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Laurent Pooda, procureur général de Ouaga : «Ça ne me pose aucun problème de comparaître devant une juridiction»

 

Le procureur général de la Cour d’appel de Ouagadougou, Laurent Pooda, est visé par la justice suite à une plainte déposée contre lui par Ousmane Guiro, ancien directeur général des douanes qui le poursuit pour bris et enlèvement de scellés et toute autre infraction qui sera révélée. Cette plainte fait suite à la décision de Laurent Pooda de faire ouvrir les fameuses cantines de Guiro afin d’injecter leur contenu (près de deux milliards de francs CFA) dans le circuit financier. L’affaire était à la barre de la chambre criminelle de la Cour de cassation le 07 février 2020 mais a été renvoyée au 06 mars prochain.

 

 

C’est au sujet de cette affaire que nous nous sommes entretenus le 11 février 2020 avec le procureur général. Un entretien que nous vous proposons ci-dessous en intégralité.

 

 

 

Le vendredi 07 février 2020, vous avez été appelé à la barre lors de l’audience de la Chambre criminelle de la Cour de cassation suite à une plainte de l’ex-DG des Douanes, Ousmane Guiro. Quel est le fond du problème ?

 

 

 

C’est une affaire qui est pendante et je ne peux pas me prononcer dessus. Tant qu’elle n’est pas judiciaire, on peut se permettre d’en parler, mais dès lors qu’elle entre au prétoire, permettez-moi de ne pas en dire plus. Pour tous ceux qui veulent comprendre ce qui se passe, il y a les audiences. Du reste, je dois préciser que cette procédure à la Cour de cassation n’a pas pour vocation d’aborder le fond de l’affaire mais de désigner la juridiction qui se chargera de l’instruction et/ou du jugement. Ce n’est pas plus que cela.

 

 

 

On sait néanmoins que les fameuses cantines de Guiro sont au centre du litige. Le plaignant dit n’avoir pas été associé aussi bien à leur ouverture qu’à l’injection de l’argent dans le circuit financier. Est-ce que, juridiquement, il fallait l’impliquer ?

 

 

 

Vous usez d’un détour, mais je vous répète qu’on n’abordera pas le fond de cette affaire. Mais plus généralement l’affaire Guiro a été enrôlée à la session de la Chambre criminelle de juin 2015. Le 20 janvier, il y a eu une décision qui a été rendue (Ndlr : deux ans de prison avec sursis, 10 millions de francs CFA d’amende, confiscation des scellés à hauteur de 900 millions). Le parquet, que je représentais, n’a pas été satisfait de cette décision, et nous nous sommes pourvus en cassation. La Cour de cassation s’est réunie dans la foulée et a cassé l’arrêt ; c’est-à-dire que nous sommes revenus à la case départ. La Cour de cassation a désigné la Cour d’appel de Ouagadougou, mais dans une composition autre que celle qui avait connu de l’affaire, pour la rejuger. Du coup, tout repart de zéro.

 

Notre souci à présent est qu’une session de la Chambre criminelle soit organisée à Ouagadougou pour que ce dossier soit réexaminé. Nous voulons même que ce dossier prenne fin pour que les uns et les autres puissent être situés.

 

Les cantines dont vous parlez font partie effectivement du dossier sur lequel la Cour a eu à statuer. Elle a reconnu M. Guiro coupable, et l’a sommé à reverser 900 millions de francs CFA. C’est peut-être pourquoi il pense que le reste de l’argent doit lui revenir…

 

 

 

Vous ne pensez donc pas que le milliard restant doit lui revenir ?

 

 

 

Dès lors qu’il y a eu un pourvoi en cassation, cela veut dire que l’arrêt est anéanti. Le pourvoi remet tout à zéro.

 

 

 

Mais quatre années pratiquement après, puisque la Cour de cassation a cassé l’arrêt en 2016, pourquoi ce dossier n’a toujours pas été programmé ?

 

 

 

Si vous avez suivi notre actualité ces derniers temps, nous peinons à avoir des financements pour organiser les assises criminelles. Ce n’est que l’année dernière et celle en cours que nos partenaires financiers ont dû intervenir pour que les sessions de la Chambre criminelle puissent se tenir.

 

 

 

Vous voulez dire que ça coûte beaucoup d’argent d’organiser les assises criminelles ?

 

 

 

Bien sûr, lorsque nous devons nous déplacer pour aller siéger à Ouahigouya par exemple, il y a des prises en charge qu’il faut assurer. Le plus souvent, ce sont des dossiers qui prennent du temps. Ce sont des audiences que l’on programme sur une semaine. Il y a l’hébergement, la restauration, ce ne sont pas les magistrats seulement, il y a le reste du personnel d’appui (les greffiers, les agents de sécurité, les maisons d’arrêt où il faut interner les accusés, leur nourriture, la notification des actes). Il y a aussi les honoraires des avocats…

 

 

 

Et ceux des jurés aussi…

 

 

 

Non, les jurés n’existent plus depuis l’adoption du nouveau Code de procédure pénale. On n’en parle plus, on a plutôt affaire à des magistrats professionnels. Le problème avec les jurés est qu’ils statuent et n’ont pas de compte à rendre à quelqu’un, ils donnent une décision sans que celle-ci soit motivée. Or, la réforme actuelle veut que ce soient des magistrats professionnels, et ceux-ci doivent motiver leurs décisions.

 

 

 

Peut-on avoir une fourchette des coûts pour la tenue d’une assise criminelle ?

 

 

 

Tout dépend du nombre de dossiers. Dans le temps, les honoraires des avocats étaient de l’ordre de 15 000 francs CFA par dossier. Pour un dossier où il y a dix accusés, l’avocat commis d’office qui les défendait avait 15 000 francs. Mais de nos jours, ce n’est plus par dossier que les avocats sont payés mais par accusé. Si vous prenez un dossier comme celui de Guénon (Ndlr : crise de chefferie opposant deux familles ayant occasionné, en mars 2012, plus d’une dizaine de victimes dans le Nahouri) qui fait plus de 80 accusés, il faut compter 80 avocats et verser 350 000 francs par accusé. Et ce ne sont que les honoraires. Vraiment, tout dépend du nombre de jours, du nombre de dossiers et du nombre d’accusés qui comparaîtront. En somme, ce n’est pas de notre faute si des sessions ne sont pas organisées ; c’est plutôt faute de moyens financiers. Pour ce qui nous concerne à la Cour d’appel, vers le mois de juillet passé, nous étions à plus de 660 dossiers criminels qui sont en état de recevoir jugement. Mais nous faisons des efforts pour qu’ils soient jugés. Nous avons eu la session de Ouahigouya, celles de Ouagadougou et de Léo. Bientôt, nous aurons celles de Manga, de Koudougou et espérons que d’autres se tiendront à Kaya, Dori et Ziniaré si nous avons des financements.

 

 

 

Revenons au cas Ousmane Guiro qui estime que la règle n’a pas été respectée dans la procédure d’ouverture des cantines. Il vous reproche de n’avoir pas pris de réquisition comme il se doit et de vous être contenté d’une simple lettre pour procéder à l’ouverture des cantines. Qu’est-ce qu’il en est exactement ?  

 

 

 

Le dossier est judiciaire, je le répète. M’exprimer en ce moment serait comme si je me défendais alors que je dois le faire devant la justice, au prétoire et les débats doivent être contradictoires. Ce sont des audiences publiques auxquelles tous ceux qui le veulent peuvent assister.

 

 

 

Le 24 mai 2019, quand vous avez ouvert les cantines, est-ce que les numéraires trouvés équivalaient au montant consigné ?

 

 

 

Tout cela fait partie du dossier, du fond de l’affaire. Mais soyez assuré que je présenterai mes moyens de défense en temps opportun.

 

 

 

Pour la réintroduction de l’argent dans le circuit financier, êtes-vous passé par les banques primaires ou le Trésor public ?

 

 

 

Comme je vous l’ai déjà dit, je ne peux pas me prononcer sur le fond du dossier. Donc je ne peux pas répondre à cette question puisqu’elle a trait au fond de l’affaire.

