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Régime du Conseil de salut du peuple : La «part de vérité» de JBO

L’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo a dédicacé, le 25 janvier 2020 à Ouagadougou, le premier tome de ses mémoire, baptisé «Ma part de vérité» ; un ouvrage dans lequel le pédiatre ausculte le régime du Conseil de salut du peuple (CSP), et revient longuement sur son opposition ouverte à son Premier ministre, le capitaine Thomas Sankara.

 

 

Il aura fallu 38 ans pour que l’ancien président Jean- Baptiste Ouédraogo, qui a dirigé le Burkina du 7 novembre 1982 au 4 août 1983, revienne sur son bref passage à la tête de l’Etat ; un long silence que celui qui a été propulsé à la tête du CSP par un groupe de jeunes officiers justifie par le devoir de réserve qui était le sien et par un agenda personnel chargé.  «Je me préoccupais de ma propre réinsertion sociale, il fallait que je reconstruise ma propre vie, ma vie familiale, professionnelle.

 

Cela a pris du temps. Du temps pour m’organiser  personnellement, professionnellement, et me réorganiser sur le plan épistolaire, parce qu’il fallait que je restitue certaines vérités, il ne fallait pas le faire dans la précipitation», a expliqué le médecin-pédiatre de 78 ans. «Ma part de vérité»,  écrit par «devoir de mémoire», est une contribution de JBO à l’écriture de ce passé dont beaucoup de pans restent à éclaircir et à la réconciliation nationale.  Par le menu détails, il raconte tels qu’il  l’a vécu le déroulé de certains événements tels  le coup d’Etat qui l’a porté au pouvoir, celui marquant la fin de son pouvoir 8 mois plus tard, et l’arrestation du Premier ministre Thomas Sankara le 17 mai 1983. Il passe son pouvoir au stéthoscope, relève les contradictions en son sein, notamment les divergences frontales qui l’opposaient au Premier ministre, et évoque le rôle trouble joué par la Libye de Khadafi dans sa chute. Dans «Ma part de vérité», l’auteur fait dans le politiquement incorrect en ce qui concerne la personnalité du père de la révolution burkinabè, érigé en icône  intouchable par une jeunesse avide de modèle. Mais beaucoup de faits ont été travestis, et des vérités cachés à dessein, à en croire Jean-Baptiste Ouédraogo.

 

«Ma part de vérité» a pour ambition de rompre la dictature  du mensonge, et de rappeler  que le capitaine Thomas Sankara  n’était qu’un homme quelles que soient les qualités qui étaient les siennes. En plus d’être un homme politique, il était un homme public.  Et à ce titre, il est sujet à des critiques,  car il n’était ni ange ni démon ; comme tout homme, il était telle une médaille  avec ses deux faces : celle du bien, celle du mal. De telles sortes que ceux d’entre nous qui l’avons connu regardaient la face de la médaille qui leur convenait le mieux ; par contre la nouvelle génération, qui ne l’a pas connu, n’admire que la bonne face», explique le président-écrivain, qui dit être conscient que sa vérité   à lui peut «irriter, choquer, fâcher,  blesser et  faire mal à une certaine opinion». Même s’il n’est pas tendre envers le leader de la révolution d’août 83, qualifié de «rusé», de «manipulateur», l’auteur assure qu’il ne s’agit pas là d’un règlement de comptes et précise n’avoir rien contre son tombeur. Au fond, dit-il,  Thomas Sankara n’était que «l’otage d’un système qui l’a caporalisé et qui l’a rendu ce qu’il est devenu». Ceux qui tiraient les ficelles dans l’ombre selon lui : les idéologues du  Parti africain de l’indépendance (PAI) et son bras visible, la Ligue patriotique pour le développement (LIPAD)

 

 33 ans après la fin brutale de Sankara, Jean-Baptiste Ouédraogo reste convaincu qu’«il y avait plus d’ivraies que de bons grains dans la révolution». Mais ça, c’est une autre histoire qu’il promet d’aborder dans le second tome de son ouvrage.

 

Pour le préfacier, l’historien Domba Jean-Marc Palm, «par cet écrit,  le commandant Jean-Baptiste Ouédraogo rompt avec le fameux "secret-défense" qu’affectionnent nombre d’officiers pour se murer dans un silence assourdissant sur des informations relatives à l’évolution politique du pays ». Ce travail  de mémoire répond, a-t-il dit, enthousiasmé,  aux préoccupations des populations, surtout de la frange jeune qui méconnaît grandement le passé de leur pays».

 

Le parrain de la cérémonie de dédicace, le directeur de publication du quotidien L’Observateur Paalga, Edouard Ouédraogo,  lui aussi a félicité l’ancien président pour avoir «enrichi nos annales d’une œuvre dont la documentation rigoureuse, l’effort d’honnêteté et d’objectivité  en font une des meilleures –pour ne pas dire la meilleure-qui ait été écrite sur les prolégomènes de la Révolution d’août 1983.» Et si l’auteur confesse à la page 187 de son opuscule être «l’un des personnages les plus controversés de notre histoire», Edouard Ouédraogo estime que pour tous ceux qui ont lu ou viendront à lire son œuvre, «il n’est point de controverse qui vaille : il s’agit d’un homme de bonne volonté qui n’a jamais eu le vertige du pouvoir, mais qui s’y est vu entraîner par le destin à son corps défendant comme dans une tragédie grecque.»

 

Pour le ministre de la Culture, Abdoul Karim Sango, patron de la dédicace, pour qui «tous les héros ont leur part d’ombre»,  Jean-Baptiste Ouédraogo a fait preuve de beaucoup de courage et d’audace, car, estime-t-il «dans ce pays, pour formuler des critiques ou même des observations il faut être courageux».

 

Il ne croyait pas si bien dire puisque la cérémonie n’était pas achevée qu’a débutée  sur les réseaux sociaux une avalanche de réactions contre l’auteur et son ouvrage, la plupart très virulentes.

 

Hugues Richard Sama

 

 

Encadré 1

A chacun sa part de vérité

 

Au cours de la cérémonie d’ouverture, 7 témoins, acteurs majeurs de cette période dont certains ont côtoyé au plus près Thomas Sankara ont défilé pour donner leur «part de vérité» : le colonel Lona Charles Ouattara (capitaine à l’époque des faits) ; Jean de Dieu Somda (ministre) ; le colonel Jean-Claude Kambouélé (lieutenant) ; Odile Nacoulma (ministre) ; Jean-Hubert Bazié (proche collaborateur de Thomas Sankara) ; Edouard Kouka Tapsoba (ministre) et l’adjudant-chef-major Abdouramane Zetyenga (sergent). Tous ont livré des témoignages tout aussi poignants et captivants les uns que les autres : «Il y en a qui sont nés hier et crient trop alors qu’ils ne savent pas grand-chose de ce qui s’est passé», dira par exemple Jean-Hubert Bazié, qui était sous le CSP directeur de cabinet du ministre de la Justice et proche de Thom Sank ; Lona Charles Ouattara, camarade de Sankara depuis le prytannée, accréditera la thèse selon laquelle ce dernier était abreuvé dès l’adolescence des idéaux révolutionnaires du PAI ;  le colonel Jean-Claude Kambouélé, qui a été l’artisan opérationnel du 7 novembre 1982 et du 17 mai 1983, a sans langue de bois évoqué son rôle, qu’il a qualifié d’uniquement «militaire» :Thomas Sankara, très charismatique, «nous a bien utilisés»,  a indiqué celui qui allait finir par se rebeller contre son idole ; quant à Odile Nacoulma, l’une des deux femmes du dernier gouvernement de Jean-Baptiste Ouédraogo, elle garde un amer  souvenir des 12 mois de résidence surveillée qu’elle a passée sous le CNR et surtout de l’humiliation qu’elle a subie au QG des CDR après la fin de sa prison à domicile.

 

H.R.S.

