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Un conte moderne : La jeune fille mal-aimée au miroir

 

Si l’envie me venait d’écrire la biographie d’un enfant de ce 21e siècle avec ses hauts fulgurants et ses bas tapageurs, je choisirais comme héroïne une jeune fille trentenaire dont l’histoire est un conte de fées moderne et cruel. Une véritable fille de ce siècle dont elle porte les valeurs nouvelles : violence verbale, haine des pauvres, étalage de richesse.

 

 

Ce serait l’histoire d’une petite fille qui n’est pas née avec une cuiller d’or dans la bouche mais qui démarre sa vie lestée de plusieurs handicaps. Un père ouvrier dans un pays étranger. Être un pauvre émigré charrie son lot de vexations : humiliations, manque de tout et mépris de tous. Et si elle va à l’école, c’est juste les années du primaire et elle décroche.

 

Et naturellement, au bout de l’adolescence l’attend un destin tout tracé : être servante chez les riches, trouver un époux ou arpenter les trottoirs… Un jour, la jeune fille prend son balluchon et s’en retourne dans son natal. On imagine qu’elle vit d’expédients. De mépris. Et puis comme dans tous les contes, un jour, elle croise la fée de son époque, elle n’est plus une femme, c’est un jeune homme roux qui s’appelle Mark Zuckerberg et sa baguette s’appelle Facebook.  Facebook, c’est la clé qui ouvre la porte du monde virtuel où il est possible de s’inventer une nouvelle vie, d‘être seule tout en appartenant à une communauté de millions d’âmes.

 

 Elle comprend tout le bien qu’elle peut tirer de cette plateforme. D’abord se réinventer physiquement : à grandes doses d’hydroquinone, la petite fille au teint de nuit s’est transformée en une belle femme claire, la loutre est devenue une sirène à la chevelure chamarrée et changeante. Mais il est connu que les sirènes n’ont pas de belle voix mais l’époque n’étant plus aux vocalises, on peut être chanteuse sans chantonner, il suffit de parler. Et première, elle parla et s’autoproclama la première femme, une Eve dans le jardin de la poésie urbaine. Et contrairement à la première Eve, elle ne croquera aucune pomme offerte par un serpent car du venin, elle en a et elle va en injecter dans le monde.

 

Camus disait que lorsqu’on a connu la misère, on n’a pas besoin de Marx pour comprendre le communisme. La jeune femme aussi a vite compris que les valeurs que l’on promet sont désuètes, la morale que l’on professe est pure hypocrisie. On a droit ni au respect ni à la compassion quand on est pauvre. Qui n’a rien n’est rien. Ce monde adore la réussite matérielle et abhorre la pauvreté. Le langage, lui-même, est une arnaque. Il est policé quand il s’adresse à un puissant, il est neutre quand il est horizontal et violent lorsque l’on s’adresse à plus bas que soi. Elle sera porte-parole de cette nouvelle race contre leur gré. Et comme Caligula, elle sait qu’ils la haïront mais ils la suivront.  Parce qu’elle est à leur image. Celle qu’ils sont devenus et pourtant qu’ils répugnent à admettre.

 

A coup de publications et de vidéo où la vulgarité, la violence et la vacuité se donnent le bras, la jeune fille s’invite dans leur quotidien, dit haut et fait au vu et au su de tous ce qu’ils rêvent secrètement de faire.  Elle insulte les pauvres, disent-ils ! Qui n’insulte pas le pauvre dans cette époque où les gourous du développement personnel serinent à tout va que chacun a le potentiel pour être riche et que celui-ci qui ne l’est pas en porte l’entière responsabilité ? Une société qui juge les individus à leur embonpoint et à leurs objets clinquants n’aime ni ne respecte le pauvre. Dites Job et tous penseront à Steve Jobs d’Apple et jamais au personnage biblique.

 

Elle expose ses richesses, étale son mauvais goût, menace avec son verbe indigent et cela heurte l’establishment. Elle n’est pas bonne mère, disent-il. Mais elle n’en a cure. Plus on la vilipende, plus elle existe.  

 

Cette enfant de l’ombre qui s’est hissée en pleine lumière sait l’art de faire cracher le venin à la bien-pensance. Cette haine, elle la suscite, l’étale sur les réseaux sociaux et la fait dégouliner sur le monde. Pourquoi le fait-elle ?  A défaut d’avoir leur amour, peut-être en sont-ils incapables, elle montre qu’ils sont généreux de leur haine. Baveuse au début, elle est devenue visqueuse et puis, elle l’a chauffée cette haine à blanc, l’a portée à l’incandescence et elle s’est durcie, solidifiée, est devenue un bloc de désamour qui prouve que la communauté sous ses dehors bonasse est une meute. Agneaux, il criait haro sur la louve et elle réussit à faire découvrir qu’ils sont de la même engeance.

 

La fin du conte n’est pas encore écrite mais la petite fille ne se taira pas. Elle ne quittera pas la scène tant que les nouvelles valeurs qu’elle porte auront la cote à la bourse de ce siècle. Elle continue  à tendre le miroir dans lequel se reflètent la vérité et la laideur de cette époque.  Si ce conte devait avoir une morale, ce serait celle-ci : si vous ne voulez pas avoir affaire à des milliers de jeunes femmes et hommes à l’image de ce personnage de paon au ramage qui vous déplaît, tournez le dos au culte de la richesse, à l’exhibition et au mépris du pauvre…

 

 

Alceny Saïdou Barry

 

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