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Docufilm : Le Réparateur de parapluies de Christelle Magne Tamo

Christelle Magne est une jeune réalisatrice camerounaise. Nous l’avons croisée à la 8e édition du festival du cinéma africain de Louxor dans le cadre d’un workshop en développement de projet. Elle porte un projet de film sur son père, un comédien dont le cinéma aurait détruit la vie.  Le Réparateur de parapluies est un documentaire qui questionne le cinéma et sa réception dans la communauté.

 

 

Christelle Magne affiche un perpétuel sourire. Pourtant derrière ce sourire se masque une enfance difficile passée entre la folie du père et le manque de presque tout. Et une Mère Courage qui est restée auprès de son enfant, tout en travaillant à faire vivre la famille. Mais cela, on ne l’apprend que par bribes, dans un dialogue au long cours autour de son travail documentaire sur son père.

Le père de Christelle a été un acteur dans une fiction camerounaise. Dans ce film, il joue le rôle d’un personnage qui subit une cérémonie rituelle conduite par un chef traditionnel. Une sorte d’ordalie utilisée traditionnellement pour détecter et punir les transgresseurs. Juste après ce film, le comédien a perdu la raison. Et l’opinion publique a vite fait un lien de cause à effet entre le rôle incarné, le rituel transposé au cinéma et la démence de l’homme. Surtout que le rôle du chef était joué par un vrai chef traditionnel !

Christelle, sa sœur et son frère ont grandi dans un environnement difficile, violent, à côté d’un père ayant perdu la raison. Pourtant elle a décidé de faire des études de cinéma. Et petit à petit s’est imposée à elle l’idée de faire un film documentaire sur ce père comédien et d’interroger la réception du cinéma dans la communauté.

Ce documentaire est en quelque sorte une enquête sur les possibles raisons de la folie du père. Il consiste à filmer le père, la famille, des témoins, etc., pour raconter la descente en enfer de ce jeune comédien. Ceux qui incriminent le film comme cause de la démence du père Magne reprochent au réalisateur d’avoir non seulement filmé un simulacre de cérémonie sacrée mais surtout d’avoir invité un vrai chef traditionnel à  y officier. Pour eux, l’office du chef traditionnel n’est pas un jeu mais un acte performatif. La conséquence en est que la cérémonie du film était en réalité une vraie cérémonie et non un simulacre. Le comédien Magne a donc été puni par les ancêtres. Pour d’autres, le chef traditionnel est un vrai chef mais il n’est pas habilité à officier une cérémonie d’ordalie, donc son jeu n’est pas vrai, il est composé et n’aurait aucun effet véritable sur la vie du comédien. Intéressant débat sur l’intrusion du réel dans la fiction ou la percolation de la fiction dans le réel.

Le vieux Magne est devenu le meilleur réparateur de parapluies dans le marché du quartier. On lui envoie les parapluies et les parasols détraqués, il répare la mécanique dans l’ossature métallique ou la tige qui est en panne, ou change la toile si elle est déchirée. Les images de ses parasols réparés et ouverts sur la place du marché donnent à ce marché l’image d’une forêt de champignons géants aux chapeaux de différentes couleurs.

Certaines personnes viennent prendre des potions médicamenteuses à base de plantes avec le Vieux Magne. Il est devenu aussi un guérisseur comme le fut son père, s’inscrivant dans l’histoire des Magne qui furent avant tout de grands chamans. La transmission des savoirs dans le domaine s’opère après une crise de démence. Est-ce cela la cause de la folie du Vieux Magne du moment qu’il est devenu tradipraticien ?

Le documentaire s’attache à explorer toutes les causes possibles de cette folie. L’intérêt de ce projet est double : d’abord utiliser le cinéma pour investiguer les causes de la folie d’un homme dans lequel ce médium serait incriminé ; ensuite, c’est le fait que ce soit la fille qui se saisisse de la caméra pour exposer la vie peu glorieuse du père. D’ailleurs, on serait tenté de demander de quel droit elle le fait. Du moment que son père, parfois face à la caméra, clame qu’il ne veut être filmé.

C’est certainement le double intérêt de ce film qui a fait que Jean Marie Teno, grand documentariste camerounais, a décidé de produire l’œuvre. Celle-ci n’est pas encore achevée, mais sans doute que la démarche qui consiste à faire de l’art à partir de son expérience personnelle en puisant dans l’intimité familiale va susciter le débat…

 

Alcény Saidou Barry

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