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Conte : Les Chiens ressuscitent-ils à Noël ?

Benoit a fui son village attaqué par des terroristes et vit désormais dans un camp de réfugiés internes. Son chien, Boby, est mort dans l’attaque de son école. Mais l’enfant a demandé au Père Noël de lui ramener son chien pour fêter la Nativité. Le miracle aura-t-il lieu ?

 

 

Ce matin du 24 décembre, Benoît s’est réveillé de mauvaise humeur. Couché sur une natte sous la tente bleue au sigle du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), il ferme les yeux et repense au réveillon de l’année dernière dans son petit village de Jelgo. Après la messe de minuit, sa maman, sa tante, lui et Boby avaient partagé un repas sur la terrasse. Ensuite, il avait découvert son cadeau le lendemain. Une blouse de médecin et tout une mallette remplie de l’attirail du parfait toubib : thermomètre, stéthoscope, tensiomètre, seringues, loupe, microscope, etc. C’est ce qu’il avait demandé pour la Noël.

L’an passé, Benoît vivait dans le petit village de Jelgo avec sa tante Rosine et sa mère, Aya, qui était la directrice de l’école de Jelgo. Il n’a pas connu son père. La petite famille habitait une grande maison blanche à l’intérieur de l’école. Il avait son fidèle compagnon, le vieux chien Boby. Boby et Benoit étaient les meilleurs amis du monde. Benoît a six ans mais aussi longtemps qu’il se souvient, Boby a toujours été là, à ses côtés. Dès qu’il a pu tendre sa main, la première chose sur laquelle ses doigts se sont refermés, ce sont les poils de Boby, et c’est en prenant appui sur l’échine du chien, en s’agrippant à ses oreilles ou à sa queue qu’il s’est mis debout la première fois et a fait ses premiers pas. Du matin au soir, ils sont ensemble. C’est Boby qui monte sur son lit, chaque matin, pour le réveiller et l’accompagner à l’école. Arrivé au seuil de la classe, il s’allonge ou s’assoie sur sa croupe en attendant la récréation ou la fin des classes pour trottiner à ses côtés ou jouer avec lui.  Avec les années, la robe de Boby est devenue bleue parce que les poils noirs se sont défraîchis et, les années passant, il regarde les gens avec des yeux doux et insistants à cause de la myopie.

Ainsi se passait la vie, et s’égrenaient les jours heureux à Jelgo jusqu’à ce matin sombre où les hommes enturbannés et portant des armes de guerre ont déchiré le silence de l’école avec les bruits de leurs motos. Ils ont été accueillis par les aboiements de Boby. Quand ils sont descendus de leurs motos et ont commencé à tirer en l’air, tous les élèves ainsi que les maîtres se sont jetés au sol. Le chien est entré dans la classe et est venu s’asseoir sur son séant à côté de son ami, tout en redoublant d’aboiement. Quand un des hommes en noir a voulu pénétrer dans la classe, Boby s’est jeté sur lui et l’a mordu aux bras. Il a poussé un cri, a laissé tomber son arme et s’est enfui. C’est ensuite que ces hommes sont revenus à trois, ont tiré sur lui et l’ont atteint au ventre et au cou. Il saignait abondamment. Benoît a essayé de le porter, mais ses forces l’avaient subitement abandonné et il avait déposé le chien au milieu de la cour, baignant dans son sang.

Ensuite, ils ont rassemblé les élèves et les enseignants et leur ont ordonné de quitter le village sinon ils reviendraient les massacrer tous. Ils sont repartis avec les maîtres et la directrice sur leurs motos. C’est ainsi qu’après leur départ, tout le village s’est vidé en une journée. Sur des charrettes, à dos d’âne ou sur des vélos, les habitants de Jelgo sont partis vers la ville la plus proche. Benoît, n’ayant pas sa maman avec lui, est parti avec sa jeune tante Rosine qui leur tient désormais lieu de tutrice. Sa tante lui a dit que Boby était mort. Ils ont marché un jour et une nuit avant d’arriver dans une ville. Là, ils ont été accueillis dans un camp de déplacés, et leur quotidien est dorénavant fait d’attente et de déception. La vie au camp est morne, avec ce bleu ONU des tentes qui bouche l’horizon et cette promiscuité qui fait que l’on a le sentiment d’être coincé dans un marché de village. Et ici, tout est rationné. La quantité d’eau à se servir à la citerne pour boire et pour se laver, la quantité de repas par famille et par semaine, et pour entrer en possession ce cette ration, les hommes et les femmes s’alignent longtemps, sous le soleil, se bousculant et se disputant comme des mendiants avant d’être servis. Le vent qui souffle sur le camp fait vibrer les tentes et distille un air sinistre dans l’air. Benoit n’aime pas ce vent qui le rend tristounet.

 

Une triste nuit de la Nativité

 

Benoît passe désormais son temps dans ce camp entouré de barbelés et gardé nuit et jour par les militaires.  Il ne peut même pas sortir pour aller se promener dans la ville. Ils sont tous confinés et ne reçoivent que des visites sporadiques d’officiels qui viennent leur faire l’aumône sous les flashes des journalistes. Pas de terrain de sport où courir derrière un ballon pour oublier un peu son triste sort, pas d’espace de jeux. Rien !

