Menu

Obsèques Etienne Tshisekedi : Message d’outre-tombe du Sphinx de Limete

 

Ils n’ont vraiment pas lésiné sur les moyens, encore moins sur la symbolique. En rapatriant mon corps le jeudi 30 mai 2019, jour de l’Ascension, 24 heures après la date initialement prévue, c’est comme s’ils ont déjà instruit mon procès en béatification et m’ont sanctifié. Autant dire que ma place au Paradis est garantie. Mais depuis tout le temps que j’attends dans mon catafalque, bien au… frais dans ce caisson réfrigéré après mon décès le 1er février 2017, je n’étais plus spécialement pressé de partir.

 

Il fallait donc que je leur manifeste un peu ma mauvaise humeur en retardant le vol de quelques heures, d’où cette difficulté à trouver un avion. Mais il fallait bien se résoudre à rentrer, définitivement. De toutes les façons, je n’avais pas vraiment le choix. « Rendu soudain invisible comme par l’effet d’une prodigieuse occultation » pour reprendre les mots du philosophe, pouvais-je indéfiniment, dans mon état, freiner des quatre fers, sous prétexte qu’ils m’ont fait poireauter pendant deux longues années, le temps qu’ils se ruinent en querelles picrocholines sur le format et le lieu de mes obsèques ainsi que les frais inhérents ? Et pourquoi, tant qu’ils y étaient, ne pas polémiquer sur le sexe des anges qui  m’ont accueilli dans l’au-delà ?

 

Tout ça, c’est bien fini maintenant. Entre-temps, mon héritier biologique et politique est devenu président de la République. Au nom du père. Autant dire qu’il peut désormais faire à peu près tout ce qu’il veut. Enfin, pas tout, mais s’agissant quand même de l’ultime hommage à son géniteur, mon petit Félix pouvait se permettre une cérémonie grandiose.

 

Me voici donc ce jeudi 30 mai 2019 en début de soirée débarquant, les deux pieds devant, à l’aéroport de Ndjili d’où j’étais parti sur mes deux jambes. Il faut dire que je suis assez impressionné par cette foule immense sortie m’accueillir et qui, ce vendredi, va venir s’incliner sur ma dépouille au stade des martyrs de Kinshasa avant de faire place à l’hommage national samedi. Après quoi, je pourrai enfin rejoindre ma dernière demeure au cimetière de la Nsele.

 

Certes, j’ai servi Mobutu Sese Seko kuku banda wa za banga. J’ai été membre du Collège des commissaires généraux (le gouvernement provisoire mis en place suite à son putsch) ; j’ai été son ministre de l’Intérieur et des Affaires coutumières, puis son éphémère premier ministre à la fin de son règne entre le 2 et le 9 avril 1997. J’ai donc forcément ma part de responsabilité dans la traque et la mort du « crapaud Lumumba » (sic) et de ses partisans ainsi que dans l’exécution sommaire des conjurés de la Pentecôte pour ne citer que ces hautes œuvres du mobutisme. Mais après avoir pactisé avec celui qui ne fut du reste pas toujours le diable qu’il a fini par devenir, je m’en suis éloigné dès le début des années 80, notamment  avec la création de l’UDPS en 1982. Politiquement parlant donc, j’ai fait mon chemin de Damas, et pendant de longues décennies, j’ai lutté au péril de ma vie pour que la démocratie vraie, la bonne gouvernance et l’alternance surviennent dans mon pays. Jusqu’à mon dernier souffle.

 

Permettez-moi de ce fait de commettre un péché d’orgueil, cette reconnaissance populaire, je l’ai quand même méritée malgré mon parcours en dents de scie. Que l’homme – ou la femme – politique qui n’a jamais emprunté un chemin tortueux jette la première pierre sur mon cercueil. Ah, personne n’ose s’avancer ? Je m’en doutais bien.    

 

De la nouvelle dimension j’évolue dorénavant, je souris en voyant certaines personnes avec leur mine d’enterrement feinte, car beaucoup me préfèrent là où je me trouve désormais. Il faut dire que j’en ai fait baver quelques-uns. A commencer par Joseph Kabila, cet histrion politique qui a pensé qu’il pouvait me cornaquer comme bon lui semblait. Il sera néanmoins parvenu, ce fin manœuvrier, à dompter son successeur.

 

Alors que ceux pour qui je me suis battu s’apprêtent à jeter la dernière pelletée sur mon enveloppe corporelle, je suis en fait animé par un sentiment ambivalent. Pourquoi s’en cacher, je suis quand même fier que mon petit « Fatshi »  ait pris ma revanche, mais en voyant cet étrange mariage de la carpe et du lapin et le couple qu’il forme avec Petit Kabila, je me demande combien de temps pourra tenir cet curieux attelage qui risque très rapidement de tirer à hue et à dia. Je veux bien d’une alternance pacifique, la première de toute l’histoire du Congo, mais je ne l’imaginais pas maculée de ces « petits arrangements à l’africaine ». Le pauvre Jean-Yves Le Drian, tout le monde lui est tombé dessus mais quand je vois comment martin Fayulu a été floué d’une victoire qui lui tendit les bras, il n’avait, hélas, pas tort le ministre français des Affaires étrangères qui a pourtant été obligé de faire un rétropédalage plutôt honteux.

 

Quoi, qu’est-ce que j’entends ? L’organisation de mes obsèques va coûter la bagatelle de 2 à 6 millions de dollars américains au frais du contribuable ? Pour m’enterrer, moi Etienne Tshisekedi wa mulumba, le natif de Kananga, premier diplômé de droit de mon pays, qui fut inspecteur des finances publiques ? Je vais passer le temps à me retourner dans ma tombe. Car Dieu seul sait le nombre de vivants que ma mort va engraisser. Ça ne finira donc jamais ces pratiques ?

 

Allez, il faut que je vous laisse. On me presse de l’autre côté. Mais s’il y a une prière, une seule que je peux faire avant de m’éclipser, c’est que mon enfant puisse s’affranchir de cette tutelle aliénante du fils du Mzee – tiens, un autre héritier ! – pour engager des réformes hardies de la gouvernance de la RDC et qu’enfin, ce géant au cœur de l’Afrique qui m’a vu naître un jour de  décembre 1932 se réveille. Elle en a les potentialités, toutes, sauf une jusque-là, hélas la plus importante : un leadership éclairé et responsable.

 

 

Ousseni Ilboudo

Dernière modification ledimanche, 02 juin 2019 21:11

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut