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Conférence de Berlin sur la crise libyenne : Qui veut la paix …renforce ses positions

Signeront, signeront pas le communiqué final qui décrit le cadre global du processus de paix auquel est censé avoir abouti la conférence de Berlin sur la Libye qui s’est tenu hier ? A l’heure où nous mettions sous presse, le huis clos des chefs d’Etat et des personnalités invités à cette rencontre était achevé dans la capitale allemande, mais son communiqué final n’était pas paraphé par les frères ennemis libyens.

 

On attend donc de voir leur réaction les heures et jours à venir non sans faire remarquer que cette conférence a fait le plein de participants : ainsi, autour de la chancelière allemande, Angela Merkel, et du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, on a noté la présence de Vladimir Poutine de la Russie, d’Emmanuel Macron de la France, de Giuseppe Conté de l’Italie, de Recep Tayyip Erdogan de la Turquie, d’Ursula von der Leyen  de l’Union européenne, de Mike Pompeo des Etats-Unis, de Moussa Faki Mahamat de l’Union africaine et on en oublie.

 

La belle brochette de participants à cette conférence a été à l’aune des efforts diplomatiques déployés par le gouvernement allemand, sous le parrainage de l’ONU, pour éviter que le pourrissement de la situation libyenne n’entraîne une internationalisation de ce conflit qui perdure depuis bientôt 9 longues années. Cette participation a été aussi dictée par les enjeux sécuritaires, économiques et géostratégiques induits de l’effondrement du régime de Mouammar Kadhafi. C’est connu, le vide institutionnel qui s’en est suivi n’a pas seulement déstructuré ce pays, perturbé l’exploitation de ses ressources pétrolière et gazeuse, il a aussi affecté la sécurité des pays du Sahel, aggravé l’émigration clandestine vers l’Europe et plombé la réalisation de projets économiques majeurs dont le plus emblématique est celui d’East Med, la construction d’un gazoduc d’Israël à l’Europe de l’Est en passant par Chypre. Par ailleurs, la nature du régime politique qui pourrait émerger des ruines de la Jamahiriya arabe de feu Mouammar Kadhafi préoccupe au plus haut point des pays du Proche-Orient, notamment l’Egypte ou les Emirats Arabes Unis. Autant de raisons qui ont pu, directement ou indirectement, en ajouter à la fournaise libyenne qui n’en finit pas de donner le tournis aux diplomates des Nations unies, de l’Union européenne, de l’Union africaine et de la Ligue arabe.

 

De fait, les rencontres pour trouver des solutions à cette crise se suivent et se ressemblent par leurs échecs retentissants pendant que les immixtions étrangères s’intensifient au point d’avoir complexifié énormément la résolution du conflit. En effet, dernière les deux chefs de guerre qui contrôlent peu ou prou l’ouest du pays pour Fayez el-Sarraj et l’est pour Khalifa Haftar, se sont constituées des alliances informelles qui n’en pèsent pas moins lourdement sur le cours du conflit. Des alliances qui reflètent les intérêts contradictoires de pays qui se bousculent pour, à défaut d’avoir une mainmise totale sur la Libye, influencer l’un ou l’autre des deux camps qui en contrôle une partie : à Fayez el-Sarraj, le soutien intéressé de la Turquie, du Qatar, etc.,  qui ternit la légitimité à lui octroyée par la communauté internationale. A Khalifa Haftar l’aide appuyée de la Russie, de l’Egypte et de l’Arabie saoudite, entre autres, qui le fait rêver d’un destin à la tête de la Libye.

 

Avec de tels appuis, les deux chefs de faction ne peuvent pas ne pas faire la sourde oreille aux résolutions des Nations unies et de l’Union africaine, notamment celles portant sur l’embargo sur les armes, le désarmement des milices, l’interdiction de l’occupation du territoire par des forces étrangères, qui auraient permis depuis longtemps de circonscrire l’incendie et d’éteindre le feu de la guerre civile. La conférence de Berlin a réitéré la pertinence de ces résolutions. Cela s’imposait, car  le transparent  gouvernement d’unité nationale de Fayez el-Sarraj et la prétendue armée nationale de Khalifa Haftar sont allés crescendo dans la radicalisation de leurs positions par des affrontements meurtriers récurrents qui ont permis au premier d’avoir le contrôle de 15% du territoire du pays avec 45% de la population et au second d’occuper 85% des terres où vivent 55% des Libyens. Les deux chefs de guerre sont néanmoins parvenus à un accord indécent sur le partage des ressources financières générées par l’exploitation de la manne pétrolière et gazeuse.

 

Comprenne qui pourra ce paradoxe de ne pas s’entendre sur des institutions étatiques unitaires mais de s’accommoder d’un partage des revenus du pétrole. Si ce n’est pas se complaire dans une logique immorale de prédation des richesses nationales, cela y ressemble fortement. Que Kadhafi, le patriote et nationaliste militant, doit se retourner dans sa tombe ! La Libye court un grand risque de partition de son territoire, car à l’annonce de la tenue de cette conférence de Berlin censée renforcer le cessez-le-feu, prélude à un accord de paix durable, chaque camp a renforcé ses positions militaires : ainsi, si le gouvernement de Tripoli a reçu en renfort 3600 combattants, des mercenaires syriens et des supplétifs de l’armée turque avec en sus des blindés et de l’artillerie antiaérienne, l’homme fort de l’est libyen ne s’est pas satisfait de la prise de Benghazi ; il a aussi ordonné l’occupation militaire des terminaux d’exportation du pétrole tout en consolidant ses positions autour de Tripoli. C’est comme dirait le dicton : « Qui veut la paix prépare la guerre.» Dans la situation libyenne, c’est qui veut un accord de paix renforce ses positions militaires.

 

Pourquoi ? Pour négocier avec  l’adversaire en position de force afin d’imposer une paix dans des conditions favorables à soi ou, le cas échéant, l’obliger à reculer avec la volonté de lui assener le coup fatal. Quoi qu’il en soit, El-Sarraj et Haftar sont allés négocier à Berlin le couteau entre les dents. Il faut donc être d’un optimisme mesuré quant aux suites de cette énième conférence sur la crise libyenne d’autant plus que les alliés extérieurs des deux camps rivaux, notamment la Turquie et le Qatar d’un côté, et la Russie et les Emirats Arabes Unis de l’autre, ne sont pas prêts à passer par pertes et profits leurs intérêts économiques ou géostratégiques.

 

Et si ces pays ne sont pas allés à Berlin pour déterrer la hache de guerre, ce serait un miracle qu’ils poussent leurs pantins de protégés à fumer le calumet de la paix. Ce ne serait pas faute pour Angela Merkel et Antonio Guterres d’avoir essayé. Dommage alors pour les populations libyennes et africaines si les hypocrisies diplomatiques des uns, les ambitions politiques des autres et les intérêts affichés ou cachés de tous conduisent de nouveau au crépitement des armes dans le golfe de Syrte.

La rédaction

Dernière modification lelundi, 20 janvier 2020 22:20

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