Menu

Présidentielle algérienne: Consécration d’une révolution volée

Près de neuf mois après la démission d’Abdelaziz Bouteflika, la seconde révolution algérienne va-t-elle accoucher d’un avorton ? Il y a tout lieu de le croire tant la gestation a été longue et douloureuse. Les 24 millions d’électeurs sont en effet convoqués aux urnes ce jeudi 12 décembre pour choisir leur président après deux reports et quelques semaines de non-campagne, marquée par des heurts et des salles clairsemées.

Il faut dire que ce scrutin marque la consécration du vol de la seconde révolution algérienne commencée le 16 février 2019 par le mouvement du Hirak qui, après deux mois de manifestations monstres à Alger et à l’extérieur, avait contraint le locataire du palais d’El Mouradia à rendre le tablier, lui qui après vingt ans de règne voulait se taper un 5e mandat alors que sa santé, plus que chancelante, aurait dû l’inciter à la sagesse.

Mais à l’évidence, le tout n’était pas de faire chuter le vieil homme, encore fallait-il dompter l’Armée, véritable gardien du temple, particulièrement son patron, le chef d’état-major et ministre de la Défense, Ahmed Gaïd  Salah, qui, après avoir mis à l’ombre un à un ses principaux rivaux, s’est positionné comme le véritable régent de l’interrègne, si, pour donner l’illusion de la légalité, un président intérimaire, Abdelkader Bensalah, avait été installé.

Aujourd’hui, les Algériens sont donc amenés à raccommoder du neuf avec du vieux linge qui aurait dû être jeté depuis dans les poubelles de l’histoire algérienne. Tous les cinq candidats, les « 5A » comme on les surnomme, ont en effet tous servi sous l’ancien raïs. Jugez-en vous-même :

-  Abdelaziz Belaïd est le plus jeune des candidats et le seul à ne pas avoir été ministre. Il a cependant derrière lui une longue vie d’apparatchik au sein du Front de libération nationale (FLN, ex-parti unique) et de ses organisations satellites.

- Ali Benflis, deux fois candidat malheureux contre Abdelaziz Bouteflika, a été pourtant son ministre de la justice. Son retour aux affaires se fait en 1999 avec Abdelaziz Bouteflika, candidat à la présidentielle soutenu par l’armée, dont il est le directeur de champagne.

- Abdelkader Bengrina du parti islamiste, a été ministre sous Boutef  et a constamment soutenu sa candidature à la présidence, y compris pour le cinquième mandat.

- Azzedine Mihoubi, écrivain et journaliste, est le candidat préféré du système, lui qui a reçu le soutien du FLN. Il fut directeur de l’information à la télévision publique, le canal le plus officiel du régime.

- Abdelmadjid Tebboune  a été un éphémère Premier ministre sous Bouteflika, même si ce limogeage ne l’a pas empêché d’exprimer publiquement sa« loyauté » envers ce dernier en le soutenant pour un cinquième mandat.

C’est donc une véritable entourloupe politique concoctée par le général cinq-étoiles qui sera jusque-là parvenu à contenir tant bien que mal la marrée verte et blanche qui déferle depuis 9 bons mois sur les rues algériennes. Jusqu’à quand? Telle est la question, car si une élection est censée ramener la quiétude et permettre au pays de revenir à une vie constitutionnelle normale, au fond elle ne règle rien, les croquants du 16-Février ayant prévenu qu’ils poursuivraient encore et encore plus leurs manifestations, comme ils l’ont du reste encore fait en guise de lever de rideau de cette élection. Mais à y bien réfléchir, quand bien même la faute principale  de cet imbroglio incomberait  au deus ex machina  Gaïd Salah, ceux qui se sentent aujourd’hui floués de cette révolution ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.

En voulant faire de la politique sans y mettre les deux pieds, le mouvement insurrectionnel, qui avait un grand corps et une longue queue, n’avait malheureusement pas de tête, n’ayant pas pu ou su générer un responsable qui aurait pu se présenter et constituer une alternative crédible sur laquelle les électeurs algériens pouvaient miser. Quand on voit ce qui s’est passé récemment en Tunisie où la vieille classe vermoulue a été balayée au profit d’un indépendant jusque-là inconnu, on se dit que cette jurisprudence tunisienne aurait pu également faire recette du côté d’Alger si.. A l’avenir, les  insurgés devraient donc méditer sur ce conseil de cet homme d’Etat et diplomate français Charles-Maurice de Talleyrand: “Dans les temps de révolutions, on ne trouve d’habilité que dans la hardiesse et grandeur dans l’exagération”.

Issa K. Barry

 

Dernière modification lejeudi, 12 décembre 2019 21:59

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut