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Déclaration sur la situation au G5-Sahel : Cinq hommes au cœur d’une dune

Initialement prévu pour le 16 décembre 2019 et reporté suite à l’attaque terroriste qui a fait une centaine de morts au Niger,  le rendez-vous entre les chefs d’Etat du G5 Sahel et le président Emmanuel Macron aura lieu, en principe, le 13 janvier 2020 à Pau. En attendant, les analyses et commentaires y relatifs vont bon train. A travers les lignes qui suivent, le Pr Basile Guissou rappelle à Paris sa responsabilité dans la montée du sentiment de rejet de sa politique dans nos Etats.

 

Comme on le sait, Barkhane désigne une dune aux formes allongées à ses extrémités, tel un croissant. Les militaires en général sont imaginatifs et ont l’esprit fertile. Ils ont pour coutume de baptiser leurs opérations de multiples façons en empruntant à leur guise des noms d’oiseaux, d’animaux, de poissons ou encore des choses caractéristiques des zones d’opération. Ainsi, on a vu défiler chez les Français  Serval (un animal), Epervier, Licorne, Sangaris (un papillon), Barracuda (un poisson)... Chez les Américains on se rappelle l’opération Tempête du désert, et, plus près chez nous, Otapuanou, Ndofu, etc.

Ainsi donc nos cinq chefs d’Etat du G5-Sahel feront le déplacement à Pau en France où est basé le Régiment d’origine de sept des 13 soldats français morts dans l’accident entre deux hélicoptères amis. Là, ils s’entretiendront avec leur homologue français, Emmanuel Macron, chef suprême de l’opération Barkhane, après avoir rendu un hommage aux militaires décédés. Telle est la volonté du président français qui, ne cachant pas sa colère, les y a conviés sans ménagement. Il nous faut, avant de poursuivre, marquer un arrêt sur la manière peu diplomatique de cette invitation pour relever qu’en dérogeant aux règles protocolaires et de bienséance tel qu’il sied entre chefs de nations souveraines et civilisées, Monsieur Macron a administré la preuve qu’en dépit de n’avoir pas personnellement de passé colonial, il porte en lui les stigmates d’un mode de pensée et de comportement colonialiste, héritage sans doute d’une mentalité mal dégrossie d’un passé révolu. Chose contraire à ses déclarations à l’université de Ouagadougou lors de sa visite officielle.

Ses propos, pour le moins maladroits, ont suscité et continuent de produire partout dans les pays du G5-Sahel, en Afrique et au-delà, des réactions unanimes rappelant à ceux qui seraient tentés de l’oublier que les temps changent. Cette vague d’indignations et de contestations populaires animée par diverses couches sociales du G5-Sahel: monde associatif, culturel, politique, jeunes, vieux, etc., qui est survenue suite à « l’injonction indélicate » de «Jupiter» à nos chefs d’Etat légitimement élus, puise ses racines dans toute la gouvernance de l’Etat français dans nos pays depuis des décennies.

Oui, les temps changent sous l’action des forces politiques, économiques  et sociales, et les bouleversements qui s’opèrent entraînent la recomposition de la géopolitique internationale ainsi que la redéfinition des rôles et des stratégies pour chaque peuple, pour chaque continent. Qu’il soit connu et bien enregistré que l’Afrique, dont le potentiel sous tous les angles et tous les rapports est inouï, ne se laissera pas confiner dans un simple rôle de pourvoyeur de ressources non transformées, ni de chair à canon, mais elle revendiquera la juste place que lui doit l’histoire. Oui, l’Afrique est le continent qui regorge de plus de matières premières dans le monde. Chaque jour qui passe vient confirmer et révéler de nouvelles ressources : la récente révélation d’une gigantesque nappe phréatique d’eau potable en dessous du Niger correspondant à deux (2) siècles de consommation d’eau douce de toute la planète en est encore une preuve ; vous avez bien lu, deux siècles. Or l’eau est une substance naturelle qui ne se fabrique pas, mais est essentielle et indispensable à la vie, et en ce sens, elle est un enjeu géostratégique et géoéconomique sur lequel plusieurs auteurs se sont déjà penchés.

 

Chaque pays poursuit ses intérêts

 

Oui, nous sommes à un tournant décisif de l’histoire où la recomposition des forces, selon certains penseurs et acteurs de l’Occident, doit se faire par la déstabilisation et la recolonisation de l’Afrique. Malheureusement pour ces personnes, le tournant historique décisif et mondial devra prendre en compte aussi la volonté réelle de l’Afrique de s’émanciper totalement des visées prédatrices de ces penseurs et acteurs. Un monde nouveau est en train de naître, et l’Afrique ne sera plus en reste.

Le monde actuel du capitalisme financier dont le stade suprême supposait la division du monde en deux, d’un côté les pays stables et mondialisés, de l’autre des régions du monde aux Etats faillis (Somalie, Libye...), réduites à n’être que de simples réserves de matières premières, est en train d’agoniser. Un combat féroce au sein du monde occidental est en cours.

En Europe même, le remodelage subit les contraintes d’intérêt des uns et des autres, et les voix ne sont pas unanimes. Les conclusions du dernier sommet de l’OTAN nous en disent long sur les contradictions et les trajectoires contraires et inverses. Washington n’entend plus être le gendarme du monde ; et cela lui est reproché même à l’intérieur des Etats-Unis ! Apparemment chaque pays a son propre agenda. Ce n’est pas la Grande-Bretagne qui dira le contraire, elle à qui des menaces de réactivation de la terrible guerre en Irlande ont été proférées.

Revenons-en à notre sujet. Le président Macron fixe l’agenda exactement en droite ligne dans la pensée et l’action du général de Gaulle, organisateur du référendum piège du 28 septembre 1958. Macron est jeune, mais il raisonne avec un vieil esprit colonial.

 

Les peuples savent leurs bienfaiteurs

 

Président Macron,

Vos propos à l’endroit des 5 chefs d’Etat du G5-Sahel s’apparentent manifestement à des menaces et à du chantage lorsque vous exigez d’eux qu’ils assument, face à leurs peuples, la présence des troupes de Barkhane et de la MINUSMA qui seraient là pour la défense et la sécurité collectives des populations et de la communauté internationale.

Mais de quoi s’agit-il exactement ?

Si ces troupes militaires étaient vraiment sur place pour défendre et sécuriser les paisibles populations, ça se saurait, car les peuples savent toujours reconnaître leurs bienfaiteurs. Lorsqu’en 2012 la colonne des terroristes fonçant sur Bamako a été stoppée par les militaires français de Serval, les populations les ont accueillis en libérateurs dans la joie et l’allégresse. Les scènes de liesse sont encore vivaces dans nos mémoires, et nombreux sont les nouveaux–nés qui furent baptisés du patronyme de M. Hollande. La défiance et le doute qui se sont progressivement installés dans leur esprit ne sont pas venus ex nihilo, mais ont pris corps lorsque, parvenus aux portes de Kidal, vous avez préservé les agresseurs et continuez de le faire plus de sept ans après. C’est pourquoi l’enclave de Kidal, symbole honteux d’un nouveau Biafra au Sahel, trône honteusement aujourd’hui comme la marque de la forfaiture d’une politique faite de fausses amitiés et de cynisme. Cela restera gravé dans l’histoire en lettres de sang comme la leçon de la trahison et de la roublardise.

Sinon comment expliquer et justifier que Barkhane, fort de 4500 hommes (Serval comptait 1700 hommes), détachement d’une des plus grandes armées au monde, doté de puissants moyens d’équipement militaires et de technologies sophistiquées, ne puisse déloger et anéantir un groupe de rebelles et de terroristes qui sept années durant se développe, se multiplie et déferle sur le Niger, le Mali, du Mali au Burkina, puis vers le nord du Bénin et au-delà ?

Peut-on donc s’étonner du développement de ce que vous appelez «le sentiment antifrançais » ?

La République Centrafricaine est dans le même schéma.

Oui M. Macron,

Les populations africaines attendent de vous des excuses publiques au sujet de la forme désobligeante par laquelle vous vous êtes adressé aux chefs d’Etat du G5 Sahel. Les cinq chefs d’Etat iront vous dire droit dans les yeux que votre politique de défense et de sécurisation n’en est pas une et que Barkhane se pare d’une propagande faussement sécuritaire pour réaliser d’autres buts et objectifs que vous devrez avouer ou qui seront démasqués tôt ou tard et dont l’histoire vous chargera. Ils devront vous dire que vous devrez changer votre fusil d’épaule si votre désir réel est d’œuvrer pour la défense et la sécurité collective des populations et de la communauté internationale.

Le président Issoufou du Niger a clamé sur les antennes de votre « radio mondiale » RFI la nécessité de constituer une coalition internationale pour mettre fin à la déferlante des groupes terroristes qui sèment la terreur et la désolation dans nos villes et nos campagnes. En vain ! Et depuis, vos déclarations et vos promesses sont restées lettre morte. Absolument morte !

 

Ce que l’on devra vous dire

 

Monsieur Macron,

Les cinq chefs d’Etat devront vous dire que nous serons en capacité de nous prendre en charge pour la sécurité de nos territoires et de nos populations, même si vos intentions restaient à l’état de « mort cérébrale ».

 

Monsieur Macron,

Les cinq chefs d’Etat devront vous dire :

- qu’il n’est pas de raison de peindre l’un ou l’autre pays en rouge, car nos pays sauront s’unir et être des destinations hautement fréquentables ;

- que nous saurons nous protéger nous-mêmes, tout comme nous sécuriserons nos amis, nos ressources du sol, du sous-sol et du ciel, ressources que nous saurons exploiter avec qui nous voulons, dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant.

 

Monsieur Macron,

Nos 5 chefs d’Etat sauront vous dire que le sentiment antifrançais auquel vous faites allusion est une fausse et vaine propagande que vous diffusez pour opposer le peuple de France aux peuples africains ;

- que cette propagande ne sera pas entendue par le peuple de France, car, comme tous les peuples, il est un peuple de liberté et d’amitié.

Monsieur Macron, les cinq chef d’Etat vous diront :

- que vous avez explosé la Libye et déchaîné des forces nocives contre nos peuples sans assurer le « service après-vente » (formule du président Deby) ;

- que les peuples africains sauront faire de cette crise une opportunité pour marcher ensemble vers l’unité telle que prônée par le docteur Nkrumah et défaire tous les liens de servitude dans lesquels vous souhaitez les maintenir ;

- qu’ils s’assumeront face à leurs peuples et face à vous, en vous portant les revendications du peuple et ses exigences, contrairement à votre souhait de le voir réprimé et bâillonné ;

- que la jeunesse africaine saura s’affranchir de la division et  de la désinformation actuellement en cours pour s’inscrire dans la dynamique de la construction à compte propre de l’Afrique de demain (cf. Théophile Obenga : « Appel à la jeunesse africaine »).

Tel est le message des peuples d’Afrique que les cinq présidents sauront vous porter face à face, au fond des yeux.

 

Ouagadougou, le 11 décembre 2019

Pour le bureau de l’Association M21-78

Le président

Pr Basile L. Guissou

Ancien ministre

Dernière modification lemardi, 17 décembre 2019 22:35

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