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Lutte contre le terrorisme au Burkina : Le couteau à double tranchant de la résistance populaire

Tragique, éprouvante, révoltante : les qualificatifs ne manquent pas pour décrire la situation burlesque d’insécurité vécue par le Burkina, particulièrement les populations des régions du Sahel, du Nord et du Centre-Nord. Pas un jour ne  passe sans qu’on dénombre des macchabées tombés sous les balles assassines « d’individus armés non identifiés », pour emprunter le vocabulaire officiel. Eléments des Forces de défense et de sécurité (FDS), agents de l’administration publique, travailleurs des mines et carrières, paysans, etc., les victimes de ces meurtriers sans foi ni loi se recensent dans tous les milieux.

 

C’est à croire, hélas, que le septentrion burkinabè leur appartient désormais. Ils y vont et viennent comme un poisson dans l’eau, attaquant les cibles de leur choix, notamment les postes avancés de l’armée, des ponts, des infrastructures minières, bref, ils voudraient créer un no man’s land dans ces régions qu’ils ne s’y prendraient pas autrement. En effet, on se souvient que le 28 septembre dernier, dans la commune rurale de Zimtanga, province du Bam, 16 personnes ont été abattues.

 

Deux jours plus tard, soit le 30 septembre, c’était au tour du village de Kargo, toujours dans la même commune, de recevoir la visite sanglante des terroristes qui y ont fait 6 victimes. Le 2 octobre, l’attaque de deux villages de la commune de Bourzanga a fait également 5 morts. 48 heures plus tard, c’est-à-dire dans la nuit du vendredi au samedi 5 octobre, c’est le site d’orpaillage de Dolmané dans la commune d’Arbinda qui a payé aussi un lourd tribu à la ballade funeste « d’individus armés non identifiés » dans le Sahel burkinabè : 20 personnes y ont été massacrées.

 

Quand s’arrêtera cette litanie d’horreurs avec son corollaire de populations meurtries, traumatisées, apeurées qui affluent qui à Kongoussi qui à Kaya, Ouagadougou et ailleurs dans des régions plus paisibles du pays dans un mouvement de sauve-qui-peut, abandonnant champs, récoltes et bétail ? Ce n’est pas demain que le Burkina retrouvera la paix sur toute l’étendue de son territoire, car en vérité nos Forces de défense et de sécurité sont visiblement dépassées par les événements. Elles ont comme perdu la bataille du Nord, et l’on croise les doigts pour que la pieuvre terroriste n’étende pas ses tentacules au reste du pays. Mais sommes-nous conscients de ce danger ? Mesurons-nous la gravité de la situation d’une partie du Burkina qui brûle, nous qui continuons à nous enivrer de l’insouciance joyeuse, voire festive, des jours tranquilles à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Koudougou, Gaoua… ?

 

Nous n’en donnons pas l’impression, et les pouvoirs publics sont visiblement en manque d’idées ou en panne de légitimité pour provoquer le déclic patriotique d’un engagement national plus visible afin de bouter les terroristes hors de nos frontières.

 

A défaut de cet engagement national populaire et devant les difficultés manifestes des FDS à protéger toutes les frontières du pays, les populations les plus affectées par cette insécurité grandissante ne veulent plus souffrir en victimes résignées. En tout cas celles de la ville de Kongoussi ont annoncé la création d’un « Mouvement populaire de résistance du Bam ». Samedi dernier, lors de la première manifestation publique de ce mouvement au rond-point central de Kongoussi, ses initiateurs ont appelé à la mobilisation de 100 jeunes par village et par secteur des centres urbains en Cmités de défense et de sécurité, CDS. Ces comités, dans leur entendement, devraient venir en appui aux FDS dans leur tâche de sécurisation des frontières, des personnes et des biens. Pour ce faire, l’armée devrait les former et les doter  d’armes.

 

Si nous n’assistons pas là à la naissance de milices d’autodéfense, ça y ressemble grandement. Comme on les comprend ces populations du Bam dans leur volonté de se prémunir contre les attaques récurrentes des terroristes ! La nature a horreur du vide, et face au sentiment d’un Etat dilettante, incapable d’assumer son rôle de protecteur des citoyens, quoi de plus normal que les populations s’organisent pour le suppléer ! Mais les initiateurs du Mouvement populaire de résistance du Bam ont-ils réfléchi à toutes les conséquences de la création de milices d’autodéfense ?

 

Comment ces derniers vont-ils concrètement s’intégrer au dispositif sécuritaire des FDS ? Et faut-il, pour les besoins d’autodéfense de la population, courir le risque de distribuer des armes de guerre dans nos villes et villages comme des petits pains ? Par ailleurs, comment s’assurer de la bonne moralité des milliers de jeunes qui viendraient à être mobilisés dans les CDS ? Les terroristes, qui ne sont pas à une perfidie près, pourraient les infiltrer, se fournir en armes qu’ils n’hésiteraient pas à retourner contre les populations. Comment aussi prémunir les CDS des abus de pouvoir, de tortures, de meurtres, des règlements de comptes, constatés avec les kolgweogo ou avec les Comités de défense de la Révolution au début des années 1980 ? Au demeurant, déjà que les terroristes tirent sur tout ce qui s’apparente à l’Etat et à ses auxiliaires, créer des CDS, n’est-ce pas exposer leurs membres comme cibles privilégiés de ces intégristes ? Prenons donc garde à ce que le remède à l’insécurité n’aggrave le mal.

 

En effet, les milices d’autodéfense pour animer la résistance populaire sont un couteau à double tranchant : elles peuvent faire plus de mal que de bien, et l’exemple du Mali, où elles ont aggravé les affrontements communautaires dans le centre du pays, devrait inspirer le Burkina à explorer d’autres voies. En sus, on doute que ces jeunes volontaires qui seront réunis à la hâte dans les CDS aient la formation de qualité requise pour faire face aux combattants endurcis d’AQMI, de l’Etat islamique, d’Ansar Dine, du Front de libération du Macina, d’Ansarul Islam, qui, c’est connu, sont les groupes terroristes qui se sont ligués dans un G5 des organisations djihadistes pour conquérir le Sahel, dont la partie septentrionale du Burkina.

 

On attend donc de voir ce que feront nos autorités devant les sollicitations des populations du Bam non sans faire remarquer que l’absence d’un représentant de l’Etat au meeting du Mouvement populaire de résistance du Bam ce samedi est un signe qui ne trompe pas : le danger des milices d’autodéfense pousse à la prudence.

 

La Rédaction

Dernière modification lelundi, 07 octobre 2019 22:26

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