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IUTS : Genèse d’un impôt avec un de ses géniteurs

 

Il a fait partie, entre 1966 et 1970, des vingt-cinq membres de la Commission de la fiscalité mise en place par le ministre des Finances d’alors, le célèbre intendant militaire Tiémoko Marc Garango ; commission  dont les travaux ont abouti à la création de ce qui a été baptisé Impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS), une parade qui avait été trouvée pour pallier le faible taux de recouvrement de l’impôt qui, jusqu’à cette date, se faisait par la procédure de la déclaration annuelle et personnelle des revenus des travailleurs. Bien qu’étant à la retraite depuis 28 années, tonton Pascal Bonkoungou, puisque c’est de lui qu’il s’agit, ancien administrateur des services financiers, n’a rien perdu de ses réflexes dans son domaine de prédilection et surtout aucun document de son passage dans l’administration financière ; lui qui s’est constitué un bureau d’archives à son domicile de Kamsaoghin à Ouagadougou. C’est d’ailleurs à l’issue d’une brève visite en ces lieux, considérés comme sa mémoire dans la fonction publique nationale et sous-régionale, qu’il nous a reçus, le 4 février 2020, pour parler de cet impôt qui fait couler beaucoup d’encre et de salive ces derniers temps. Le Code général des impôts 2018, bien en exergue dans ses documents réunis pour la circonstance, Pascal Bonkoungou a déclaré que  l’application de l’IUTS aux primes et indemnités des travailleurs du public n’est que justice même s’il relève une mauvaise communication sur cette affaire.

 

Qui est Pascal Bonkoungou pour ceux de nos lecteurs qui ne le connaîtraient pas ?

 

 

 

Je suis un administrateur des services financiers à la retraite, commandeur de l’Ordre du mérite. J’ai fait mes premiers pas dans la fonction publique en septembre 1957 en qualité de commis expéditionnaire à la Direction locale des finances. J’ai suivi les trois cycles de l’Ecole nationale d’administration (ENA). Entre 1957 et 1963, j’ai servi aux finances d’Etat, une section de la Direction locale des finances rattachée au Bureau du gouverneur. Dans cette cellule, je m’occupais de l’établissement des mandats qui intéressaient les colons d’alors. Toute l’administration était coiffée par ces derniers (Commandant de cercle, chef de subdivision, etc.) ; tous avaient des droits qui étaient traités sur place dans les finances locales. Avec l’évolution politique, le gouverneur sera remplacé par le haut-commissaire et, par la suite, on parlera de premier ambassadeur. J’ai suivi cette évolution en étant du côté français; ils m’ont gardé à leurs côtés et j’étais le dépositaire comptable. Dans la nuit du 5 août 1960, avec la proclamation de l’indépendance de la Haute-Volta par le président Maurice Yaméogo, le palais revenait de fait au nouvel Etat. J’ai été celui-là qui fit l’inventaire de tout ce qui s’y trouvait. De 1964 à 1978, j’ai été à la Direction du budget, précisément au Service du budget et des comptes. Avant de m’y installer, en 1966, quand Tiémoko Marc Garango, alors capitaine, a été appelé au gouvernement, il m’a fait monter les archives du ministère des Finances et du Commerce, estimant que j’étais le mieux organisé. De 1979 à 1983, j’ai été détaché comme administrateur des services financiers à l’agence comptable de l’Office des postes et télécommunications (OPT). En janvier 1983, on a mis fin à ce détachement, et j’ai été nommé premier directeur des Affaires administratives et financières (DAAF) à la présidence de la République sous le président Jean-Baptiste Ouédraogo. En juillet 1984, j’ai été nommé directeur général du Budget (DGB), et j’ai été confirmé avec l’arrivée du CNR (Conseil national de la révolution). Trois  années plus tard, le 15 octobre 1987 précisément, j’ai été nommé par Kiti premier directeur général de la CARFO (Caisse autonome de retraite des fonctionnaires), parce qu’auparavant, avec la dissolution de la Direction générale du budget, j’avais été chargé, avec deux autres personnes, d’effectuer des missions dans des pays voisins dans le but de proposer des textes pour la création de cette structure. Le 15 mars 1988, j’ai été détaché à la CEAO (Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest), l’ancêtre de l’UMOA (Union monétaire ouest-africaine). De cette date à la liquidation de la CEAO, j’étais responsable du Département budget et finances. Enfin, je comptabilise 28 ans de retraite à ce jour.    

 

   

 

Vous êtes l’un des témoins vivants de l’histoire financière de notre pays, ex-Haute-Volta, actuel Burkina Faso. Jusqu’à l’avènement du régime de Sangoulé Lamizana en 1966, comment était payé l’impôt par les agents tant du public que du privé ?

 

 

 

Avant l’indépendance de la Haute-Volta, les travailleurs, ceux du privé comme du public, payaient un impôt annuel. Le reste de la population, dans les villes et les campagnes, le faisait aussi à travers l’impôt de capitation. Cela était précédé par le passage du collecteur, du recenseur, il y avait toute une chaîne à suivre avant le paiement. Ces agents prenaient les informations auprès des intéressés, repartaient et ramenaient des documents qu’on appelait des avertissements. Ils les remettaient au chef du village qui, lui, les acheminait dans les concessions, et c’était généralement par tête d’habitant.

 

Pour les fonctionnaires et les travailleurs du privé, c’était différent, puisque cette couche, lettrée, était tenue, chaque année, de faire une déclaration annuelle et personnelle de ses revenus sur des imprimés remis par le service des impôts. Quand les travailleurs (public et privé) les remplissaient, généralement au mois d’octobre et de novembre, au mois de mai de l’année suivante, ils recevaient, eux aussi, un  avertissement, qui contenait en réalité les éléments qu’ils ont déclarés l’année précédente et précisait les montants pour chaque travailleur qui devaient être payés au Trésor à compter de la notification. Les éléments qui entraient en compte étaient au nombre de quatre ou cinq : l’impôt cédulaire, l’impôt progressif sur le revenu, le minimum forfaitaire et la taxe de voirie.

 

Avec ce procédé, si un  contribuable ne s’exécutait pas, il y avait forcément une déperdition fiscale. La personne pouvait faire sa déclaration annuelle et personnelle, recevoir l’avertissement et ne pas le payer parce qu’il n’y avait ni contrainte ni pression. Après l’indépendance, nous avons continué ainsi avec le président Maurice Yaméogo. Puis il y a eu le 3 janvier 1966 avec le soulèvement populaire dont l’un des éléments déclencheurs a été la proposition de diminuer les salaires des fonctionnaires. Après cette date, quand le président Aboubacar Sangoulé Lamizana est arrivé au pouvoir, il a constitué son équipe et fait venir l’intendant militaire Tiémoko Marc Garango de France à qui il a confié le portefeuille des Finances. De 1966 à 1970, celui-ci avait fini par comprendre le mécanisme. Les services du Trésor avaient également fait le point en précisant le nombre d’avertissements émis chaque année, pour la masse de travailleurs, et nous nous sommes rendu compte qu’il y avait beaucoup d’impayés à recouvrer, avec des caisses pratiquement vides. Le ministre des Finances qu’il était a donc créé une Commission de la fiscalité forte de 25 membres, notamment des premiers responsables des régies de recettes (Impôts, douane, domaines, Chambre de commerce) dont j’ai fait partie. Les travailleurs ne voulaient pas payer plus d’impôts, et tous d’ailleurs ne payaient déjà pas ce qui était imposé. La question, c’était alors que faire ? Et c’est ainsi que l’on parla de l’IUTS (Impôt unique sur les traitements et salaires).  

 

              

 

Après la genèse de cet impôt unique, qu’est-ce qui est ressorti des travaux de ladite commission ?

 

 

 

Elle a proposé au ministre qu’il n’y ait plus d’établissement de déclaration annuelle et personnelle sur les revenus. Nous avons trouvé que la  collecte était assez compliquée, et nous l’avons supprimée. Au regard des caisses vides et de la montagne de restes à recouvrer, nous ne pouvions pas non plus dire aux salariés de se mettre à jour, puisqu’on voulait calmer la situation. Nous avons opté d’en faire donc table rase, en annulant le passif. Et c’est ainsi qu’est venu l’IUTS, qui a rassemblé les différents impôts. Mais comment avoir les éléments pour la taxation, c’est-à-dire établir la base imposable ? C’était là encore une autre paire de manches. Au lieu de considérer les revenus, nous avons ciblé le salaire, créé ce qu’on appellera l’IUTS qui, lui, prendrait en compte tous les éléments de la taxation qui existaient. Sur cette base, nous avons déterminé un montant annuel qu’on allait diviser en douze et présenter à l’employeur, qu’il soit du public ou du privé, le montant à retenir et à reverser au Trésor chaque mois. Avec l’institution de cet impôt en 1971, dès le mois de janvier, l’argent est rentré régulièrement. Le gouvernement avait instauré un budget d’austérité et de rigueur tant et si bien qu’on ne dépensait pas à la volée, cela se faisait dans les limites de ce qui était disponible, le principe étant même de dépenser moins que ce qui était autorisé.     

 

 

 

Comment se faisait concrètement cette imposition ? Quels éléments de la rémunération étaient concernés, en français facile ?

 

 

 

Chez le fonctionnaire, c’est simple. C’est le salaire de base plus l’indemnité de résidence moins la retenue pour pension ou l’assurance-vieillesse qui donne la base imposable. En plus, l’imposition ne se fait pas n’importe comment. Qu’ils soient du public ou du privé, deux célibataires par exemple travaillant chez le même employeur, ayant le même salaire, avaient le même impôt à payer. Mais si l’un d’entre eux a un enfant, il a déjà ce qu’on appelle une charge dont on doit tenir compte dans le calcul de l’IUTS. A plus forte raison s’il se marie et  est père de deux, trois, quatre enfants, etc. Ce qui fait que, dans le barème, il y a jusqu’à sept charges à considérer selon le salaire du fonctionnaire qui est pris comme indice.

