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5 ans après l’insurrection : Luc Adolphe Tiao parle

Quand Luc Adophe Tiao (LAT) parle, c’est en soi un événement. Il était le dernier Premier ministre de Blaise Compaoré et donc en poste au moment de l'insurrection populaire d'octobre 2014. L’homme s'était imposé une réserve tant que le procès du dernier gouvernement Compaoré, toujours pendant devant la Haute Cour de justice, ne serait pas vidé. Nous sommes néanmoins parvenu à le faire sortir de son mutisme à la faveur du cinquième anniversaire de l'insurrection.

Des journées tumultueuses des 30 et 31 octobre 2014 en passant par son exil ivoirien, LAT n’a éludé aucune question lors de cette grande interview exclusive qu’il nous a accordée le 25 octobre dernier à Ouagadougou.

Voici le contenu de ce long entretien.

 

 

 

Comment vous allez, physiquement et dans la tête ?

 

Je vais très bien. Dans ma tête je me sens très bien. Physiquement, de temps à autre, on a toujours des bobos dus à l’âge. Mais dans l’ensemble, ça va.

 

Bientôt cela va faire cinq ans que l’insurrection populaire a eu lieu. Comment est-ce que vous avez vécu ces journées tumultueuses d’octobres 2014 ?

 

Avant toute chose, permettez-moi d’avoir une pensée pour toutes les victimes de l’insurrection. Je m’incline devant la mémoire des défunts et souhaite une meilleure santé aux blessés. Cela dit, il y a eu l’effet de surprise parce que nous n’avions pas imaginé que les choses prendraient cette allure.

 

C’était vraiment surprenant ?

 

Oui. Parce que j’étais dans mon bureau le 30 octobre. J’y suis allé très tôt, vers 7 heures du matin. Je me suis mis naturellement à traiter mes dossiers.

 

Comme en une journée normale quoi ?

 

Comme en une journée normale. C’est vrai que les agents n’étaient pas venus, mais je traitais mes dossiers tranquillement. Jusqu’à 8h 30, je n’avais pas de nouvelles. J’ai donc appelé le ministre de l’Administration territoriale, Jérôme Bougouma, pour lui demander comment les choses se passaient en ville. Il m’a dit : « Excellence, ça ne va pas bien parce que les manifestants ont réussi à passer les cordons de sécurité et se dirigent vers l’Assemblée nationale ». Malgré tout, j’étais toujours serein. Quelques minutes après, ma sécurité est venue m’informer que les manifestants étaient déjà à l’Assemblée nationale et qu’ils ont commencé à mettre le feu.

 

On imagine qu’elle vous a aussitôt suggéré de partir.

 

Sur-le-champ, elle m’en a presque intimé l’ordre, mais j’ai dit qu’il fallait toujours attendre de voir ; peut-être que les choses allaient se calmer.

 

Il était quelle heure ?

 

C’était aux environs de 9h 30. Finalement, c’est à cette heure que ma sécurité m’a contraint de partir. Lorsque je suis sorti de mon bureau, j’ai constaté effectivement qu’il y avait du monde partout. Les agents de sécurité qui étaient postés au premier ministère et dans les environs ont commencé à plier bagages. C’est ainsi que, pour des raisons de sécurité, j’ai été conduit à la gendarmerie comme bien d’autres personnalités du pouvoir à l’époque.

 

Vous dites que ça vous a surpris alors que, toute la semaine, ça avait commencé à péter petit à petit. On est même tenté de dire que tout le monde voyait venir sauf, bizarrement, le président et son entourage.

 

Vous savez bien qu’il y a eu beaucoup de manifestations avant, et tout s’était toujours très bien passé. Pour moi, il n’y avait pas de raison qu’il y ait ce déchaînement de violences.

 

Sauf que là c’était le jour-j puisque le projet de loi modifiant la Constitution devait passer à l’hémicycle.

 

Oui, mais pour nous le jour j était une manifestation comme les autres. Ç’a été sans doute une erreur d’appréciation, une erreur politique. Nous n’avions pas pris toute la mesure de la situation assez rapidement. C’est vrai que, par rapport aux autres jours, il y avait tout de même un peu d’inquiétude. Cela étant, les choses devaient arriver, et c’est arrivé.

 

Vous êtes un peu fataliste ?

 

Non, mais il faut savoir lire les événements dans la vie. On ne peut pas toujours tout prévoir. Il faut prendre les choses telles qu’elles se passent et après vous mesurez leur gravité.

 

Officiellement on connaît le casus belli qui était la révision de l’article 37 de la Constitution. Personnellement vous étiez convaincu du bien-fondé de ce « tripatouillage », car même si sa légalité ne se discutait pas, c’était surtout une question d’opportunité, voire d’éthique politique.

 

Avec le recul que nous avons aujourd’hui, peut-être que j’aurais eu une approche différente. Mais à l’époque nous ne pensions pas vraiment que nous n’étions pas en phase avec les aspirations de la majorité des Burkinabè. Rien ne nous interdisait effectivement de réviser l’article 37. C’était un droit dont nous avons voulu user. Quand vous êtes en politique, vous défendez vos positions, mais ce n’est pas toujours que vous pouvez prendre toute la mesure des choses. La preuve est qu’aujourd’hui encore la même chose se produit dans d’autres pays. Donc, nous n’avons pas été très visionnaires pour savoir qu’effectivement cette révision de l’article 37 pouvait entraîner très facilement le renversement du régime.

 

Entre nous, est-ce que les membres du gouvernent dont vous étiez le chef avaient vraiment voix à ce chapitre ? Autrement dit, est-ce que ce n’était pas le président qui voulait son affaire et qui vous l’a imposée ? En Conseil des ministres, vous avez vraiment discuté de l’opportunité d’y aller ?

