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Tentative de déguerpissement à Koudougou : Encore une chaude matinée à Zinguédinguin

Le mercure est monté d’un cran le matin du vendredi 17 mai à Koudougou, au quartier Zinguédinguin, secteur 02, où la mise en exécution d’une ordonnance de déguerpissement par un huissier de justice, entouré par une escouade de policiers, a failli virer à l’affrontement. L’après-midi, le calme est revenu, grâce à des pourparlers avec les autorités coutumières. Mais rien n’indique que les choses sont rentrées définitivement dans l’ordre.

 

 

On était à deux doigts de vivre un remake de cette journée de juin 2016, où un huissier a essuyé le courroux des habitants de Zinguédinguin (le même quartier) de Koudougou, alors qu’il exécutait une décision d’expropriation d’une famille. Cet huissier, Me Adrien Ouédraogo, a pu être exfiltré par la gendarmerie, alors que les croquants voulaient le passer par les flammes.

 

On n’était pas loin d’une telle situation ce vendredi 17 mai. Quand nous sommes arrivés, les agents de sécurité et l’auxiliaire de justice étaient déjà repartis, mais certains riverains et les victimes, toujours fulminants de colère, se bousculaient pour nous conter leurs versions des faits. Ces ‘’victimes’’ sont des petits commerçants qui ont loué des portions de la cour qui appartiendrait à Emmanuel Kaboré. Ce dernier est en conflit avec M.Bi Pascal Kaboré, opérateur économique, concernant la propriété de la parcelle. Il s’agit en fait de la moitié d’une cour qui avait été achetée en 1993 par le père de Emmanuel Kaboré et sur laquelle M’Bi Pascal Kaboré fait exercer un droit de propriété. Les deux parcelles, séparées par un mur (érigé par M’Bi Pascal) sont situées en plein centre-ville, en face de la Nationale 14, non loin de l’hôtel Bénéb-Souka, pour ceux qui connaissent Koudougou.

 

« J’exploite une partie de la cour pour diffuser des matchs et un kiosque. Je suis ici depuis 2006. Un jour, un huissier est venu me remettre un papier m’enjoignant de quitter les lieux. Moi et d’autres locataires sommes allés voir notre bailleur, Emmanuel Kaboré, qui a amené l’affaire en justice. Là-bas, le plaignant M’Bi Pascal n’a pas eu raison et il a fait appel à Ouagadougou. Plus tard, on nous a signifié que le verdict est favorable à M’Bi Pascal Kaboré. En 2018, on nous a dit que la cour appartient désormais à M’Bi Pascal et que nous devons libérer les lieux. Nous avons contacté encore notre bailleur qui nous a informés qu’il s’est pourvu en cassation. Nous étions dans l’attente du jugement de ce pourvoi, quand ce matin nous avons vu débarquer le huissier et les agents avec des jeunes qui se sont mis à vider nos commerces», relate Justin Yaméogo.

 

Une situation qui n’a pas été du goût des occupants, des riverains et des habitants du quartier qui ont marqué leur désapprobation à la mise en exécution de cette mesure. Dame Assita Kaboré, restauratrice sur les lieux depuis 15 ans, alors qu’elle n’était pas encore mariée, était toujours sous le choc. « Je ne pouvais même pas parler. J’étais là à pleurer seulement. Toutes mes marchandises, mon frigo et mes ustensiles ont été jetés sur le goudron », confie-t-elle. Le boutiquier Benjamin Simporé fulmine : « Dès qu’ils sont arrivés, ils ont collé un papier sur le mur et se sont mis à vider ma boutique. Qu’est-ce qui les empêchait de venir, même si c’est la veille, nous dire de vider les lieux sous 24h ?».

 

J’ai cru qu’il s’agissait d’une opération contre des terroristes

 

Tiemtoré Yahaya assure que tous les riverains se sont opposé et ont interpellé le huissier qui a dit exécuter une décision venue de Ouagadougou. « Moi, quand j’ai vu tous ces hommes en tenue débarquer des Pick-Up, j’ai eu peur en croyant que c’était une opération contre des terroristes. C’est quand ils ont commencé à vider les commerces de nos voisins, que j’ai compris de quoi il s’agissait », confie Henri Yaméogo, gérant d’une librairie située juste de l’autre côté de la route. « J’estime que l’huissier aurait pu faire preuve de tact », poursuit-il en invitant les deux protagonistes à privilégier le dialogue pour résoudre ce contentieux.

 

L’huissier de justice, que nous avons joint au téléphone (il était en route pour un voyage), nous a dit que les occupants ont été informés de leur situation irrégulière conformément à la décision rendue le 15 décembre 2011 par la Cour d’appel de Ouagadougou. Selon lui, certains sont venus le voir et il leur a expliqué les implications de cette décision. Du reste, il a estimé que le délai de déguerpissement ayant largement expiré, il ne lui revenait pas la responsabilité d’informer les occupants, toute publicité autour de cette opération relevant, a-t-il souligné, des prérogatives du parquet (lire encadré). M’Bi Pascal Kaboré, que nous avions joint, n’a pas voulu s’étendre sur le sujet, s’en remettant à ses avocats. « Je suis sur ma vérité. Je détiens des papiers qui me confèrent la propriété de la parcelle », nous a-t-il dit. Le procureur, Me Bancé, joint aussi au téléphone, après s’être référé à sa hiérarchie n’a pas voulu non plus faire de commentaire, estimant que la version de l’huissier était largement suffisante.

