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Décès de Robert Mugabe : Requiem pour un Janus (1) de la politique africaine

« C’est avec la plus grande tristesse que j’annonce le décès du père fondateur du Zimbabwe et de l’ancien président, le commandant Robert Mugabe ».

 

 

C’est par ces mots publiés sur son compte Twitter qu’Emmerson Mnangagwa, le président zimbabwéen, a officialisé la nouvelle de la disparition de son prédécesseur, dans la nuit du jeudi 5 au vendredi 6 septembre 2019. Une demi-surprise, vu l’âge très avancé du disparu, 95 ans, et surtout une santé déclinante, particulièrement depuis novembre 2018, qui avait conduit à son hospitalisation dans une clinique à Singapour. Dans l’attente du retour à Harare de la dépouille de celui qui a dirigé le Zimbabwe pendant 37 ans d’une main de fer, un deuil national est annoncé, qui prendra fin par la célébration des funérailles de l’illustre disparu à une date encore indéterminée.

 

Nul doute que nombre de présidents et chefs de gouvernements africains, notamment les dirigeants des pays de la SADEC, feront le déplacement à Harare pour les derniers hommages à celui que son successeur a déjà placé sur le piédestal de héros national. Une glorification intrinsèquement liée au rôle de premier plan qu’il a joué pendant la guerre contre les colons britanniques, qui a abouti à l’indépendance de l’ancienne Rhodésie du Sud, devenue Zimbabwe, le 18 avril 1980. Vu sous cet angle de patriote militant qui a souffert les affres des geôles du colonisateur pendant 10 ans et survécu aux périls de la guérilla pendant 7 autres afin d’arracher la souveraineté internationale pour son pays, « le camarade Bob », comme l’appelaient les vétérans de cette guerre d’indépendance, est un véritable héros.

 

Commandant des combattants sur le théâtre des opérations, il a gagné des batailles et la guerre de libération nationale. Celui qui voulait, à son adolescence, être prêtre catholique a été mordu par le virus de la politique, séduit par le marxisme dans ses thèses de révolte légitime des opprimés contre les oppresseurs et de « l’impérialisme, stade suprême du capitalisme.» Il s’est  illustré par des critiques acerbes contre le pouvoir de Ian Smith, l’homme de main du colonisateur britannique avant de prendre le maquis avec son grand allié d’alors, Joshua Nkomo de l’Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU).

 

Quand Robert Mugabe accéda au pouvoir en 1980, comme Premier ministre, après que son parti, l’Union nationale africaine du Zimbabwe (ZANU), eut gagné les élections, il se montra grand administrateur et bâtisseur intrépide qui, en 10 ans, fit progresser son pays à pas de géant à travers de grands chantiers d’offres de services publics, notamment en matière d’écoles, de centres de santé et d’eau potable. Le taux d’alphabétisation atteignit 90% de la population, l’espérance de vie fut repoussée à 64 ans, l’une des plus fortes d’Afrique, tandis que la productivité agricole valut au Zimbabwe d’être surnommé « grenier de l’Afrique ». Ainsi donc, malgré la sévère répression d’un mouvement de révolte dans le Matabeleland, au Sud-Ouest du pays, qui fit environ 20 mille morts en 1982, Mugabe passait, jusqu’au milieu des années 1990, pour un dirigeant modèle et un soutien remarquable des luttes d’indépendance en Namibie et anti-apartheid en Afrique du Sud. Voilà pour la face d’Adonis de ce grand homme à la carrière politique ambivalente.

 

Pour ce qui est du côté hideux, on pointe du doigt sa main lourde contre ses opposants politiques, les fraudes électorales en faveur de la ZANU-PF et surtout sa violente réforme agraire. Comment l’ex-chef de la guérilla, qui avait proclamé son pardon aux colons à travers cette déclaration entrée dans l’histoire : « Vous étiez mes ennemis hier, vous êtes maintenant mes amis », a-t-il pu orchestrer l’expropriation de 4 500 fermiers blancs, contraignant la plupart d’entre eux à l’exil ? Pourquoi ses relations avec ses alliés devenus opposants ou ses opposants devenus alliés se sont-elles toujours détériorées dans le sang versé ? La boulimie du pouvoir et la sénilité sont passées par là, mais aussi le non-respect de la parole donnée de la part de l’ancienne métropole, la Grande-Bretagne. En effet, cette dernière s’est montrée réticente à financer certains projets de développement du Zimbabwe, contrairement aux accords de Lancaster House sur la base desquels Mugabe avait proclamé l’indépendance de son pays.

 

En clair, la relation privilégiée que les dirigeants zimbabwéens entendaient construire entre Harare et Londres a fait long feu, les Britanniques refusant notamment d’aider à régler les indemnisations des fermiers blancs et, pis est, soutenant ostensiblement l’opposant Morgan Tsvangirai. De quoi exaspérer Robert Mugabe, qui voyait en sa réforme agraire son dernier combat pour libérer son pays de la domination britannique. Devant le refus de l’aide britannique, les réflexes du guérillero anticolonialiste refirent surface et, en moins d’une décennie, plus de 4000 fermiers blancs furent dépossédés de leurs terres sans ménagement ni dédommagement au profit de centaines de milliers de Noirs zimbabwéens, dont la plupart sont des vétérans de la guerre d’indépendance.

 

Par ailleurs, les opposants, militants du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) furent peu ou prou considérés comme la cinquième colonne du gouvernement britannique. De quoi exacerber les exactions à leur encontre : interdiction de manifester, violences contre leurs militants, arrestations récurrentes, tripatouillage des résultats des élections… tant et si bien que le président Mugabe, qui incarnait la réussite d’une Afrique indépendante, a été de plus en plus assimilé à un dictateur malade du vertige du pouvoir.

 

Si l’homme a prêté le flanc en se faisant un portrait si peu enviable, il faut reconnaître que certains confrères manquaient souvent d’objectivité quand ils parlaient du défunt président. Ils n’y allaient pas du dos de la cuillère dans la caricature, oubliant les circonstances atténuantes qui ont pu pousser Mugabe à passer du progressiste vertueux au despote non éclairé. Il y a eu comme un panurgisme dans le lynchage médiatique d’un patriote africain qui n’a pas su quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne le quitte. Et sur ce registre de présidents africains qui ont bien commencé leur magistrature pour ensuite la laisser dériver dans l’autocratie, le « camarade Bob » n’est malheureusement pas seul : il se range derrière les Sékou Touré, Mengistu Hailé Mariam, Mouammar Kadhafi, Mobutu Sesse Seko… Ils ont tous eu une carrière politique ambivalente où le bien du commencement fut dilué dans les maux d’un règne excessif. Comme le dieu romain Janus, ils avaient deux faces : l’une resplendissante, l’autre hideuse.

 

Mais en proclamant Mugabe « héros national », son successeur voudrait surtout qu’on retienne de lui « l’homme debout qui est aujourd’hui à bout (de course), mais pas un homme de boue ». Qu’il repose en paix !

 

La Rédaction

 

(1)  Janus : dieu romain des commencements et des fins, des choix, du passage et des portes. Il est bifrons, c’est-à-dire a deux têtes et deux faces   

Dernière modification lelundi, 09 septembre 2019 22:12

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