 

Vous savez, les questions très politiques, on n’en débattait pas toujours en Conseil des ministres. Ça, il faut le savoir. D’ailleurs, le président nous disait parfois, quand nous manifestions nos inquiétudes sur tel ou tel sujet, que le rôle du gouvernement consistait à exécuter son programme, à mettre en œuvre sa politique.

 

Il y avait quand même eu un projet de loi adopté en Conseil des ministres avant que ça ne soit transmis. Personne n’a ‘’moufté’’ ?

 

A l’époque, nous étions tout à fait convaincus de notre droit de demander la révision de l’article 37. On ne peut pas nous enlever ça. Mais ce n’est pas nous, gouvernement, qui l’avions initié. Il y a des projets de loi qui viennent évidemment du politique. Je veux dire qu’il y avait un parti au pouvoir qui, bien sûr, donnait les orientations politiques, et le gouvernement les mettait en musique. C’était ça.

 

Le Premier ministre que vous étiez est un homme politique par essence

 

Oui. Mais il n’était pas le premier homme politique du parti au pouvoir. Malgré cela, j’ai toujours assumé ma responsabilité dans ce soutien à la révision de l’article 37. Je ne me débine pas là-dessus. Maintenant on peut, après coup, se rendre compte qu’on aurait dû faire autrement. Mais à l’époque nous étions convaincus que nous étions dans notre bon droit.

 

Si ce n’est pas un secret, comment vous avez finalement quitté la ville pour vous retrouver à Abidjan notamment ?

 

Je suis d’abord allé à la gendarmerie vers 9h – 9h 30. J’y suis resté jusqu’à 16 heures. Après je suis revenu à ma résidence où j’ai passé la nuit du 30 au 31 octobre. Le 31, j’y suis resté. A un moment donné, je crois qu’il y avait encore beaucoup de mouvements dans la ville. Ma sécurité m’a donc demandé de repartir à la gendarmerie. C’est ce que j’ai fait. Mais ma famille est restée à la résidence. Dans la soirée, je suis revenu. Je peux vraiment dire que j’ai peut-être eu de la chance parce que,  à aucun moment, je n’ai été inquiété. Ma résidence n’a pas été menacée. Le premier ministère non plus.

Donc je suis resté, et dans la soirée le général Gilbert Diendéré m’a appelé pour savoir si je voulais quitter le territoire.

 

C’était dans la soirée du 31 octobre ?

 

Oui. Le président du Faso était déjà parti. Je crois que le président Alassane Dramane Ouattara avait envoyé un avion pour prendre un certain nombre de personnes. J’ai remercié le général pour l’offre bienveillante, mais je lui ai dit que je voulais aller à Pouni, chez moi. Il m’a demandé « quand ?» « Cette nuit même si je peux aller à Pouni, je démarre », lui ai-je répondu. C’est ainsi qu’il a pris les dispositions et j’y suis parti, avec ma sécurité simplement. Je suis arrivé au village aux environs de 2 heures du matin.

Contrairement à ce que les gens pensent, je suis resté à Pouni jusqu’en fin mai 2015. Mais il est arrivé entre-temps que je dusse aller en France pour soutenir ma thèse de doctorat. La soutenance était prévue pour le 6 février 2015. Avant de partir, j’en ai officiellement informé le ministre de la Sécurité de l’époque, Denise Auguste Barry. Il a été très courtois à mon endroit. Il m’a dit « Excellence, il n’y a pas de problème. Nous vous souhaitons bonne chance ». Je suis passé par le salon ministériel de l’aéroport. Je n’ai pas eu de problèmes. Arrivé en France, j’ai pu soutenir ma thèse. J’y suis resté parce que, malheureusement, j’ai eu un AVC à une semaine de ma soutenance.

Franchement, je pense que ça été un miracle parce que, trois jours après, j’ai retrouvé toutes mes facultés, toutes mes aptitudes. J’ai pu donc soutenir ma thèse le 6 février comme prévu. Pour des raisons médicales, je suis resté en France jusqu’au mois de mars. Je suis revenu au pays vers mi-mars et  y suis resté presque en fin mai.

 

Pourquoi vous êtes reparti alors si vous n’aviez rien à craindre ici ?

 

Je suis reparti pour deux raisons : la principale, c’est que je devais retourner en juin voir les médecins suite à mon AVC. C’était donc pour le rendez-vous médical. Et j’avais l’intention de passer par la Côte d’Ivoire pour quand même rendre visite au président Compaoré avant de continuer en France.

 

Vous ne vous étiez plus revus depuis la débandade ?

 

Non. L’autre raison, c’est qu’entre-temps il y a certaines personnes qui venaient me dire de faire attention parce que le pays devenait chaud. Je pense que nous étions à quelque moment de la commémoration ou de l’enterrement des victimes de l’Insurrection. Donc, beaucoup de gens m’incitaient à partir. Ce n’était pas ça l’élément principal, mais c’était pour ma sécurité que je suis parti. Effectivement je suis parti pour la Côte d’Ivoire, j’ai continué en France et y suis revenu avec l’intention de rentrer immédiatement au Burkina Faso. Mais cela a coïncidé avec le coup d’Etat manqué du 16 septembre. Du coup, beaucoup de personnes m’ont dit d’attendre. Même les autorités ivoiriennes m’ont dit que « ce n’était pas le moment de rentrer. Mieux vaut attendre que les choses se calment ». Voilà comment je suis resté à Abidjan.

 

Vous vous installez donc à Abidjan, comment se passent les premiers moments ?

 

Les premiers moments ne sont pas faciles. Il faut rapidement trouver un logement, ensuite il faut essayer de s’organiser pour  vivre. Chez moi, ça s’est fait assez facilement puisque je m’adapte très vite. J’ai pu vivre en Côte d’Ivoire pendant une année et demie. Chaque fois, j’insistais pour rentrer au pays. Mais ce qui a motivé le plus ma décision, c’est que la justice a interpellé le gouvernement. J’étais à Abidjan et je l’ai lu dans la presse ainsi que sur les réseaux sociaux. Je n’ai pas été convoqué à titre personnel.

