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Procès du putsch manqué : Vers des sanctions pédagogiques ou un verdict-couperet ?

Encore quelques heures de suspense et les rideaux vont tomber sur le procès en première instance des accusés du putsch manqué du 16 septembre 2015. Le général Gilbert Diendéré et ses 82 coaccusés seront quelque peu fixés sur leur sort.

 

Nous disons bien quelque peu, car il n’est pas exclu que le verdict qui sera rendu aujourd’hui par la chambre de première instance du Tribunal militaire fasse l’objet d’appel devant la Cour d’appel de Ouagadougou par les avocats de ceux des accusés qui viendraient à être condamnés. Il est alors fort probable que les décisions du président du tribunal, Seidou Ouédraogo, et de ses accesseurs ne soient pas l’épilogue de la procédure judiciaire dans cette affaire malgré ce procès marathon qui aura duré un peu plus de 18 mois.

 

On se le rappelle, il avait débuté le 27 février 2018 dans une salle des banquets de Ouaga 2000 archicomble après une instruction qui aura duré près de deux ans et demie. Le Tout-Burkina, et même au-delà, avait tendu l’oreille pour connaître le fin mot de l’histoire de ce pronunciamiento qualifié de « coup d’Etat le plus bête du monde ». Au rendu du verdict du Tribunal militaire, pour sûr il  y aura des condamnés et des relaxés sans qu’on soit sûr que toute la vérité et rien que la vérité ait été dite sur cette affaire.

 

On retient néanmoins que le président Seidou Ouédraogo a bien conduit les débats, menant à terme le procès entre préalables des avocats, saisine de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel. C’est connu, en matière de procès, la forme important aussi bien que le fond, celui des accusés du putsch manqué aura fait du surplace à son démarrage à cause des querelles de procédure avant l’entrée dans les débats de fond. Toutes les parties, le procureur, les accusés et leurs avocats, ceux de la partie civile auront eu largement le temps de s’exprimer et de faire valoir leurs points de vue devant un tribunal qui s’est montré très serein. On espère alors qu’il en a été ainsi pendant son délibéré et qu’il s’est attaché dans son verdict à dire le droit  et rien que le droit.

 

Le président Seidou Ouédraogo et ses accesseurs avaient en effet une grande responsabilité : celle de l’impartialité dans le professionnalisme. Face à la pression de l’opinion publique, portée par les avocats de la partie civile qui réclament justice pour les 23 morts et les 42 blessés, principaux victimes de la violence qui a entouré cette tentative de putsch, et aux aveux, circonstances atténuantes et dénégations des accusés, le tribunal avait fort à faire. Parce qu’il ira au-delà ou en deçà des réquisitions du procureur, son verdict, quel qu’il soit, fera des mécontents.

 

De fait, certains prévenus, d’après les réquisitions du procureur, risquent gros, notamment les principaux accusés, les généraux Gilbert Diendéré et Djibril Bassolé : la prison à vie, la perte de leur galon d’officier, voire leur radiation des effectifs militaires. D’autre encourent des peines allant de 5 à 20 ans de prison. Cela pèsera comme un lourd handicap dans leur vie et plus encore dans leur carrière professionnelle et /ou politique. Au demeurant, on n’a pas besoin d’être un érudit du droit pour savoir que les 13 questions auxquelles le tribunal était appelé à répondre pour fonder ses convictions et le rendu de son délibéré sont tendancieuses. Elles indiquent en effet qu’il s’engageait plus à statuer sur le degré de culpabilité de certains prévenus, le général Diendéré en l’occurrence, que sur leur innocence.

 

Il est vrai que les chefs d’accusation qui pèsent contre  les prévenus sont des plus graves : atteinte à la sûreté de l’Etat, trahison, meurtres, coups et blessures, détérioration de biens publics et privés, etc. Mais n’est-ce pas qu’il est difficile de situer des responsabilités individuelles dans les violences qui ont accompagné l’arrestation et la séquestration des autorités de la Transition en mi-septembre 2015 ? Il est si difficile de démêler l’écheveau de cette tentative de coup d’Etat que,  4 ans plus tard, après 30 mois d’instruction par le parquet militaire et 18 autres de procès, le commun des Burkinabè, entre les déclarations contradictoires des accusés et les plaidoiries des avocats, n’arrive pas à se faire une idée de qui voulait jouer un tour pendable à la République. Du reste, pour certains observateurs, ce procès avec ses non-dits, le refus de révéler les sources des enregistrements téléphoniques impliquant Djibril Bassolé, le refus de convoquer certains témoins de la défense, la non-autopsie des corps des victimes, par exemple, se termine sur des notes d’une pédagogie inachevée : celle portant sur la clarification du rôle républicain des Forces de défense et de sécurité afin de proscrire leur intrusion dans le jeu politique.

 

Par ailleurs, vu la difficile situation sécuritaire que vit le Burkina, vu les appels à la réconciliation nationale, vu le repentir ou les regrets de certains prévenus, vu l’attitude ambigüe de la haute hiérarchie militaire au moment des faits, vu les zones d’ombres qui persistent sur cette affaire, le tribunal ne gagnerait-il pas à ne pas avoir la main trop lourde dans son verdict ? En tout cas, le Burkina d’aujourd’hui et de demain gagnerait plus dans une sanction pédagogique des éventuels coupables que dans un verdict-couperet contre des adversaires politiques ou des officiers patriotes qui, pour certains, se sont retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Gardons-nous donc de sacrifier les chances de la réconciliation nationale, les compétences de soldats expérimentés sur l’autel des rancœurs improductives du passé.

 

Dans cette perspective, s’il appartient au tribunal de dire le droit, il appartient au premier magistrat du pays, par ailleurs chef suprême des armées, d’avoir la clairvoyance d’un homme d’Etat avec une vision prospective. A maintes occasions on l’a entendu seriner que le Burkina devrait faire sien le triptyque vérité, justice et réconciliation. Le voilà au pied du mur d’un pan de l’édifice de la réconciliation nationale : cette affaire de putsch manqué dans laquelle certains des 83 accusés sont de véritables fils prodigues. Ils espèrent, à la fin de ce procès, non pas qu’on leur tue le veau gras, mais qu’on leur donne une nouvelle chance de servir la patrie. Avis naïf d’un plumitif mal inspiré ? On attend de voir.

 

La Rédaction   

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