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Epargne publique et marché financier : Dans l’univers du trading avec Bernard Ouédraogo

 

Le 8 mai 2019, le Conseil régional de l’épargne publique et du marché  financier mettait en garde le public burkinabè contre les arnaques dans  les placements à hauts risques. Il invitait par la même occasion des sociétés visées à se conformer à la réglementation ; laquelle dit explicitement que seule la banque dispose d’une autorisation et d’une garantie auprès de la BCEAO pour percevoir de l’argent public contre le paiement d’intérêts. C’est dans la prise en charge de cette affaire que le parquet a été saisi d’un rapport dont la seule transmission à ses services l’oblige à ouvrir  une information pour confirmer ou infirmer les soupçons de faits d’escroquerie, de soustraction à l’impôt, de blanchiment de capitaux. Cela a conduit alors au gel des comptes des sociétés de placement, au grand dam des investisseurs. Certains traders continuent par contre leurs activités en solo. Pour mieux découvrir ce monde de la spéculation boursière avec lequel de nombreux Burkinabè se familiarisent de plus en plus, nous avons rencontré, le 9 novembre 2019 à Ouagadougou, un ancien professeur d’anglais qui a abandonné la craie au profit des écrans d’ordinateurs et de Smartphones. Bernard Ouédraogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, s’est converti en consultant crypto monnaie et coach en investissement  pratique.  

 

 

 

 

Qu’est-ce que le trading  pour un profane ?

 

 

 

Le trading en français facile, c’est acheter et vendre. Mais dans le domaine moderne, c’est tout simplement faire de la spéculation sur le marché boursier à travers le forex (Ndlr : foreign exhange market pour désigner le marché des changes, sur lequel les devises sont dites convertibles), les matières premières, et très bientôt la crypto monnaie. Autrement dit, c’est acheter de l’argent  quand il est à bas prix  et le revendre lorsqu’il  acquiert de la valeur.

 

 

 

Qu’est-ce qu’un trader professionnel ?

 

 

 

Un trader professionnel vit de son métier. Tout seul, lorsqu’il  se décide, il peut prendre en charge la moitié du Burkina Faso et s’occuper du bien-être des populations qui composent cette portion. Dans le marché boursier, le Forex,  à lui seul, génère plus de 6000 milliards de dollarspar jour. C’est commeun immense océanoù chacun va se servir. C’est justement pour cela qu’on dit qu’un trader professionnel peut se faire beaucoup d’argent sur le marché boursier.

 

 

 

Qui peut être trader au Burkina Faso ?

 

 

 

Tout le monde peut être trader, même celui qui n’est pas allé à l’école. Oumarou Kanazoé en est l’illustration. Par exemple, quand on prend la loterie, ils sont nombreux à s’y intéresser sans avoir été à l’école ;  même s’ils ne savent pas noter les numéros, au moins ils peuvent les choisir. Il suffit d’apprendre les règles-clés et, quand il le faut, prendre position soit à la baisse, soit à la hausse ; je pense que tout le monde peut être trader.

 

 

 

Comment les analphabètes peuvent-ils se débrouiller pour  assimiler les cours sur le trading ?

 

 

 

C’est très simple. Je vous demanderai comment ils font pour téléphoner. Lorsque vous donnez un portable à un analphabète, sans pouvoir lire, il arrive à effectuer des appels. Quand vous prenez les différents réseaux de téléphonie mobile, de nombreux illettrés possèdent des comptes. Demandez-leur  comment ils font. C’est exactement la même chose.

 

 

 

Depuis quand  le trading a fait son avènement au Burkina Faso ?

 

 

 

J’ai connu le trading au Burkina en 2015. Mais dans nos recherches, on a découvert qu’il y a des gens qui font cette activité depuis plus de 10 ans dans notre pays.Elle était l’apanage de  particuliers.

 

L’une des premières maisons de trading qui a sombré a été ‘’Social Be Investing’’. Le scénario a été le même : le temps qu’on se rende compte qu’on menait un faux combat contre la société, on avait déjà fini de la tuer.

 

 

 

Connaissez-vous d’autres sociétés de placement  qui ont fermé boutique ?

 

 

 

Elles sont nombreuses. A titre d’exemple, il y a Globumi, Glofas, Royal Finance et Barka finance, entre autres.

 

 

 

Comment fonctionnent les sociétés de placement d’une manière générale ?