Mais je ne pouvais pas me désolidariser de mon gouvernement qui devait passer devant les tribunaux.

 

Le sens des responsabilités ?

 

Si vous voulez. Je ne pouvais pas rester là-bas pendant que mes ministres ont été interpellés. J’ai pris cette décision, mais ce n’était pas facile. Beaucoup de personnes ont essayé de m’en dissuader. Mais j’en ai finalement pris la décision et je suis rentré au pays.

 

Finalement n’était-ce pas une bonne décision parce que l’exil, ce n’est jamais facile ? Est-ce que vous ne vous sentez pas plus à l’aise dans cette situation, même avec l’épée de la justice qui vous pend sur la tête, que de vivre en exil ?

 

Je n’avais jamais eu l’intention de rester en exil. Effectivement, le pays me manquait beaucoup, mes parents me manquaient beaucoup, etc.  Mais lorsque j’ai pris la décision de partir, j’étais conscient que je pouvais avoir des problèmes. Mais je me suis dit « mieux vaut être chez soi même en prison ». C’est ce que je répondais invariablement aux personnes qui me disaient que si je rentrais, on m’enverrait en prison, que je risquais même d’être tué. Je leur disais que je vais y aller, quel que soit ce qui allait m’arriver. Et je suis rentré.

 

Par la route. Pourquoi ?

 

Je suis revenu par la route parce que c’était un peu plus facile pour moi d’arriver tranquillement au Burkina Faso. Lorsque je suis arrivé à la frontière, les autorités ivoiriennes ont envoyé une escorte.

 

Il y a quand même eu des tractations préalables entre les autorités ivoiriennes et burkinabè. Vous n’avez quand même pas pris la route comme un voyageur lambda ?

 

Il n’y a eu aucune tractation entre les autorités respectives. C’était ma décision à moi. J’avais déjà demandé, deux ou trois fois, aux autorités ivoiriennes la possibilité de rentrer. Ce sont elles qui me demandaient de patienter le temps que les choses se calment. Je suis parti, mais arrivé à la frontière, j’ai traîné un peu. Je ne comprenais pas pourquoi.

 

Vous y avez passé combien de temps ?

 

Au moins deux heures. Mais les gendarmes qui étaient là-bas m’ont très bien reçu. Le commandant de la brigade m’a dit : « si vous permettez, on va toucher les autorités et on vous revient. » Finalement ils sont venus me dire : « Nous avons l’instruction selon laquelle vous pouvez aller partout où vous voulez au Burkina ».

 

Sans doute, le commandant de brigade n’était pas au courant de votre arrivée.

 

C’est possible et je le comprends. Recevoir un homme politique dans ces circonstances, ça pouvait lui créer des problèmes. Il a pris ses précautions professionnelles. Moi non plus, je n’en ai pas fait un problème, même si j’ai trouvé que l’attente était vraiment longue. Finalement je suis rentré directement dans mon village.

 

Pour en revenir à l’insurrection populaire, personnellement on vous a reproché d’avoir signé la fameuse réquisition de l’armée. Les gens se sont d’abord demandé si le document qui a circulé était authentique. On vous a aujourd’hui en face, il était authentique ou pas ce document ?

 

Vous me permettrez vraiment sur cette question de ne pas m’étaler, de ne pas parler parce que ça fait l’objet de ce procès devant la Haute Cour de justice, et je pense qu’il n’est pas indiqué de donner la primeur de certaines informations si ce n’est au juge. J’aurai l’occasion d’y revenir. Ce qui est sûr et certain, quand on est un chef de gouvernement, il y a des textes que vous appliquez ; bien sûr que ça peut prêter à beaucoup de commentaires, beaucoup de confusions. Ce petit passage a été une épreuve extrêmement douloureuse pour moi, mais quand nous serons devant la justice on pourra mieux nous comprendre.

 

Quand vous parlez de ‘’textes’’, ça veut dire que la loi vous donnait en tout cas la possibilité de prendre une telle réquisition…

 

Absolument. Contrairement à ce que les gens ont pu penser, ce n’est pas quelque chose qui a été inventée par Luc Adolphe Tiao. C’est un décret avec ses annexes. Je n’ai pas changé une seule virgule dans ce texte. Mais on aura l’occasion d’y revenir assez longuement.

 

Justement, vous pensez que le procès aura lieu quand ?

 

Mon souhait est que le procès se tienne le plus rapidement possible. Cela fait cinq ans que ça dure, cinq ans que nous attendons. Dans cette attente, je suis très reconnaissant aux Burkinabè parce que depuis que je suis rentré au pays je n’ai pas à titre personnel rencontré d’hostilités de leur part. Je sors, je me promène, je vais partout, souvent les gens m’encouragent, me félicitent. Ce qui me fait dire que les Burkinabè en tant que tels ne sont pas rancuniers. Je ne souffre pas d’ostracisme. Mais je souffre quelque part, car tant que je n’aurai pas l’occasion de m’exprimer devant le tribunal, de me faire juger, je sens qu’il y a quelque chose qui me pèse sur le dos. Et plus vite ce procès aura lieu, plus vite nous serons soulagés, contrairement à ce qu’on pense. Nous regrettons que ce procès traîne jusque-là. Personnellement, je souhaite qu’il ait lieu le plus vite possible, que nous puissions nous exprimer devant la justice et que les Burkinabè puissent se faire une idée de ce qui s’est passé.

 

Vous parlez de liberté, vous êtes libre d’aller et de venir, de quitter le pays actuellement ?