Cyrille Zoma

 

 

Encadré 1

Les précisions de l’huissier Me Adama Bembamba

 

« Il s’agit d’une ordonnance de référé, N°91-2011, rendue par le premier président de la Cour d’appel de Ouagadougou le 15 décembre 2011. Cette ordonnance a été revêtue de la formule exécutoire le 25 avril 2012. L’ordonnance de référé a mis en cause M. M’Bi Pascal Kaboré, représenté par ses conseils, et cinq personnes qui occupaient la parcelle au moment du rendu de l’ordonnance. Il s’agit de Zongo Waogo, Yaméogo Justin, Semdé Alexis, Zoma Fernand et Assita Kaboré. L’ordonnance a a décidé de l’expulsion de ces cinq occupants tant de leurs biens que de tout occupant de leur chef. 

 

En exécution de cette ordonnance, j’ai été requis par M’Bi Pascal Kaboré. Des convocations préalables ont été envoyées aux intéressés pour discuter. Puis la signification du commandement de déguerpir a été faite le vendredi 13 juillet 2018 aux intéressés. Ce commandement de déguerpir est le premier acte tendant à l’exécution et donne 8 jours aux intéressés pour déguerpir, sinon c’est l’exécution forcée. Du vendredi 13 juillet 2018 au vendredi 17 mai 2019, cela fait presqu’un an et les occupants avaient donc tout le temps de quitter les lieux sans qu’on ait eu besoin d’utiliser la force publique.

 

Entre temps, un certain Emmanuel Kaboré, dont le nom ne figure pas sur le référé, est venu me dire être le propriétaire de la cour et qu’il a engagé une procédure contre M’Bi Pascal Kaboré qui serait au niveau du Conseil d’Etat. Je lui ai fait comprendre que l’ordonnance que le juge a rendue est revêtue de la formule exécutoire. La formule exécutoire mande et ordonne à tout huissier de justice sur ce requis de mettre à exécution la présente ordonnance. A tout agent et officier de la force publique de lui prêter main forte lorsqu’ils seront également requis. Donc vous voyez le temps mis pour mettre à exécution cette ordonnance ? C’est dire même que ma responsabilité pouvait être engagée pour ne l’avoir pas exécutée depuis lors ».

 

Encadré 2

La version d’Emmanuel Kaboré

 

« La cour en question est la moitié d’une parcelle qui appartenait à Feu Yamba Mamadou Rouamba. Il a vendu la moitié à mon père, Abraham Kaboré, en 1993. Mon père est décédé en 2005. Un peu après, le vieux Yamba Mamadou Rouamba m’a proposé d’acheter l’autre partie. J’ai marqué mon accord. Mais le jour que je devais lui amener l’argent convenu, ses enfants me disent de patienter car ils veulent se voir d’abord. Une semaine après, M’Bi Pascal Kaboré m’appelle pour me signifier que les enfants de Yamba lui ont vendu la portion. Il me propose même de lui céder l’autre partie que mon défunt père avait achetée, contre un terrain à Ouagadougou. Je décline son offre lui disant que c’est désormais un bien de mon petit frère qui est toujours élève. Il a vu certains parents proches afin qu’ils intercèdent auprès de moi, mais cela n’a pas marché.

 

A ma grande surprise, en 2 000, un huissier, Me Adrien Ouédraogo, en l’occurrence, me notifie que la cour a été achetée et qu’on doit déguerpir. J’ai saisi la justice et le verdict a été à ma faveur. M’Bi Pascal Kaboré a fait appel de la décision à Ouagadougou et a eu gain de cause. Nous étions pourvus en cassation et c’est dans l’attente du jugement que l’année passée, des occupants de ma parcelle sont venus me dire qu’on leur a donné des papiers leur intimant de quitter les lieux. Je suis allé voir l’huissier, Me Adama Bembamba, et lui ai signifié que le dossier est en cassation et que j’estime que tant que le verdict n’est pas rendu, la décision de déguerpissement devrait être suspendue. C’est donc avec grand étonnement que j’ai été informé de l’opération de ce matin.

 

Le dossier a certes été appelé plusieurs fois et nous nous y sommes rendus, mais il a chaque fois été renvoyé. Quand je suis arrivé sur les lieux, plus de 400 personnes étaient là et ont marqué leur opposition au déguerpissement. J’ai même usé de beaucoup de tact pour raisonner les gens afin que ça ne dégénère pas. Jusqu’à présent, nous ignorons avec qui M’Bi Pascal Kaboré a acheté notre parcelle ni comment il a pu se faire établir des papiers sur un bien qui n’est pas le sien. Moi je dispose de tous les papiers qui sont tous des originaux. Je les ai tous mis à la disposition de la justice et j’attends que celle-ci se prononce en disant le droit ».

C. Z.

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