 

Dans le privé, c’est plus difficile parce que les services de l’Etat n’ont pas une emprise sur les salaires. Le salaire, pour moi, c’est le chiffre sur lequel l’employeur et l’employé se sont accordés, pourvu qu’il respecte le minima. Le privé n’a souvent pas de barème même s’il y a des conventions qui fixent le salaire. Le système de pension est tel que, plus la somme qui sert de calcul est élevée, mieux ça vaut. Pour le privé, quand on parle de salaire brut, ce n’est pas le même contenu que pour le fonctionnaire. Dans le privé, tout est pris en compte (salaire et indemnités) si bien que l’administration avait réfléchi à comment soulager ce privé. C’est ainsi par exemple que, selon un certain pourcentage, si le plafond de l’indemnité n’est pas dépassé, elle ne subit pas d’imposition. La masse salariale pour la Caisse nationale de sécurité sociale (chargée de gérer les cotisations du privé) était plafonnée à 200 000 francs CFA. A l’époque, il y avait très peu de fonctionnaires qui gagnaient ce montant mais, de nos jours, ils sont plus nombreux.

 

 

 

De nos jours justement, cet impôt fait des gorges chaudes au niveau de la fonction publique. Quelle est votre appréciation là-dessus ?

 

 

 

Au niveau de la fonction publique, il y a eu des indemnités qui se sont greffées aux salaires bruts et aux indemnités de résidence. En voulant faire les abattements pour le privé, les circulaires, les directives qui montraient comment calculer l’IUTS n’ont pas mis l’accent sur les fonctionnaires parce qu’à ce moment leurs indemnités étaient insignifiantes. Mais avec le temps, elles ont évolué, si bien qu’elles entrent désormais dans la limite, pour certains. Voilà pourquoi la loi des finances de 2020 dispose que ce sont ceux qui perçoivent des indemnités trop élevées qui seront taxés, tout comme on faisait pour le privé. Ce n’est que justice. Concernant la polémique actuelle, je pense qu’il y a eu une mauvaise communication, cela n’a pas été bien expliqué. Je retiens ce que le directeur général des Impôts a déclaré, à savoir que, pour ce qui est de cette mesure de l’IUTS, ce sont 10% des fonctionnaires qui seront touchés ; autrement dit qui auront leurs salaires diminués.   

 

Certains pensent qu’on peut supprimer cet impôt, mais personnellement ce n’est pas mon avis. Même si cela est possible, encore faut-il trouver ce qui doit être fait pour le remplacer.  

 

 

 

Il était question, à votre époque, d’impôt cédulaire. En quoi cela consistait-il ?

 

 

 

C’est l’un des impôts qui ont été supprimés, tout comme l’impôt progressif sur le revenu, le minimum forfaitaire et la taxe de voirie. Ce sont ces éléments qui ont été remplacés par l’IUTS, retenu à la source à l’aide d’un barème spécial.

 

 

 

Qui était feu le général Tiémoko Marc Garango pour vous qui l’avez côtoyé ?

 

 

 

C’était quelqu’un qui aimait tellement l’ordre que, dès qu’il est rentré au pays, après les événements du 3 janvier 1966, il m’a dit de m’occuper des archives de notre secteur vu leur importance. Ce travail a été accompli correctement, et nous avons eu les félicitations de l’UNESCO. J’ai été par la suite à l’ENA, je suis revenu aux Budget et Comptes où j’ai travaillé directement avec lui. D’autres ont migré vers des services comme la douane, mais moi j’y suis resté, parce qu’il l’a voulu. C’était quelqu’un d’exigeant, de rigoureux, qui nous a fait beaucoup travailler. Il aimait la ponctualité, ce qui nous manque de nos jours. Au ministère des Finances, si quelqu’un arrivait à 7h moins cinq minutes, ou à 15h moins cinq minutes, il se croyait déjà en retard puisque tout le monde était déjà installé. Il aimait que son cadre de travail soit propre et a introduit au ministère le slogan ‘’Gardons les lieux propres’’. C’était un homme très fin, très humain. C’est lui qui m’a proposé pour ma première décoration en 1974, j’étais le plus jeune des récipiendaires.

 

   

 

Après 28 années de retraite, vous respirez toujours apparemment la forme. Quel est votre petit secret et à quoi vous occupez-vous ?

 

 

 

(Rires)… Le gène familial y est pour quelque chose. Mes géniteurs ne sont plus depuis seulement une douzaine d’années. De plus, mon épouse, avec qui nous célébrerons cette année nos 60 ans de vie commune, est de la santé et veille sur moi comme il se doit.

 

De nos jours, j’éclaire des gens sur les problèmes de sécurité sociale, qu’ils soient fonctionnaires ou travailleurs du privé ou encore leurs ayants droit. Je fais des recommandations, j’aide ces personnes à monter leurs dossiers, en somme un travail de conseil. Ce sont des activités qui me rendent toujours actif. Et je suis un catholique, j’aime le contact avec l’autre. Mais si je me rends compte que mon interlocuteur est agressif, je replie immédiatement dans ma cour que je referme à double tour.      

 

 

 

Interview réalisée par

 

Aboubacar Dermé

Avec la collaboration d’O. Sidpawalemdé

Dernière modification ledimanche, 09 février 2020 16:24

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