 

Oui, mais avec beaucoup de restrictions. J’ai toujours été un journaliste-communicateur, mais il est parfois difficile de travailler parce qu’il y a des gens qui ont toujours peur. Quand j’approche des gens pour faire des consultations, ils veulent bien, mais ils disent qu’ils ne savent pas comment le pouvoir va réagir. Il va dire qu’on vous a donné un marché. Ça freine un peu nos initiatives. En plus, l’aspect le plus important est que je ne peux pas sortir du territoire comme je veux. Il faut que j’en fasse la demande à la Haute Cour de justice qui, malheureusement, ne donne pas toujours de réponse favorable.

 

Avez-vous déjà essuyé un refus ?

 

Bien sûr. J’ai déjà essuyé par trois fois des refus de sortir.  Mais Dieu merci, l’année dernière j’ai eu cette chance qu’on m’ait autorisé à aller assister à la conférence du Réseau interafricain des autorités de régulation de la communication au Cameroun et à continuer à Paris pour assister au mariage de ma fille. C’était des moments importants. Après je suis revenu sans aucun problème.

 

En temps normal, à quoi vous vous occupez ?

 

Je me suis beaucoup attaché à la terre. Je passe de très bons moments à Pouni où je fais de l’agriculture et un peu d’élevage. Bien sûr, de temps à autre, j’ai de petites consultations. J’essaie aussi de mettre sur papier mon expérience, mon parcours professionnel et aussi l’expérience politique que j’ai eue jusque-là.

 

Vos mémoires en perspectives ?

 

On verra bien…

 

Cinq ans après l’insurrection, comment jugez-vous la trajectoire prise par le Burkina Faso, en toute sincérité et objectivité ?

 

Quand on a connu la stabilité pendant 27 ans et qu’on voit ce qu’on vit aujourd’hui, on ne peut pas vraiment dire qu’on en est satisfait. Ce que je constate, c’est que nous vivons d’abord cette situation d’insécurité qui est devenue très préoccupante. Le terrorisme, qui déstabilise notre pays et qui porte gravement atteinte à la cohésion sociale, a aujourd’hui un impact négatif sur l’image de notre pays à l’étranger. Deuxièmement, je comprends les autorités face à la complexité du problème, mais je me pose souvent la question de savoir s’il y a vraiment une vision, une stratégie. Le terrorisme reste quelque chose de très difficile à contrer, mais quand vous voyez ce qui nous arrive tous les jours, on ne peut que se poser des questions. Encore qu’en la matière je n’aie pas de leçons à donner, car quand vous n’avez pas été confronté à une telle situation, vous ne pouvez pas être un donneur de leçons. Mais on peut se poser des questions et ce sont ces questions que je me pose souvent quand je vois ce qui nous arrive.

Aussi, je regrette que dans notre pays, nous soyons malheureusement si divisés aujourd’hui. Ce n’est pas moi qui le dis, quand je sors je le constate. Il y a quand même une certaine fracture qui est là. Et je ne vois pas de volonté très forte pour essayer de colmater cette cassure. C’est vrai qu’il y a toute la question de la justice qui est là, j’en ai souvent débattu avec les gens du pouvoir et j’ai ma vision, sur cette question. Certes il faut la justice mais il ne faut pas s’attendre à ce que la justice résolve tout. Il faut, avec la justice, travailler à ce que les Burkinabè puissent se parler, puissent vivre ensemble dans la réconciliation. Je ne dis pas de sauter les étapes mais à un moment donné, on s’est beaucoup cristallisé sur la question de la justice en oubliant qu’il y a tout un travail préalable qu’on doit faire pour que les Burkinabè ne se regardent plus en chiens de faïence.

Pour revenir à la question du terrorisme, je crois que le président du Faso lui-même a appelé à l’union des Burkinabè. C’est très important, mais je crois qu’il y a certaines personnes au niveau du pouvoir qui n’ont pas compris cela. Elles ont fait certaines déclarations maladroites qui ne sont pas de nature à aller dans le sens de l’union.

 

Vous pensez à qui ?

 

Je préfère ne pas le dire. Chacun doit mesurer les propos qu’il tient dans les médias. Je souhaite vraiment que cette volonté d’union sacrée soit beaucoup plus forte et qu’aussi au niveau de l’opposition, dans cette période, on se dise qu’avec le gouvernement nous avons un terrain commun et qu’il faut travailler ensemble à faire reculer le terrorisme.

 

A ce sujet le pouvoir a toujours vu la main de l’ancien régime derrière le fléau terroriste qui nous endeuille tous les jours. Le président du Faso, à plusieurs reprises, l’a dit. Qu’est-ce que vous en pensez ?

 

Que c’est une mauvaise appréciation. Je ne sais pas quelles sont leurs sources d’information, mais je crois qu’eux-mêmes se sont rendu compte que ce n’était pas le cas. J’ai toujours été très touché par ces actes terroristes. En aucun cas, je ne vois comment je peux cautionner cela.

 

Vous à titre personnelle vous ne pourrez pas cautionner le terrorisme, mais parmi ceux qui ont perdu le pouvoir, il n’y en a pas qui ont la rancune tellement tenace qu’ils peuvent s’amuser à mettre le feu à leur propre pays ?

 

Vous savez, quand vous faites de telles accusations, il faut en apporter les preuves. Si on apporte les preuves que les membres de l’ancien régime sont en complicité avec les terroristes, je serai le premier à m’en démarquer et à les condamner. Je ne crois pas que ce soit la meilleure façon de chercher à revenir au pouvoir ou la meilleure façon d’aider le Burkina Faso à avancer.

 

Mais certains trouvent quand même que la coïncidence entre le début des attentats et la chute du régime est assez troublante.

 

Les attaques auraient pu tout aussi bien commencer quand nous étions au pouvoir. Nous ne sommes pas dans le calendrier des djihadistes. Peut-être qu’ils avaient prévu de commencer avec le Burkina Faso à partir de 2015, 2016. On n’en sait rien. Dans tous les cas, il fallait s’y attendre. Même avec le président Compaoré, j’ai manifesté des fois mon inquiétude de voir ce qui se passait au Mali, au Niger, au Nigeria, etc. Nous en avons été toujours très inquiets. Je ne suis pas très proche des services de renseignements, mais ce que je peux vous dire, c’est qu’en 2013 déjà, nous avions de petits groupuscules qui prêchaient dans certaines mosquées au Sud-Ouest. Le président m’a alors instruit de voir avec le ministre Jérôme Bougouma et avec l’armée pour suivre de plus près ces agitations parce que lui-même, ça l’inquiétait. En réalité, je peux dire que déjà en 2014, il y avait des visées terroristes sur le Burkina Faso.

 

Vous avez récemment publié un post pour saluer la mémoire d’un de vos anciens gardes du corps. Cela vous a vraiment touché, ça venait du cœur ?

 

Oui tout à fait. Parce que Gérard Zéra (paix à son âme) avait été affecté à mes services depuis que j’étais président du Conseil supérieur de la communication. Et nous sommes restés ensemble sept ans. Et puis après je suis allé en France comme ambassadeur pendant trois ans. Pendant ce temps, il est resté au service de Béatrice Damiba au CSC. Et lorsque je suis rentré, naturellement j’ai demandé qu’il revienne parce que je le connaissais très bien. C’était quelqu’un qui s’investissait beaucoup, qui était vraiment très courageux. Pour vous dire la vérité, j’ai toujours été inquiet lorsqu’il est revenu du Darfour et qu’on l’a directement affecté dans les zones sensibles. J’ai une fois échangé avec lui parce que c’est un garçon très calme, mais téméraire. Ce n’est pas quelqu’un qui reculait devant le danger. Et je savais que le jour où ça allait chauffer, il se porterait volontaire pour aller là où c’est le plus chaud possible. C’était un garçon très bien qui avait un très bon engagement. D’ailleurs tous ceux qui l’on connu ont la même appréciation de lui que moi. Ça m’a beaucoup touché et en même temps ça m’a permis de mesurer la douleur des familles de tant de soldats ou des personnes qui ont été durement frappées par le terrorisme. Je peux dire que j’ai mesuré la souffrance personnelle des proches à cette occasion. Je venais juste de voir son corps, et devant ce corps inanimé, j’ai pratiquement fondu en larmes.

Immédiatement j’ai posté cela sans même réfléchir. C’était vraiment très triste.

 

Certains réclament à cor et à cri le retour du président Blaise Compaoré. Est-ce que politiquement, c’est opportun actuellement à une année de la présidentielle ?

 

Le président Compaoré, quand j’étais à Abidjan, nous nous voyions régulièrement. Il n’a jamais  caché vraiment sa volonté de revenir au Burkina Faso, de rentrer chez lui. Il y a laissé sa famille, ses amis, et ça, je sais que c’est quelque chose qui lui manque beaucoup. Le mal du pays, il est réel. Mais je pense aussi qu’il suit la situation du pays, il sait qu’il y a encore des esprits qui sont  très chauds, qui ne sont pas encore apaisés. Et tel que je le connais, il n’aime pas faire quelque chose qui ne plaise pas aux gens. Si réellement les conditions sont réunies aujourd’hui pour qu’il rentre, il viendra volontiers.

 

Selon vous, elles sont réunies ces conditions ?

 

Non, elles ne sont pas encore réunies. Vous voyez un peu la situation, le climat politique. Donc je pense qu’il faut travailler à ce que cette volonté soit exprimée. Au niveau de la base je pense qu’il n’y a pas de problème. Mais il faut qu’au niveau des tenants du pouvoir cette volonté existe. Il y a d’anciens chefs d’Etat qui sont retournés dans leur pays. On cite bien volontiers le cas d’ATT au Mali. Donc je pense  qu’il faut que du côté du pouvoir il y ait cette volonté de lui permettre de rentrer. C’est vrai qu’il y a son dossier judiciaire qui est là, mais je pense que le président Compaoré ne pense pas qu’il est au-dessus des lois.

 

Comparaison n’est certes pas raison, mais vous, vous êtes rentré malgré le glaive de la justice qui pend sur votre tête. Donc il peut bien rentrer et affronter son destin judiciaire.

 

Luc Adolphe Tiao n’est pas Blaise Compaoré. C’est vrai, au regard de ce qu’il a été et de ce qu’il incarne, c’était plus facile pour moi de rentrer que pour lui de le faire. Mais ce que je voudrais, c’est qu’il y ait vraiment des conditions pour qu’on puisse garantir réellement sa sécurité et qu’on puisse lui garantir un procès équitable. Je pense que ce sont des éléments qu’il faut. Mais je pense aussi qu’il faut laisser le temps faire son œuvre. Je suis un croyant, et le président rentrera le jour où Dieu voudra qu’il soit parmi ses compatriotes.

 

Parlons maintenant de la crise au sein du CDP. Le président Compaoré a entrepris une médiation. Pensez-vous que cette médiation a réglé le problème de la coexistence pacifique entre les différents camps qui s’étripent ?

 

Moi, je n’ai pas l’habitude de cacher mes sentiments. Cette crise-là, nous la vivons depuis un bon moment, et beaucoup de choses très méchantes ont été dites. J’aurais souhaité, à titre personnel, que le président Compaoré intervînt avant la prise des sanctions qui ont frappé certains militants parce qu’on voyait venir cela. Cela étant dit, je crois qu’il a pu mesurer la gravité de la situation, et il a donc souhaité donner des instructions pour que la direction politique revienne sur ces sanctions mais aussi que, de l’autre côté, les sanctionnés fassent amende honorable. Même s’il ne le dit pas ouvertement, quand on lit entre les lignes, quand il dit de travailler à l’union, cela s’entend qu’il faut qu’ils laissent tomber leurs bagarres et qu’ils rentrent dans la discipline.

 

Vous pensez qu’ils sont sur cette voie ?

