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Projecteur: La stèle des Martyrs de l’insurrection a parlé…

Ce texte sur la stèle des Martyrs est le premier d’une série d’articles qui donnera la parole aux monuments du pays, pour prendre leur avis sur l’état de la nation. Une prosopopée entre humour et sérieux pour faire entendre un propos citoyen et mettre en lumière les monuments et leur histoire. Cet article est né du défi de photographier la stèle des Martyrs sans le mémorial des Héros nationaux. Gery Barbot l’a relevé et, en retour, a voulu ce texte pour accompagner cette prise d’indépendance de la stèle !

 

 

Il est connu que pour entendre les propos d’un monument, il faut réunir trois conditions : un monument sans bâillon, un peu de vent pour porter ses paroles et une imagination pour les entendre. Conditions qui furent réunies en ce jour où nous avons été sur la place du mémorial des Héros et de la stèle, à Ouaga 2000. Voici donc les paroles de la stèle.

« Oh ! mon Dieu, que c’est jouissif de se libérer d’un encombrant compagnon, me suis-je dit en regardant la photo que Gery Barbot a faite de moi, de moi tout seul sans cette pansue structure de béton tout en boursouflures que l’on nomme monument des Héros nationaux et qui se tient dans mon dos comme un cerbère. Imaginez-vous l’inconfort d’avoir une chose de cinquante-cinq mètres pesant près de huit mille tonnes derrière moi, qui ne fais que dix-huit mètres ? Elle vous écrase littéralement et vous ratatine.

Bonnes gens, vous ne pouvez pas comprendre comment c’est pesant d’avoir ce machin-là avec soi tout le temps. C’est comme le malaise qu’on éprouve lorsque quelqu’un lit par-dessus votre épaule ou lorsqu’on a l’impression d’être filé. Franchement, je n’ai jamais compris pourquoi M’Ba Michel, notre président sous la Transition, m’a contraint à la cohabitation avec les Héros nationaux. Nous ne sommes pas de la même parentèle. Je suis un Insurgé, donc quelqu’un qui a forcé les portes de l’histoire ; eux, ce sont des personnalités qui ont patiemment bâti leur carrière pour mériter leur place, ici. Moi, je suis entré par effraction dans l’histoire, eux ont payé leur ticket, on ne devrait pas être assis ensemble. Je me serais bien senti dans un quartier populaire.

Revenons à la photo. J’avoue que lorsque j’ai vu Gery Barbot se contorsionner avec son appareil photo ce matin-là, je n’imaginais pas qu’il voulait me tirer le portrait, une photo à moi seul, sans l’encombrant monument des Héros. J’ai plutôt pensé qu’il était en repérage pour des photos de jolies filles…J’ai vu son press-book, il ne shoote que des beautés féminines pour les montrer sous leur meilleur jour. Alors, comment pouvais-je penser qu’il venait juste pour moi ?

Et je ne vois pas ce que mes deux bras levés ont d’excitant. Deux bras levés, un bras de femme avec bracelet, un autre d’homme et des noms des martyrs tatoués sur les avant-bras et l’étoile jaune liant mes bras aux poings fermés… C’est l’architecte Simon Kafando qui m’a fait les deux bras en granito et le sculpteur Ky Siriki m’a taillé des poings fermés. J’ai tatoué sur mes avant-bras les noms et prénoms de tous ceux qui sont morts pour faire échec au pouvoir ad vitam aeternam que voulait s’octroyer le régime Compaoré par la révision de l’article 37 limitant le nombre de mandats présidentiels et au coup d’Etat du 15 septembre 2015.  Je me souviens des 28, 29 et 30 octobre 2014. Il faisait beau ces jours-là dans tout le pays, les matins étaient frais et lumineux ; nous étions jeunes et nous rêvions d’un autre Burkina pour nous et pour tous. C’est pourquoi nous avons affronté les sicaires du RSP à mains nues. Nous avons réussi à chasser Blaise Compaoré et à asseoir le premier pouvoir civil du pays depuis 1966.

Si vous me demandez si tous ces insurgés morts pour qu’advienne un Burkina nouveau, un pays de justice et de paix, sont contents, je répondrai non, non et non. Ils ont les larmes aux yeux quand ils voient ce que sont devenus les concitoyens pour lesquels ils ont donné leurs jeunes vies, et moi, leur stèle, je serre les poings très fort  à sentir craquer mes os de pierre.

Le pays est attaqué par les terroristes depuis 2016, et sans répit depuis trois ans et pendant ce temps, les gens continuent tranquillement leurs petites affaires, chacun traficote dans son coin, peu soucieux de l’intégrité territoriale et de l’intérêt national. De là où nous sommes, le spectacle que vous nous offrez est pitoyable.

Quand je vois ce spectacle, j’en veux parfois à Ky Siriki de m’avoir donné des doigts figés dans le béton.  Il aurait pu me donner des doigts tactiles et des articulations. Ainsi, j’aurais pu allonger mes bras pour saisir au collet tous ces dépeceurs de la nation et leur serrer le cou jusqu’à ce qu’ils manquent de s’évanouir.

J’aurais pu allonger mon poing pour mettre un direct ou un uppercut dans la tronche ou la bedaine d’un voleur de la république. Moi, il m’a réduit à l’impuissance, figé que je suis dans une éternité de pierre. Si Iron Biby passait me voir, je lui demanderais de me prêter ses poings pour corriger quelques citoyens indélicats.

Mais rassurez-vous, tous les jours ne sont pas gris, je connais aussi des instants heureux. Comme lorsque je vois les efforts et le génie que déploient quelques compatriotes, des fonctionnaires, des entrepreneurs, des artistes et des sportifs pour que le pays continue sa marche et même pour qu’il hâte le pas sur le chemin du développement. Ou quand je vois des Burkinabè hisser le drapeau dans les compétitions ou les rencontres internationales grâce à leur talent.

Et tout compte fait, quand je jette un regard sur notre histoire commune, je reprends espoir car chaque fois que nous avons connu l’adversité, nous avons pu trouver en nous les ressorts pour y faire face, dans l’unité retrouvée et la victoire partagée. Nous vaincrons l’incivisme, nous vaincrons l’extrémisme religieux, nous triompherons des forces de la division.

Une dernière chose avant de vous quitter. Maintenant que Gery Barbot a pu me libérer de la présence exaspérante du monument des Héros nationaux, j’existe pour moi-même et  j’ai mon message pour les Burkinabè : « Faites en sorte que le lourd prix que nous, jeunesse du Burkina Faso, avons payé pour l’avènement d’une véritable démocratie ne soit pas vain. Faites fructifier l’héritage pour le bien-être de tous les Burkinabè, sinon mes lourds poings s’abattront sur vos têtes de linotte ».

 

Saïdou Alcény Barry

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