieu des opprimés. Cette nomination de Dieu va au-delà des mots. La négritude de Dieu est sa meilleure définition dans l’univers américain, la seule possible aussi selon l’Evangile. Selon J.H. Cone, « Dieu lui-même ne doit être connu qu’en tant qu’il se révèle dans sa négritude. La négritude de Dieu, et ses implications dans une société raciste, est le cœur de la doctrine de Dieu dans la théologie noire. Il n’y a pas de place dans la théologie noire pour un Dieu sans couleur, dans une société où les gens souffrent précisément à cause de leur couleur. La théologie noire doit rejeter toute conception de Dieu qui étoufferait l’autodétermination des Noirs en dépeignant Dieu comme Dieu de tous les peuples ». Soyons clair : Définir Dieu comme noir n’est pas simplement dire qu’il prend la couleur au sérieux et que les Noirs trouvent un réconfort psychologique auprès de lui. Cela signifie surtout que Dieu prend sur lui cette négritude et annonce que les Noirs vont devenir des créatures totalement nouvelles par le sang du Christ. Au fond, Dieu fait de la condition de l’opprimé sa propre condition. Evidemment, le fait d’être noir est d’abord un trait physiologique. La couleur de la peau se voit. Mais au-delà du physique, la négritude symbolise l’oppression et en même temps la libération. Elle est la définition de tous les damnés de la terre, de tous ceux qui luttent pour la justice politique, sociale et économique, selon l’ordre même de l’Evangile de Jésus-Christ. Dans le même sens, la négritude du Christ n’est pas simplement une affirmation de couleur de peau, mais l’affirmation transcendante que Dieu n’a jamais laissé les opprimés seuls dans la lutte. Il était avec eux dans l’Egypte de Pharaon, il est avec eux aux Etats-Unis, en Afrique et en Amérique Latine, et il viendra à la fin des temps parfaire pleinement leur liberté humaine. Pour les Noirs américains, la négritude du Christ vient de son incarnation. Comme le dit J.H. Cone, « En se faisant homme noir, Dieu révèle que le fait d’être noir n’est pas ce que le monde en dit. La négritude est une manifestation de ce qu’est Dieu, en ce qu’elle révèle que ni la divinité ni l’humanité ne résident dans les définitions des Blancs, mais en la libération de l’homme de la captivité ».

 

 

P. Jean-Paul Sagadou

Assomptionniste

 

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