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Procès putsch manqué : « Je saurai sur quel pied danser maintenant » (Sergent Souleymane Koné)

Des avocats ont  plaidé l’acquittement ou le sursis en faveur de quatre accusés, dans la matinée du 1er juillet 2019 à la salle des banquets de Ouaga 2000, où le procès du putsch manqué de 16 septembre 2015 a entamé lentement mais sûrement sa dernière ligne droite. Les conseils d’Abdoul Karim Baguian, dit Lota, de Salifou Sawadogo, de Souleymane Koné et de Fatoumata Thérèse Diawara ont tour à tour tenu le crachoir pour démonter les réquisitions du parquet militaire concernant leurs clients. Le ministère public a, en effet,  demandé aux juges de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou de condamner respectivement les intéressés à 5 ans de prison ferme, 5 ans de prison assortie de sursis, 15 mois de prison assortie de sursis et 10 ans de prison ferme. «Si je suis libre, je saurai sur quel pied danser maintenant. » Tel a été mot final du sergent Souleymane Koné.

 

 

Au troisième jour des plaidoiries des avocats de la défense, Me Abdoul Latif Dabo a poursuivi dans la dynamique qu’il avait entamée dans l’après-midi  du 28 juin dernier. Ce jour-là il disait, à grand renfort de textes, au président de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou que sa juridiction est incompétente pour juger des civils devant un tribunal militaire qui, lui, est spécial. Mais cette exception ne l’a pas empêché de déballer son argumentaire au cas où la chambre passerait outre cela. Il s’est appesanti sur la «pseudo-collusion » que son client, Abdoul Karim Baguian, dit Lota, aurait eue avec les militaires de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) au moment des faits avant d’essayer de le dédouaner de l’acte, qu’a d’ailleurs regretté le mis en cause, qui a reconnu avoir donné des coups au sieur Nicolas Kaboré à l’hôtel Laïco.

Me Dabo a énuméré des P.-V. de coaccusés comme Ousséni Faiçal Nanéma qui y explique la raison pour laquelle des éléments de l’ex-garde prétorienne avaient convergé vers le domicile de feu Salifou Diallo. Et ceux du soldat de 1re classe Arouna Ouédraogo, qui indique que s’ils s’y sont rendus, c’est parce que des jeunes leur ont signalé des tirs et ont fait cas de leurs camarades appréhendés audit domicile.

Pour l’homme en robe noire , les juges doivent croire aux propos de son client qui y était pour demander la libération de ses camarades du même parti : le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). «Ce sont des faits totalement fortuits, il n’en est rien. Il ne savait même pas que des militaires avaient été signalés concernant le cas de leurs militants arrêtés. Pour qu’il y ait collusion, il faut une concertation, une entente entre des personnes pour poser un acte déterminé. Il n’y a pas de collusion, contrairement à ce que veulent vous faire croire le parquet militaire et la partie civile», a-t-il expliqué.

En sus, le conseil de Lota a précisé que le «témoin à charge » qui était censé plonger son client dans l’infraction de dégradation volontaire aggravée de biens a contredit les propos qui lui auraient été attribués. Gomdaogo Nikiéma, dit Hamidou, avec l’assistance d’un interprète, disait qu’il ne se reconnaît pas dans les déclarations contenues dans des P.-V. «Il disait qu’il n’a jamais tenu de tels propos, mais le parquet militaire et la partie civile n’en ont pas fait cas puisque cela décharge notre client. Mais, nous, nous ne passerons pas cet épisode sous silence. Le témoin a reconnu avoir échangé avec notre client le 17 septembre, son constat est qu’il y avait un groupe de surexcités. Il dit être passé par Lota, plus jeune que lui, afin que les gens de ce groupe sachent raison garder », a-t-il rappelé. Et d’ajouter que l’agent de police au domicile de feu Salifou Diallo a précisé que les lieux ont été incendiés le 18 septembre alors que son client était à Manga à cette date. Il a tout simplement demandé l’acquittement d’Abdoul Karim Baguian pour cette infraction.

Mais concernant les coups et blessures volontaires sur la personne de Nicolas Kaboré, que son client lui-même n’arrive pas à expliquer, Me Dabo a argué que le commerçant, qu’il défend, n’était pas animé d’une intention coupable ; autrement dit, il ne s’est pas rendu à la rencontre de l’hôtel Laïco dans l’intention d’attenter à l’intégrité physique d’une tierce personne. Selon l’avocat, l’environnement et les circonstances ont influé sur la personne de Lota qui, auparavant, avait même dissuadé une personne de commettre un acte répréhensible. Il a par conséquent demandé une excuse absolutoire pour l’accusé ou, à défaut, qu’il soit tenu compte de son repentir sincère en le faisant bénéficier d’un sursis ; lui qui est «un délinquant primaire, père de cinq enfants».

«Allez plus loin en prononçant l’acquittement pur et simple»

Me Hamidou Sawadogo, lui, a dans la foulée plaidé la cause de l’ex-député Salifou Sawadogo à qui il est reproché les faits de : complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre et coups et blessures volontaires. «Le 15 décembre 2016, mon client était à la COP 22 au Maroc et lorsqu’il a entendu son nom dans l’affaire du putsch manqué, il a voulu rentrer au pays pour se mettre à la disposition de la justice. C’est alors que feu Salifou Diallo, dont la maison a été saccagée lors de ces événements, lui a dit de poursuivre sa mission… Les deux hommes se connaissent bien. Je me suis posé des questions : est-ce qu’il ne voulait pas plutôt lui dire n’aie crainte, je sais que tu n’a rien à voir dans cette affaire ? Mais lorsqu’on fait de la politique, on peut se retrouver malheureusement dans le box des accusés pour s’expliquer sur des actes qu’on n’a pas posés», a indiqué Me Sawadogo, qui donnait un aperçu de la personnalité de son client. Mieux, il croit que si l’ingénieur des techniques du développement rural avait des choses à se reprocher, il pouvait s’éloigner le plus loin possible du Faso afin de se mettre à l’abri comme l’ont fait certains. Si l’accusé dit avoir reçu les 10 millions de francs CFA dans la soirée du 16 septembre en vue de sécuriser les domiciles de responsables du CDP, certains dirigeants de la formation politique comme Eddie Komboïgo et Achille Tapsoba, eux, soutiennent que ce fonds entrait dans le cadre de la campagne électorale. «Ils le disent, mais ce n’est pas exact, ce n’est pas la vérité, car il était impensable que l’élection d’octobre 2015 se tienne à bonne date dans cette situation. De plus, la province du Kadiogo n’est pas la seule circonscription électorale», a développé Me Hamidou Sawadogo pour qui la version de Moïse Traoré-Nignan corrobore les propos de l’accusé. Toujours en rapport avec cette manne financière, des comptes rendus, selon ses propos, étaient faits à Achille Tapsoba qui pouvait, au besoin, le recadrer. En outre, 20 autres millions lui ont été remis en soutien aux militantes et militants pour la fête de Tabaski. «Comment se fait-il alors que ceux qui ont remis l’argent à mon client n’aient pas été inquiétés ou que des enquêtes les concernant aient aussitôt été éteintes ?» Il a expliqué que son client n’a pas eu de contact avec le général Diendéré pour qu’on interprète cela comme un soutien au putsch. Le seul élément brandi par le ministère public et les parties civiles, c’est la vidéo du 19 septembre 2015. Dans cette vidéo, Salifou Sawadogo dit «congratulations» à Gilbert Diendéré à son domicile. «Pourquoi n’a-t-il pas dit félicitations, bravo, chapeau, ou bien joué ? A cette date, le général était le plus médiatisé. Pouviez-vous lui dire en face, dans sa maison, dans sa tenue d’apparat, que vous n’êtes pas d’accord avec ce qui venait de se passer ? C’est un lapsus linguae, c’est involontaire. Si sa condamnation devait tenir à un seul mot, ce  serait incompréhensible. Nous ne demandons pas que des personnes nous rejoignent à la barre, mais déchargez Salifou Sawadogo, allez plus loin que le parquet en prononçant son acquittement pur et simple», a conclu Me Sawadogo.

Me Seydou Roger Yamba, dans la même dynamique, s’est voulu plus précis sur les circonstances où le mot «congratulations» a été prononcé. « Est-ce que féliciter quelqu’un est un acte infractionnel ? Les chefs d’Etat de la CEDEAO devaient venir au Burkina, en tant que responsable du parti, il n’avait aucune autre information, il n’y avait aucune organisation. Il est appelé par Fatoumata Diendéré. Ils finissent d’échanger et voilà le général qui se présente. Il dit « congratulations ». Est-ce que notre client a fait un plan (ndlr : photo) avec le général ? Au contraire, il était surpris, il a dit ‘’euh’’, le général lui-même était surpris ». Invité à la barre pour son mot de fin, l’accusé a précisé qu’il n’a jamais participé à quoi que ce soit, avec pour intention de commettre un attentat à la sûreté de l’Etat avant de s’en remettre «à votre sage décision », s’adressant  aux juges.