 

Encadré 2

Invités de marque

 

Il y avait du beau monde à cette cérémonie de dédicace, qu’ils soient issus du monde de la politique, de la culture, de l’armée, ou autre. Au nombre des personnalités qu’on pouvait apercevoir dans la salle de conférences du CBC, l’ancien président de la Transition, Michel Kafando, qui fut d’ailleurs ministre des Affaires étrangères du CSP ; le chef de file de l’opposition politique, Zéphirin Diabré,  deux anciens Premiers ministres,  Kadré Désiré Ouédraogo et Luc Adolphe Tiao, le président de Le Faso autrement, Ablassé Ouédraogo, Léonce Koné du CDP. L’ancien ministre de la Culture Baba Hama assurait la modération des échanges ; et Lionel Bilgo, un des analystes  les plus en vue en ce moment sans les médias, la maîtrise de cérémonie. La présentation de l’ouvrage, de 260 pages, a été effectuée par le sémiologue et écrivain le Dr Dramane Konaté, qui a confronté les lignes écrites par JBO à  certains ouvrages sur Sankara pour en accréditer les thèses.

 

H.R.S.

 

Encadré 3

Quelques extraits sur Sankara

 

«Thomas, qui semblait insensible aux charmes du pouvoir qu’il redoutait en fait au lendemain du 7 novembre, jetait brusquement le masque et, fort de l’appui de Jean-Claude Kambouélé, son ardent défenseur du jour, nous imposait la création du poste de Premier ministre…»

 

 «Les difficultés du CSP ont commencé avec la nomination de Thomas Sankara comme Premier ministre. Effectivement, c’est à partir de cet instant que l’ouragan politique va s’emparer du pays, entraînant délire verbal, diplomatie souterraine, parallèle et tortueuse, actes d’indiscipline notoires et bien d’autres hauts faits hystériques».

 

«Certes, j’avais des doutes sur la pureté des intentions de Thomas et de ses hommes de main. Mais, habile manœuvrier doublé d’un opportunisme insoupçonné et d’un courage politique tenace forçant l’admiration, il a su, par ruse, cacher son jeu à tous, adversaires et partenaires, qu’il n’a pas hésité à exploiter les uns contre les autres quand et comme il fallait. C’est cela aussi la volonté et l’ambition ! »

 

« Un programme d’action aussi simple et aussi réaliste aurait pu être réalisé dans les limites des deux ans n’eussent été les improvisations et le comportement d’un Thomas Sankara entouré le jour d’adulateurs prompts à vanter ses mérites et  à clamer ses éloges, et la nuit d’une horde d’idéologues et de stratèges se réclamant tantôt de Tirana, tantôt de Pékin ou de Moscou mais toujours s’identifiant tous au communisme.

 

Lui qui voulait pourtant acquérir la réputation d’homme habile à manier les hommes apparaissait, plutôt à mes yeux, comme un homme habilement manipulé. Son obsession pour la popularité et sa soif morbide du pouvoir semblaient l’avoir délié de tout engagement vis-à-vis de la solidarité gouvernementale et du secret des délibérations du Conseil des Ministres. Pour le premier membre du gouvernement, c’était tout simplement intrigant.

 

Et cela l’était d’autant plus qu’il ne manquait aucune occasion pour rappeler, haut et fort, qu’il était le chef du gouvernement. Le fait de se faire pompeusement appeler le « PM », son goût subit et de moins en moins caché de paraître en public et d’occuper les manchettes des journaux sans oublier son inclination de plus en plus ouverte pour les honneurs dépeignent éloquemment le caractère grotesque sinon inique mais habile du personnage sans rien dévoiler de ses intentions ni de ses ambitions…Une telle attitude de politique spectacle, qui n’a rien à envier à la politique politicienne, condamnée par nous à cor et à cri, me rendait de plus en plus perplexe et laissait augurer un inévitable affrontement».

 

Source : « Ma part de vérité »

 

Dernière modification lemardi, 28 janvier 2020 00:38

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