 

 

 

Les populations, de bouche à oreille, ont été informées. Dès lors les gens ont commencé à placer leur argent. Les sociétés proposaient des investissements avec des taux allant de 10 à 20%. Une seule personne peut opter pour tous les trois choix : mensuel, semestriel et annuel. Il y a des maisons de trading dont les placements commençait à partir de 100 000 francs CFA,  d’autres à 200 000, 300 000 ou le million. C’est en 2016 que la première maison de trading, Globumi,s’est installée au Burkina Faso. Le trading est comparable à un investissement où quelqu’un crée son kiosque avec 100 000 F CFA. Après, il emprunte 1 000 000 F CFA pour mieux faire fonctionner son commerce. Si vous investissez avec la personne vous vous attendez à des retombées, tout naturellement. Les sociétés de trading savent que pour ces opérations, en moins de 5 jours, le retour sur investissement est possible et elles disposent encore de 6 mois pour payer les clients.  Ce n’est pas de la loterie ou les jeux de hasard dans lesquels des gens vendent leurs parcelles, véhicules, misent tout et en ressortent bredouilles. Mais comme ce sont de mauvaises pratiques légalisées, on n’en parle pas.

 

 

 

Quel peuvent être les dangers liés à cette spéculation boursière ?

 

 

 

En réalité, ce n’est pas un système Ponzi, c’est-à-dire où vous prenez l’argent des derniers pour payer les premiers. Même si c’est une seule personne qui dépose son argent, on le dirige vers le système boursier, sur la plateforme du trading  et on fructifie sa mise. Après cela, on fait un appel de fonds afin de payer l’intéressé. Dites-moi où il n’y a pas de risque ? Même l’école a des risques, voyez le taux de chômage. Ça comporte des risques mais qui sont minimes et calculés. En plus, là où il y a de l’argent, il y a aussi des risques. Toute chose sur terre comporte des risques.

 

 

 

En cas de pertes qui rembourse les investisseurs ?

 

 

 

Je vous confie un capital de 1 million et demande que vous fassiez chaque  jour 10 000 FCFA, environ 20 dollars, comme  bénéfice. On vous dit d’utiliser un levier. Le fait que votre levier soit faible fait que vous ne pouvez pas perdre les 20 dollars. Imaginez que la courbe monte et que vous arriviez sur le marché pendant sa chute. Dans son évolution, même en cas d’erreur, le marché ne peut pas monter éternellement ; il va connaître des fluctuations. Il ne peut  éternellement rester à la baisse non plus. Donc quel que soit ce qui va arriver sur le marché boursier, vous ne pouvez pas perdre. C’est le gain qui est minime. C’est pour cela que les maisons de trading ne paient pas beaucoup sinon si elles se décident, elles peuvent payer à des taux de 60 % par mois.

 

 

 

Qu’est-ce que l’Etat reproche exactement à ces sociétés de trading ?

 

 

 

Lors de nos échanges, certaines autorités nous ont dit que c’était la première fois qu’elles entendaient le mot ‘’trading’’. Je ne sais pas si elles font semblant, mais je trouve cela décevant. On reproche à ces sociétés d’être des canaux de blanchiment d’argent, de haute escroquerie, de financement du terrorisme, des vendeuses d’illusions. Je vous assure qu’il n’en est rien.

 

 

 

Pensez-vous que les banques ont joué un rôle dans le blocage de l’argent ?

 

 

 

Les banques ont joué un rôle majeur. Je les considère d’ailleurs  comme  étant  des « coffres ». On parle de banque lorsqu’il y a cette capacité d’imprimer la monnaie. Même la BCEAO n’en est pas capable. Leur chance est qu’après avoir fait un appel de fonds, elles doivent recevoir l’argent et permettre aux maisons  de trading d’avoir accès à leurs fonds afin de les distribuer. C’est le scénario exact et normal. La banque centrale imprime de l’argent et le distribue aux banques commerciales. Et c’est à partir de ces institutions que les individus qui composent la nation y ont accès. Donc si les banques commerciales prennent l’argent et le bloquent, il va de soi que les individus n’y aient pas accès.

 

Le gouvernement et les banques font un. Même aux Etats-Unis, ce sont les banques qui font la loi au niveau du gouvernement ; c’est elles qui imposent ce qu’elles veulent. Donc toutes les banques sont de connivence avec le gouvernement.

 

 

 

Ne pensez-vous pas que les banques considèrent les sociétés de trading comme des concurrentes directes ?

 

 

 

Aucune société de trading ne peut concurrencer une banque dans ce domaine. La preuve, dans des pays comme la Chine, la Russie, les Etats-Unis, la France, ce sont les banques qui tradent pour fructifier l’argent. Si vous êtes une banque vous devez avoir au minimum 1000 milliards ; chose que nos soi- disant banques n’ont pas. Ici nos «coffres forts » fonctionnent sur la base des dépôts et des retraits. Cela veut dire que si les gens déposent beaucoup d’argent à la banque, elle sera contente car elle va l’utiliser pour faire des prêts. Mais si les retraits dépassent les dépôts, automatiquement cela va poser des problèmes ; elle ne pourra plus fonctionner. Donc, je pense que le gel des fonds est dû aux importants flux migratoires d’argent vers les structures de trading.

 

 

 

Que peuvent faire les traders pour rentrer en possession de leurs sous, selon vous ?

 

 

 

Les clients des sociétés ne peuvent que patienter mais, il est d’ores et déjà temps pour notre gouvernement de voir comment élaborer des lois pour encadrer le métier. Les fonds ont été gelés parce qu’ils ont été collectés dans des banques. Si je suis n’ importe où  chez moi, ordinateur en main, je peux me faire de l’argent. Seul le retrait peut me poser des problèmes parce que les banques appartiennent à de tierces personnes.  Que les Burkinabè se préparent. Il y a mieux et pire que le trading qui a échappé même aux banques des Etats-Unis, la crypto monnaie. On peut décider de contourner les Banques et payer les gens autrement. Les Banques vont se retrouver un bon matin avec du papier.

 

 

 

Il y a comme une sorte de mutisme de la part des sociétés de placement, est-ce que cela s’explique ?

 

 

 

Les responsables des sociétés de placement  ont peut-être reçu des appels qui les empêchent de parler. Les traders continuent de travailler sur les plateformes ; autrefois le trading était réservé aux institutions bancaires puisqu’il fallait avoir beaucoup de liquidité. Pour faire bouger la courbe, la faire monter, il fallait  des milliers de milliards. Les brokers sont des multimilliardaires, des grossistes qui récolent les fonds.  Eux, ils se portent garants et les clients investissent sur leur plateforme avec des frais de dépôt et retrait.

 

Au début, toute position en trading est toujours négative. Même si la courbe démarre en hauteur, elle redescend à moins avant de remonter et ça ce sont les commissions du broker. Si vous êtes compétents, il y a des millions de traders par minute, par seconde et cela fait des millions.  Les maisons de trading ont juste envoyé leur argent sur la plateforme de brokers et chaque fin de mois, elles prélèvent une partie en vue de payer les investisseurs tout en poursuivant leurs activités. Les sociétés, en un mois maximum ou deux, sécurisent l’argent et jouent avec le reste. 

 

 

 

L’Afrique possède-elle ses brokers ?

 

 

 

Dans la sous-région, il existe des cofondateurs broker. En Afrique du Sud, Sandil Schezi, un jeune homme de 23 ans  devenu millionnaire, s’apprêtait à devenir broker. Glomuni était sur le point de devenir Broker et cela aurait été une première en Afrique de l’Ouest, mais la société a été bloquée dans son élan par nos autorités.

 

 

 

Est-ce que vous êtes en contact avec d’autres traders ?

 

 

 

Oui ! Que ce soit au Ghana, en Afrique du Sud, aux USA ; partout dans le monde. Nous prenons souvent des cours de trading ensemble. On nous appelle traders professionnels mais il n’en est rien. En Europe, il y a des gens qui peuvent vous taper un ou deux millions d’euros par jour ou même par heure. Cela peut aller au-delà. Avec le trading, on développe le pays.

 

 

 

Comment le trading fonctionne dans les autres pays voisins ?

 

 

 

Pour des pays qui impriment leur monnaie, le trading marche très bien. Les banques n’ont pas peur puisque pour emprunter ou déposer, elles vont prélever des frais. Donc elles ont plus de liquidité que les structures de trading. Au Ghana, on nous a accueillis les bras ouverts. Là-bas le trading est légalisé et  tous les 21 jours, l’Etat envoie des experts assister les maisons de trading, afin que les investisseurs ne tombent pas en faillite. C’est ce pas que le Burkina Faso devrait emboîter.

 

 

 

Vous avez tantôt parlé de crypto monnaie ; de quoi s’agit-il exactement ? 