« C’est quelqu’un dont le nom n’est pas revenu, levez-vous ! »

 Me Seydou Roger Yamba a gardé le crachoir pour s’intéresser au cas d’un soldat de 1re classe dont le «nom n’est pas revenu plusieurs fois si bien qu’on ne le connaît pas ». A l’issue de son introduction, il a tenu d’ailleurs à ce que l’accusé se mette debout afin d’être identifié par l’assistance. Pour lui, Souleymane Koné n’a ni patrouillé, encore que patrouiller ne veuille pas dire commettre une infraction, ni participé à la prise d’otages et encore moins porté d’arme. Il n’a fait que se positionner à un endroit, sur ordre d’un supérieur hiérarchique, où il a passé deux ou trois jours sans rien faire. Mais il a tout de même été poursuivi pour les faits de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre et coups et blessures volontaires. S’il est devant la chambre de jugement, Me Yamba croit que c’est la chambre du contrôle de l’instruction qui l’y a amené puisqu’il avait bénéficié d’un non-lieu à l’issue de l’instruction. «Le parquet et la partie civile disent que c’est un élément du Groupement des unités d’intervention (GUI) qui s’est retrouvé dans le Groupement des unités spéciales (GUS). Comment cela pourrait être une infraction ? Qu’a-t-il posé comme acte pendant les deux ou trois jours ? A la barre, lors de sa comparution, il n’a même pas passé 20 à 30 minutes», a signifié l’avocat qui dit avoir fouillé pour trouver ne serait-ce qu’un aspect qui laisse entrevoir un doute sur le rôle de ce soldat. Il s’est étonné également que le parquet militaire n’ait pas saisi le téléphone de son client pour vérifier s’il a effectivement rendu compte à son supérieur qui lui avait dit de rejoindre le camp consigné. Me Yamba ne dépassera pas quinze minutes et a estimé que la seule décision à prononcer concernant son client, c’est l’acquittement pur et simple. Le sergent a déclaré que ce procès a été une école de droit pour lui, car il a beaucoup appris. «Ma tête était vide. Mais à présent, elle est pleine, au point que ça me fait mal souvent. Si je suis libre, je saurai sur quel pied danser. Merci, Monsieur le Président », a-t-il terminé.

«Les réquisitions du parquet sont excessives à mon endroit »

Me Abdoul Latif Dabo est revenu à la charge, cette fois-ci pour le compte de l’accusée Fatoumata Thérèse Diawara. Elle est poursuivie pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et trahison. L’avocat a tout de go demandé aux membres de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou de l’en décharger pour infractions non constituées. Son confrère Me Seydou Roger Yamba embouchera la même trompette en affirmant que le fait stipulé dans l’arrêt de renvoi n’a à aucun moment été établi. En effet, il y est dit que Dame Diawara a remis de l’argent aux militaires de l’ex-RSP alors qu’aucun d’entre eux n’a attesté ce fait. Pour lui, cette infraction tombe du coup, sans qu’on ait besoin de s’étaler sur les textes de droit. Pour ce qui concerne l’infraction de complicité de trahison, Me Dabo, lui, expliquera qu’il  faut d’abord que les auteurs principaux de cette infraction (ndlr : Gilbert Diendéré et Djibril Bassolet) aient mis des moyens (matériels, offensifs et stratégiques) à la disposition de l’ennemi pour  annexer une portion du territoire burkinabè. Sur les écoutes téléphoniques qui ont été rattachées à sa cliente, il dit en avoir demandé le modus operandi, mais sans succès. Il a déclaré que jusque-là le parquet militaire n’a pas dit comment il a su, techniquement, que Dame Diawara a conversé avec Zakaria Koné de la Côte d’Ivoire et les deux généraux Bassolet et Diendéré au moment des faits. « J’ai lancé un défi au ministère public mais il ne l’a  pas relevé. On vous demande donc de vous fier aux capacités auditives et sensorielles d’un des membres de l’accusation pour vous conduire à priver un enfant de sa mère pendant dix années. On dit par ailleurs qu’elle a incité des gens à faire pénétrer 1000 ‘’chiens méchants’’ sur le territoire burkinabè. En quoi cela est constitutif d’une infraction ? C’est à travers l’interprétation féconde de certaines personnes qu’il a été fait cas de commandos et de mercenaires. Monsieur le Président et les membres du tribunal, déshabillez vos regards et vos oreilles sur ces écoutes téléphoniques. Notre cliente n’a pas sa place ici, acquittez-la », a plaidé Me Dabo.

L’accusée, presque au bord des larmes, a jugé les 10 ans excessifs à son endroit, ce qui serait certainement dû, selon ses propos, à une mauvaise image que l’accusation a gardée d’elle au cours de l’instruction. «A quatre mois de grossesse, il y avait déjà le stress, les émotions, les humeurs. Pardon à tous ceux qui ont souffert, bonne guérison aux blessés. Pardon à tous ceux qui ont subi des préjudices. La sagesse s’acquiert, j’ai mûri, je suis mère d’un enfant et je vous demande d’avoir un regard sur ma situation. Clémence afin qu’au-delà de ma personne, mon enfant ne soit pas puni. Que Dieu vous bénisse », a-t-elle dit en substance.

Les plaidoiries des avocats de la défense se poursuivent ce matin 2 juillet 2019 dans la salle des banquets de Ouaga 2000.

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

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