  

Sincèrement j’en doute pour certains. Il y en a qui ne se sont pas encore exprimés et donc on ne peut pas les juger. Mais concernant ceux qui ont parlé, j’en doute fort. Moi-même étant acteur de cette situation, je me dis qu’il ne faut pas beaucoup tenir compte de ces bavardages dans les médias, car ce n’est pas le plus important.

Ceux qui ont la direction du parti doivent aller dans le sens que leur indique le président Compaoré qui est le fondateur et le président d’honneur du parti. Il n’a pas désavoué la direction du parti, contrairement à ce que disent les gens. Quelque part dans sa lettre au président Eddie Komboïgo, il a bien salué le dynamisme dont il fait preuve à la tête du CDP. Donc il a reconnu quand même qu’il y a un travail qui se fait. C’est en quelque sorte une confiance qu’il lui renouvelle. Cela étant dit, on verra, on attend que le congrès se tienne.

 

Vous en tout cas vous votez Eddie Komboïgo. On vous voit à côté de lui lors de certaines manifestations. Qu’est-ce qui vous guide dans ce choix-là, dans cette querelle des tranchées où chacun a choisi son camp ?

 

J’aurais voulu ne pas en donner toutes les raisons, mais j’ai affaire à L’Observateur, et je pense qu’il faut que je dise certaines choses.

 

C’est gentil de votre part

 

Oui, il faut dire certaines choses. Moi je suis un homme de principe. Quand je m’engage, si je ne pense pas que je suis en tort, je ne recule pas. Et je suis loyal quand je m’engage pour quelqu’un.

Eddie Komboïgo, je ne le connaissais pas vraiment en tant que tel. Je le connaissais comme expert-comptable, mais c’est tout.

Je dois dire que moi-même j’ai mis un peu de temps avant de reprendre les activités politiques puisque j’ai voulu observer un peu les choses. Soit dit en passant, je n’ai pas manqué de dire à la direction du parti à l’époque que je lui en voulais un peu.

 

Ah bon ! Et pourquoi ?

 

Vous savez, j’ai passé près de trois mois à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), et le CDP n’est jamais venu me voir. Par contre j’ai reçu des visites des représentants de l’UPC (Union pour le progrès et le changement). Me Halidou Ouédraogo, malgré sa santé, il est venu me voir, le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) est venu me saluer. Mais le CDP ne m’a rendu aucune visite. C’est dire que j’avais des raisons d’en vouloir au CDP d’une manière ou d’une autre. Mais en réalité, j’ai compris que chacun se cherchait d’une certaine manière à l’époque. Donc celui qui n’est pas venu me voir en prison, vraiment je ne lui en veux pas. J’ai mis donc du temps avant de reprendre les activités…

 

Revenons aux bisbilles entre CDPistes

 

…Avant d’aller en exil, j’ai participé à deux activités du CDP au stade avec Léonce Koné et j’ai même loué à l’époque ses initiatives, lorsqu’il a pris sur lui l’engagement de maintenir la flamme parce que vraiment la peur était là et les gens n’osaient pas y aller.

Quand je suis allé à une des réunions, quelqu’un m’a dit : « Toi, tu cherches toujours des problèmes, tu n’as pas fini avec ça et on te voit à une réunion du CDP ». C’est normal que les gens soient dans cet état. Et quand Eddie Komboïgo a voulu venir reprendre sa place, il y a eu des débats. Personnellement il est venu me voir, il m’a expliqué un peu ce qui s’est passé.

Ensuite on a eu un bureau politique lors duquel il s’est longuement expliqué. Après ce bureau politique, ceux-là qui lui disputaient le leadership ont accepté de se retirer : il s’agissait de Léonce Koné et d’Achille Tapsoba.

Achille a accepté qu’Eddie reprenne sa place. Léonce l’a accepté mais difficilement. Je me souviens très bien que, lors d’un bureau politique national, Juliette Bonkoungou a dit : « Embrassez-vous pour montrer que vous êtes d’accord ». Donc ils se sont étreints, vous avez vu l’image où on a Eddie entre Léonce et Achille. Ils légitimaient ainsi son retour, donc il n’était plus question de revenir là-dessus pour dire qu’il a fui le pays. Pour moi, quand on a pris une décision, c’est terminé, on doit aller de l’avant et ne plus revenir dessus. 

Quand les gens ont commencé à prendre leurs positions, je ne pouvais donc pas les suivre parce que je ne voyais pas ce qu’on reprochait à Eddie. Et lorsque le 7e congrès est arrivé, certains ne voulaient toujours pas d’Eddie. Mais pour moi, durant les trois mois qu’il a fait après son retour à la tête du parti, je ne voyais pas ce qu’il a fait de mauvais, donc je l’ai soutenu.

Mon ami Boureima Badini était candidat, il y avait en tout 17 candidats. Le président Compaoré a essayé une médiation, notamment entre Eddie et Badini.

 

Une médiation qui n’a finalement pas marché

 

Tout à fait, elle n’a pas marché. Badini ne devait pas se présenter. Pour moi, c’est l’erreur que mon ami Badini a commise. Mais néanmoins, lorsqu’Eddie est passé, Badini l’a assuré de son soutien. Le président Compaoré avait souhaité que Badini soit le vice-président, et je pense que ce poste lui a été proposé mais il n’en a pas voulu. Il a cependant dit : « Mes gars vont travailler avec vous ». Les choses se sont passées ainsi. Mais je crois que ça n’a pas été suffisant…

 

Est-ce que la candidature de Kadré Désiré Ouédraogo n’a pas compliqué davantage les choses ? Il y en a qui estiment qu’en matière de carrure, il n’y a pas match entre Kadré et Eddie.

 

Moi, personne ne me mystifie dans la vie. Il n’y a pas quelqu’un qui est né avec une auréole autour de la tête et qui peut être d’office président du Faso. Ça n’existe pas. Vous-même qui êtes assis-là, qui vous dit que vous ne pouvez pas diriger le Burkina Faso ?