 

 

 

La crypto monnaie, c’est le futur de l’argent. C’est ce que va devenir l’argent. Sa forme va changer. On a connu le troc, les cauris, les pièces et les pierres précieuses comme l’or, le diamant. Par la suite, on a adopté la monnaie fiduciaire. La crypto monnaiedevait naître en 1990. Les  précurseurs ont été décapités étant donné qu’il ne fallait pas dévoiler le secret des finances. La première crypto monnaie est apparue en 2009. Toujours dans l’optique d’améliorer et  de permettre aux populations d’être proches de leurs dus, les cartes  magnétiques sont nées. VISA, Mastercard sont des noms d’individus  qui  ont été porteurs de solutions. Les banques virtuelles ont fait leur avènement par la suite, et il en existe en Europe. Elles sont mieux et n’utilisent plus la monnaie physique mais numérique. Il  existe des monnaies électroniques comme Payer, Paypal, perfect monnaie, Paysa. Tout s’est construit au gré des accords et de la confiance. 

 

 

 

Comment cette monnaie électronique va-t-elle être gérée ?

 

 

 

Au lieu  de stocker l’argent dans les banques, on va le  placer dans les blockchains à travers la technologie. Ce qui va être intéressant, c’est qu’on va supprimer les banques, le gouvernement, les institutions financières. Les transactions vont se faire entre partenaires. En 30 secondes, on pourra faire transiter un milliard dans un compte. La blockchain est un ensemble de livres blancs sur lesquels on écrit. Lorsqu’on marque des choses, c’est indélébile. En effet, c’est un réseau d’ordinateurs interconnectés pour véhiculer des données ou des transactions financières en toute sécurité. Depuis sa création, il n’y a eu aucune possibilité de hacking, ou de cambriolage. Pour plus de transparence, on peut intégrer la blockchain dans les élections. Il y a une traçabilité qui va tout révéler.

 

 

 

Quelle peut être  la force de la crypto monnaie ?

 

 

 

Avec la crypto monnaie, on décide de donner la liberté à la population mondiale. Facebook s’apprêtait à lancer la sienne et les banques américaines se sont réunies pour dire non à la ‘’Libra’’, prétextant que si cette nouvelle monnaie naît, elles n’auront que 7 jours pour disparaître.  Si cela peut effrayer en Amérique, ce n’est pas nos « coffres-forts » (banques) sur le plan national qui vont résister une heure. On ne lutte pas contre une monnaie ; on s’associe et on en crée.  Puis on passe aux  échanges. Ceux qui viendront chez nous passent par notre monnaie pour acheter ce qu’on possède.

 

 

 

Quelle est la différence entre crypto monnaie  et  trading ?

 

 

 

La crypto monnaie est une monnaie comme le  franc CFA mais virtuelle. Pour le trading, il s’agit d’envoyer de l’argent sur une plateforme et de le multiplier. Par contre, avec la crypto monnaie, ce n’est pas le cas. Si vous avez la chance d’être au début de la création de la monnaie, le peu d’argent que vous avez mis va se transformer en millions, voire  en milliards.  Même un villageois peut y investir après explication. Elle fonctionne un peu comme si vous avez acheté un terrain que vous allez  revendre plus tard quand il prendra de la valeur. L’utilisation d’une monnaie naît d’un accord. Si on décide de ne plus utiliser le franc CFA, on s’entend et on échange nos produits. C’est nous qui donnons de la valeur à l’argent.

 

 

 

Le Burkina sera-t-il au rendez-vous de l’histoire ?

 

 

 

Dans les écoles françaises, on enseigne comment utiliser la crypto monnaie et la blockchain. Aux Etats-Unis, certains élèves ont demandé que l’on supprime des matières qu’ils jugent inutiles afin de s’orienter vers les monnaies du futur.  Les pays anglophones comme le Ghana, l’Afrique du Sud, les USA ont dépassé le trading et se retrouvent à un niveau supérieur, pendant ce temps  au Faso, on se bat contre le trading et on s’y attache. Quand allons-nous  finir de lutter contre le trader et évoluer ?  Rien n’a commencé par nous. 80 % des Londoniens en Grande-Bretagne lorsqu’ils se réveillent au plus tard à 8h se font déjà 100 millions, voire 200 millions. La journée est faite pour les promenades en voiture.

 

Le broker ‘’Hotforex’’ s’apprêtait à s’installer au Burkina Faso pendant que les problèmes débutaient. Ils ont créé une université Academy of trading afin d’aider les jeunes à s’en sortir. Quelle misère n’ont-ils pas connue dans notre pays ? Certains de ceux qui nous gouvernent  ne connaissent même pas le trading. Si on nous avait appris cela depuis la classe de 3e, chacun aurait construit des barrages au village, mis du bitume et sorti  ses parents de la misère. On a tous droit à une vie meilleure.

 

 

 

 

 

 

 

W. Harold Alex Kaboré

Rokiatou Soma (Stagiaire)

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