Quand ses souvenirs le ramènent à Boby, il ne peut retenir ses larmes. Quand Tante Rosine s’en aperçoit, elle le console en lui disant qu’il aura un autre chien quand ils repartiront chez eux, dans leur village. Mais elle ne peut pas comprendre, Tantie Rosine, qu’il ne veut pas d’un autre chien, car aucun chien ne peut remplacer le vide que Boby a laissé dans son cœur. Benoit pense quelquefois, lorsque sa tristesse est très grande, qu’il serait bien de mourir pour retrouver son ami au ciel. Mais rapidement il se ressaisit, car il a appris que c’est mal de penser ainsi. Il se contente de demander dans ses prières à Dieu de ramener son ami, car Lui seul a ce pouvoir. Il a fait revenir son fils Jésus de la mort selon le catéchiste de Jelgo.

Il y a quelques jours, quand les assistants sociaux sont venus lui dire d’écrire une lettre au père Noël pour lui dire ce qu’il désire comme cadeau, il a écrit simplement au feutre sur la feuille de papier qu’il a pliée en quatre : ramène Boby et retourne-nous à Jelgo. Il sait bien que le père Noël n’est pas Dieu pour ressusciter les morts et il pense qu’à la lecture de ses vœux, le père Noël sera bien embêté, mais ce sont ses vœux. Assis sur un bidon qui lui sert de siège, devant leur tente, il sourit intérieurement en pensant à l’embarras du père Noël.

Et puis son attention est attirée par les gens qui s’affairent dans le camp. Des ouvriers s’activent à dresser un chapiteau. Là où se dérouleront les activités de la nuit de la Nativité. Certains déplient une immense toile orange tandis que d’autres plantent dans le sol des sardines, ces longues tiges de fer pour y attacher les cordelettes qui retiennent la structure de la tente au sol. Un peu plus loin, un groupe de six gamins finissent de construire une crèche faite de bric et de broc récupérés dans le camp. Des travailleurs sociaux descendent un immense arbre de Noël d’un tricycle sous le regard ébahi des enfants. En voyant le sapin, il songe à l’hébètement du père Noël au sujet de sa demande. Il sourit en pensant que le vieil homme à la barbe blanche ne peut pas mettre Boby dans sa hotte…

 

Bientôt nous retournerons dans notre village

 

C’est tout à ses pensées qu’arrive midi. Le soleil monte dans le ciel, et ses rayons deviennent brûlants, alors Benoit rentre sous la tente et s’assoupit. Dans son sommeil, il sent quelque chose d’humide qui lui frôle le visage. D’instinct, il porte la main là et ses doigts touchent quelque chose de dru comme des poils. Sa main avance dans l’exploration, suit les contours de la forme et redescend. Il sent que sa main est retenue dans un fourreau humide et dru. Comme dans une gueule de chien. Alors Benoit ouvre les yeux et qu’est-ce qu’il voit ! Boby. Son compagnon poilu est assis au-dessus de lui, tenant sa main dans sa gueule. Alors il l’attrape par l’encolure et le serre fort. En poussant un long cri de joie. Le chien aussi pousse un long aboiement qui déchire la torpeur du camp. La garde et des curieux accourent vers la tente d’où viennent les cris mêlés de l’enfant et du chien. Ils trouvent Benoît et Boby en train de folâtrer et comprennent qu’il n’y a aucun danger. D’ailleurs, Tantie Rosine entre deux sanglots de joie explique à l’assemblée des curieux que ce chien-là, Boby qu’on l’appelle, tout le monde le croyait mort et voilà qu’il surgit ici, en plein jour, dans le camp, trompant la vigilance des gardes à l’entrée et retrouvant sans coup férir la tente de son petit maître.

Après le départ des badauds, Benoit examine bien son compagnon. Il a des touffes de poils arrachées au cou et sur le flanc, là où les balles ont laissé des cicatrices. Boby a toujours la même robe noire délavée qui vire au bleu et quelques touffes blanches sur la tête. Comme par enchantement, la bonne humeur de Benoit est revenue. Un large et long sourire flotte sur son visage tandis que ses doigts farfouillent le pelage de Boby. Maintenant la nuit est tombée sur le camp. Le vent de décembre souffle toujours sur les tentes, mais ce soir, son bruit est agréable à l’oreille de Benoît. Tandis qu’il serre son chien dans ses bras, la lune sort brusquement de sa cachette et éclaire le camp d’une lumière laiteuse. Les étoiles ont un éclat singulier dans la nuit de Noël. Le chapiteau orange étincèle dans la nuit. Bientôt Benoît et Boby s’y rendront pour célébrer la Nativité.

L’enfant se tourne vers son chien et lui confie, sérieux : « Tu ne vas pas me croire…j’ai demandé deux choses au père Noël : d’abord, qu’il te ramène ici et voilà que tu es là ; ensuite que l’on retourne dans notre village reprendre la vie paisible que nous vivions avant la venue des méchants. Et je suis sûr que bientôt, ce sera fait. On va retrouver maman aussi ». Boby ponctue la tirade de son ami d’un long jappement tout en frétillant de la queue comme pour dire que les miracles sont possibles et il suffit de les désirer fortement pour qu’ils surviennent.

 

Saïdou Alceny Barry

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