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Passage du CFA à l’ECO : Premiers pas d’une décolonisation monétaire ?

Après l’hécatombe d’Inatès, où 71 soldats nigériens ont été tués le 10 décembre 2019 dans l’attaque de leur camp, trois semaines avant le sommet de la clarification de Pau et alors que le sentiment antifrançais, notamment concernant la présence militaire de l’Hexagone au Sahel n’a jamais été aussi prégnant, le séjour de Macron  en Côte d’Ivoire et au Niger devait être frappé du sceau sécuritaire.

 

 

Certes le président français, Emmanuel Macron, a eu son petit Noël avec les éléments du 43e Bataillon d’infanterie de marine stationnés à Port-Bouet ; certes il a rappelé l’importance de la Force Barkhane et les résultats probants qu’elle enregistre dans la lutte contre le terrorisme au Sahélistan ; certes il a rendu hommage à Niamey aux suppliciés d’Inatès, mais on retiendra finalement de cette visite de 72 heures en Côte d’Ivoire et au Niger l’annonce du passage du franc CFA à l’ECO faite en sa présence par le président Alassane Dramane Ouattara en sa qualité de président en exercice de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Une information déclinée sur les trois axes suivants :

- le changement de nom ;

- l’arrêt de la centralisation de 50% de nos réserves de change au Trésor français et la fermeture du fameux compte d’opération ;

- le retrait des représentants de la France de tous les organes de décision et de gestion de l’UEMOA (BCEAO, commission bancaire, conseil de politique monétaire).

 

« Réforme a minima », crient en chœur les brûleurs de CFA qui voulaient casser la baraque et pour qui le cordon ombilical n’est pas totalement coupé, dans la mesure où la parité fixe CFA/EURO va demeurer malgré l’arrivée prochaine de l’ECO et que la France en reste garante en cas de crise. En un mot comme en mille, cet ECO ne sera rien d’autre qu’un CFA-bis. Il faut dire que la présence du grand chef blanc, tel un garde du corps, à côté d’ADO samedi dernier lors de l’annonce, montre à souhait que nos « ancêtres les Gaulois », avec un pied dedans un pied dehors, ont toujours voix à un chapitre qui ne les concernerait plus même si on peut comprendre la prudence des dirigeants de l’UEMOA qui ont choisi d’y aller « step by step ». Du reste, la nouvelle monnaie est appelée à évoluer si les autres pays membres de la CEDEAO venaient à l’adopter et on voit mal les anglophones, en particulier le géant Nigeria et l’émergent Ghana, s’y résoudre sans une déconnection totale avec la France. 

 

En fait, ce n’est pas la première fois que ce Franc des Colonies Françaises d’Afrique, qui faisait anachronique il faut le reconnaître, est débarrassé de ses scories néocoloniaux. Avant ce nouveau changement de cap, qui intervient un quart de siècle après la douloureuse dévaluation de janvier 94, il y eut, il est vrai, d’autres bouleversements plus ou moins importants. Au nombre de ceux-ci, la commission présidée dans les années 70 par le général Tiémoko Marc Garango, alors ministre de l’Economie et des Finances de la Haute-Volta et qui avait abouti à la délocalisation en Afrique de l’institut d’émission (la Banque centrale) qui était jusque-là basé en France avec comme directeur général Robert Julienne, en poste de 1959 à 1974, jusqu’à ce qu’il soit donc remplacé par un gouverneur noir, Lamine Fadiga. Entre-temps la BOAD est créée et la répartition des responsabilités dans les deux institutions faite plus ou moins équitablement entre les Etats membres : le siège de la BCEAO à Dakar, le gouvernorat revenant à la Côte d’Ivoire et les deux postes de vice-gouverneurs échéant au Niger et au Burkina ; la BOAD, elle, ayant élu domicile à Lomé, sa présidence revenait au Bénin.

 

Bien sûr intervenant dans le contexte socio-politique actuel, on pourrait être tenté de penser que cet événement a été dicté par ces contingences mais ce serait oublier qu’une décision aussi délicate, qui était mûrie depuis plusieurs mois, voire quelques années, ne saurait être prise dans la précipitation.

 

Quoi qu’il en soit, elle satisfait, ne serait-ce qu’en partie, une des revendications matricielles d’une partie des élites africaines pour qui il est inconcevable que soixante ans après les indépendances formelles, nos pays continuent de traîner comme un boulet ce vestige de la période coloniale fabriqué - comble de la dépendance pour certains -  à Chamalières.

 

En faisant ce qui semble être un premier pas vers une décolonisation monétaire, les chefs d’Etat membres de l’UEMOA tiennent aussi la promesse qui avait été faite de passer à l’ECO en 2020, un engagement auquel en réalité beaucoup de leurs compatriotes ne croyaient pas vraiment tant nous avons l’art de faire dans la procrastination.

 

Le sort en est donc jeté même si ce n’est pas dès le 1er janvier qu’on verra les acteurs économiques de la zone palper ces fameux ECO, la transition d’une monnaie à l’autre pouvant encore prendre de longs mois.

 

En attendant, on ne peut que se poser des questions et conjecturer - tant les spécialistes eux-mêmes ne sont sûrs de rien - sur les bienfaits en matière macro-économiques et au niveau du citoyen lambda concernant les répercussions d’une révolution qui relève plus en réalité d’impératifs politico-idéologiques que d’exigences économiques et monétaires. En quoi en effet, l’avènement de la nouvelle devise, qui ne serait rien d’autre, aux yeux des plus radicaux, qu’un clone du CFA - lequel n’aurait fait que changer de nom - va impacter positivement la vie quotidienne des populations, puisque ce doit être la finalité d’une monnaie, qu’on l’appelle franc CFA, ECO, Cauri, Afro ou que avons-nous encore ?

 

Dans l’immédiat, ce qu’il faut craindre, c’est que ce « new deal » entraîne une spéculation lourde de tous les dangers et que la transition monétaire engendre une inflation automatique nonobstant les promesses de stabilité émises ici et là. La gestion d’une monnaie, ne l’oublions pas, au-delà des incantations anti-impérialistes et altermondialistes, requiert, on le sait, une discipline, une rigueur ainsi qu’une attention de tous les instants, et il nous faudra maintenant faire la preuve de notre capacité à manipuler cette nouvelle devise sans le concours du tuteur, même si ce dernier ne sera jamais loin. En tout cas pour l’instant.

 

La Rédaction

Dernière modification lelundi, 23 décembre 2019 22:55

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