 

Nous en tout cas on ne peut pas…

 

(Rires) Vous êtes encore jeunes. Mais moi les mythes, je m’en méfie beaucoup. Comme tout homme, Eddie, il a bien sûr ses qualités et ses défauts, tout comme Kadré. Dire que le premier cité ne fait pas le poids, ça ne veut rien dire.

Pourquoi moi je soutiens la candidature d’Eddie Komboïgo au cas où cela se ferait ? Parce que c’est ma liberté de dire pour qui je veux voter. Je l’ai toujours dit, il faut que nous l’acceptions, notre génération dirige ce pays depuis 1983. Nous avons tout eu, y compris ceux qui sont au pouvoir, nous sommes de la même génération, Kadré aussi est de notre génération. Il faut qu’on accepte de marquer une rupture. Cette rupture voudrait qu’il y ait aux moins de nouveaux visages et surtout des jeunes qu’on accepte de projeter. 

 Je ne dis pas de prendre n’importe quel jeune. Mais celui qui exprime l’ambition d’être président du Faso et qui s’engage, pourquoi on ne lui ferait pas confiance ?

Donc choisir Eddie, c’est accepter la rupture. Cela doit se faire avec l’accompagnement des anciens, qu’il ne faut pas mettre au garage. On ne sait jamais…

 

La preuve est que vous êtes toujours là…

 

Et la preuve est que nous avons un pays voisin où les gens à 85 ans veulent toujours être présidents ! Vous voyez que l’âge ne veut rien dire, mais il faut faire violence sur soi-même pour permettre qu’il y ait un passage de témoin. C’est la raison principale, sinon Kadré a un très bon profil, et il a une très vaste expérience. Cependant on ne peut pas dire que Kadré serait un meilleur président qu’Eddie s’il arrivait au pouvoir.

L’autre aspect des choses que j’ai dit d’ailleurs à Kadré, qui est un grand frère dont j’ai été le conseiller en communication durant trois ans, est que son erreur a été de ne pas réintégrer le CDP, y évoluer et se présenter contre toute autre personne qui aurait voulu. On comprendrait cela. Mais pourquoi il n’a pas voulu réintégrer le CDP ? Jusqu’à présent, je n’en sais rien.

J’ai essayé de discuter avec Eddie pour savoir s’ils avaient un contentieux personnel et il m’a assuré qu’il n’y avait rien. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui nous sommes dans une situation embarrassante.

On peut aussi se poser la question de savoir si on a encouragé Kadré à se présenter, ce qui est normal. Cela étant dit, moi je soutiens Eddie, mais je souhaite surtout que les deux camps se parlent sérieusement. D’une manière ou d’une autre, nous avons intérêt à nous entendre si nous voulons proposer une alternative crédible en 2020.

 

Vous avez dit «si on a encouragé Kadré à se présenter». Qui en sont les instigateurs ?

 

Dans le CDP, ce ne sont pas les moindres qui ont tout de suite soutenu sa candidature. Je me dis que, peut-être n’ayant pu imposer sa candidature au niveau du parti, ils ont pensé que Kadré était une bonne solution.

Encore que Boureima Badini que je connais, même étant à Abidjan, avait toujours pensé à Kadré pour être candidat. Il me l’a personnellement dit, et cela ne date pas de maintenant. Qu’à cela ne tienne, il y a un parti qui a ses règles, et je crois qu’il faut s’y plier.

 

Vous pensez que le président Compaoré a une préférence entre les deux ?

 

Non, vous savez, le président Compaoré n’est pas quelqu’un qui exprime facilement comme ça ses opinions sur quelqu’un.

Moi qui ai été son Premier ministre je ne l’ai jamais entendu dire : « Ah Tiao, il faut féliciter tel ministre parce qu’il est dynamique ». Non, non, il ne le fait jamais. Mais vous-même, par rapport à son attitude, vous pouvez savoir s’il vous apprécie ou pas. C’est comme ça qu’il fonctionne.

Et dans la situation actuelle, je comprends un peu son attitude. Contrairement à ce que les gens pensent de Blaise, le président Compaoré est un démocrate.

Je vois à votre mine que vous en doutez (rires), mais en réalité c’est un démocrate. Il y a des choses qui sont arrivées, on ne peut pas comprendre pourquoi. Après avoir souvent discuté avec lui, je sais que c’est quelqu’un qui n’aime pas imposer des décisions…

 

Même au sujet de la révision de l’article 37 ?

 

La question de la révision de l’article 37, peut-être il ne l’a pas bien jugée, mais il pensait bien faire. Il était honnête avec lui-même quand il en parlait. Ce n’était pas forcément que lui, il voulait se représenter.

Je peux vous faire une confidence. Nous avons discuté quelquefois avec lui, et je lui ai posé la question de savoir comment il voyait 2015 (NDLR : terme constitutionnel de son dernier mandat à l’époque) ? Il m’a dit souvent : « Moi je suis fatigué, si on peut avoir quelqu’un, ce serait vraiment mon souhait. Je suis fatigué ».

Après je ne peux pas savoir ce qui s’est passé…

 

En effet, il y a ce que lui il dit, ce qu’il pense vraiment et ce que ses proches veulent également… 

 

Tout à fait. Mais c’est quelqu’un qui ne va pas imposer une décision. Il a donc dû laisser les deux camps s’affronter (ndlr : les partisans et opposants à la révision de l’article 37 au sein du CDP) pour voir finalement quel est le camp qui est le plus représentatif et trancher le moment venu. Mais cette fois-ci, concernant la crise au sein du CDP entre les partisans d’Eddie et ceux de Kadré, je pense que le président Compaoré aurait dû intervenir avant. C’est ce que je pense. Mais maintenant que c’est fait, on va voir comment les choses vont évoluer dans les mois à avenir.

 

Excellence, vous avez tantôt dit que vous êtes retourné à la terre. Alors quelle est la superficie de votre exploitation et qu’est-ce qu’on y trouve ?

 

En réalité, je fais l’agriculture depuis 2000. J’ai des amis qui m’ont offert, à l’époque, une exploitation à Ouangolodougou qui fait partie de la commune de Niangoloko. Vraiment je n’ai rien demandé de particulier. Les habitants m’ont donné 40 hectares. C’est un don puisque je n’ai rien acheté. J’ai commencé à exploiter ces terres en cultivant du maïs et du riz pendant un bon moment. Après j’ai pu avoir des forages qui m’ont beaucoup aidé.

Avec les habitants de Ouangolo, on est vraiment en très bons termes. Et puis, bon, quand vous êtes au pouvoir, il peut arriver que vous ayez la possibilité de donner un coup de pouce, alors vous le donnez...

 

Ça aide à fluidifier les relations en effet...

 

Oui, ça aide. C’est ainsi que j’ai pu user de mon influence pour que ce village puisse avoir un Collège d’enseignement général (CEG). Vous savez, Ouangolo est à 30 km de Niangoloko, et ce n’était pas facile pour les enfants d’y aller pour fréquenter. C’était difficile, pourtant il y avait des projets qui étaient là et qui pouvaient aider à construire un CEG. C’est ainsi que, dans la programmation des projets, j’ai souhaité que Ouangolodougou soit doté d’un CEG. Je pense que tout ça nous a également rapproché davantage.

Je fais aussi de l’agriculture à Pouni et dans ses environs. J’ai près de 12 hectares à Nebié Nehoun et 2 hectares à Pouni. Je fais du sorgho blanc, du maïs, du niébé, de l’arachide. Cette année j’ai tenté de faire du sésame à Pouni sur un hectare, et à ma surprise ç’a très bien donné.

En fait, mon agriculture à Pouni avait un objectif principal puisqu’en réalité je ne vis pas de cela, et la plupart de mes récoltes je les distribue.

 

C’était donc quoi l’objectif de votre investissement  agricole à Pouni ?

 

A Pouni, j’ai voulu que les jeunes voient et sachent que c’est possible de faire certaines choses sur place. Sur ces 2 hectares, durant deux années consécutives, j’ai fait du maïs et nous avons eu, en gros, 5 à 6 tonnes par hectare. Vous imaginez ce que c’est sur une superficie de cette nature-là ? Quand les jeunes voient cela, ils sont stupéfaits. Je leur dit « c’est bien possible, mettez un peu d’engrais, suivez les conseils des agents de l’agriculture, et vous allez voir. »

Chez nous, en dehors de l’arachide, les gens n’ont pas de culture de rente. Ils n’en connaissent pas. Donc j’ai fait le sésame pour leur montrer que c’est possible, car beaucoup de gens en doutaient. C’était un test, et ç’a très bien donné et je souhaite que cela puisse faire tache d’huile dans la zone.

L’année prochaine je vais encourager les populations, notamment les femmes, à avoir de petits lopins de terre parce que le sésame, finalement, c’est ce qui est le plus facile à cultiver.

Enfin, je fais un peu d’élevage. J’ai juste une quarantaine de bœufs. Ça me fait plaisir d’aller tous les matins les regarder, les tâter, m’occuper d’eux.

 

Donc c’est de l’élevage contemplatif en somme

 

On peut le dire. Mais j’ai dit récemment à mon berger que je ne pouvais plus continuer l’élevage contemplatif parce que ça commence à me coûter beaucoup alors que je n’y gagne rien. Donc cette année j’ai quand même vendu quelques bœufs pour faire face à mes dépenses. C’est vraiment quelque chose de très passionnant.

 

Au terme de cet entretien, Luc Adolphe Tiao a-t-il encore quelque chose sur le cœur qu’il souhaiterait partager ?

 

Mon souhait le plus ardent est que le Burkina Faso puisse se réconcilier et que notre pays puisse retrouver la stabilité.

Quand il y a eu le changement en 2014, je l’ai accepté parce que, d’abord, je suis un croyant. J’ai dit aux uns et aux autres que nous avons essayé, nous avons fait ce que nous avons pu, nous sommes tombés. D’autres personnes qui voulaient arriver au pouvoir l’ont pris. Nous devons accepter cet état de fait parce qu’on est en démocratie. Nous devons souhaiter qu’ils réussissent pour le bien du pays, mais cela ne veut pas dire qu’on cautionne tout ce qu’ils disent ou font. Mais pour le bien du pays, je pense qu’il faut souhaiter que les choses aillent mieux. Cela aussi suppose que ceux qui sont au pouvoir fassent preuve d’une plus grande ouverture, preuve d’imagination en tout afin que les Burkinabè puissent vraiment se retrouver ensemble et que l’opposition fasse son travail dans le sens de la construction du pays.

Je remercie L’Observateur Paalga de me donner cette opportunité de m’exprimer, c’est toujours un plaisir pour moi de lire ce journal. Je ne lis pas souvent pour m’informer, je prends plaisir à lire pour voir les talents de ceux qui écrivent. Et dans votre journal il y a des gens qui ont de très belles plumes et cela me fait plaisir de les lire, car ça me rappelle le temps où j’exerçais.

Je souhaite vraiment que votre journal continue de s’imposer dans la sous-région. Avec modestie, j’ai pratiquement une vénération pour Edouard Ouédraogo. C’est un aîné et jeune journaliste, il a toujours été pour nous un modèle. Je suis content de voir qu’il n’a pas changé. Edouard est resté le même. Vous avez de la chance de travailler avec lui, j’espère que vous allez pouvoir perpétuer cette philosophie qu’il a de l’information. On peut l’aimer, on peut ne pas l’aimer, mais Edouard, c’est quelqu’un de très respectable.

 

Entretien réalisé par

San Evariste Barro

Hadepté Da

 

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