 

Cependant, il faut savoir qu’avant la réintroduction de cet argent dans le circuit financier, j’ai animé une conférence de presse à l’occasion de laquelle j’ai expliqué la raison pour laquelle j’ai accédé à  la requête des avocats de l’Etat, car je n’y voyais aucun inconvénient. Du reste, c’est vrai qu’on est parti au procès, mais on est là pour préserver les intérêts des justiciables. Ce qui fait que quand on pose des actes, c’est cet esprit qui nous anime. Mais j’ai des éléments que j’exposerai à l’audience lorsqu’il sera question du fond. Cependant, je le répète, l’audience du 6 mars vise à désigner une juridiction et non à discuter de l’affaire.

 

 

 

Selon nos informations, la totalité de l’argent n’aurait pas été injectée dans le circuit financier. Est-ce vrai ?

 

 

 

Je reste sur ma position. Je ne peux pas me prononcer sur la question. Tout sera dit à l’audience.

 

 

 

Avec cette procédure qui est engagée contre vous, quelles sanctions encourez-vous ?

 

 

 

Sur la base de la plainte, il est question d’infraction. Une infraction est une violation de la loi pénale. Elle est qualifiée de crime, délit ou contravention lorsqu’elle est grave, moins grave et pas du tout grave. Dans le cas d’espèce, «le bris et enlèvement de scellés» qu’on me reproche, mentionné dans la plainte, est un délit.

 

 

 

Est-ce qu’après la désignation de la juridiction qui va instruire le dossier, vous allez prendre congé de vos fonctions pour être à la disposition de la justice ?

 

 

 

En temps opportun, j’aviserai.

 

 

 

Dans l’histoire de notre pays, est-il déjà arrivé qu’un procureur général soit inquiété de la sorte par une procédure judiciaire ?

 

 

 

Je pense que c’est la toute première fois, dans l’histoire de notre pays, qu’un procureur général comparaît devant une juridiction. J’aurais bien voulu qu’il y ait une photo de cette scène pour que les gens voient à quel point l’Etat de droit est en train de fonctionner au Burkina Faso. Retournez plus d’une décennie en arrière, vous n’auriez jamais pu voir une chose semblable. Cela est, à mon sens, un signe de la vitalité démocratique de notre pays. Et ça ne me pose aucun problème de comparaître devant une juridiction. Je compare cette situation au fait d’être malade et d’aller à l’hôpital.

 

 

 

Qu’est-ce qui explique l’absence d’Ousmane Guiro à l’audience du 7 février dernier ?

 

 

 

Je pense qu’on a renvoyé l’audience, car le plaignant qu’il est ne s’est pas attaché les services d’un avocat dans cette affaire. Il n’a pas  personnellement été notifié. C’est donc peut-être pour cela qu’on a notifié la date de la dernière audience à ses avocats habituels dans le cadre du dossier ministère public contre Ousmane Guiro alors que ces derniers ne se sont pas constitués.

 

 

 

Mais quel avocat est constitué auprès de vous ?

 

 

 

Je n’ai pas d’avocat. La nécessité de m’attacher les services d’un conseil est conditionnée puisque nous ne sommes pas à la phase où je dois me défendre.

 

 

 

Dans quel délai la Cour de cassation pourra désigner la juridiction qui va instruire le dossier ?

 

 

 

Je n’en ai aucune idée. Cependant, à l’audience du 6 mars prochain, je ne sais pas si elle va mettre la décision en délibéré ou le faire sur le siège. Tout compte fait, on sera situé ce jour-là.

 

 

 

Est-ce que cette affaire ne va pas ternir votre image de procureur général ?

 

 

 

Je pense qu’il ne faut jamais préjuger. La loi est tellement bien faite que si ce cas arrive, on vous donne la possibilité de vous réhabiliter.

 

 

 

En somme, est-ce que dans cette affaire vous vous estimez clean et serein ?

 

 

 

Je ne peux y répondre car cela va m’amener une fois de plus à aborder le fond. Et quand vous parlez de sérénité, est-ce que je donne l’impression d’être perturbé (rires) ? Je ne le suis pas.

 

 

 

Oui, mais les apparences peuvent être trompeuses, monsieur le procureur général.

 

 

 

C’est peut-être vrai, mais je suis serein. Je veux bien apporter toutes les réponses aux différentes questions mais je ne peux le faire pour l’instant parce que le dossier est judiciaire, il est couvert par le sceau du secret. Les règles sont ainsi faites. Au-delà de ça, la justice doit avoir la primeur des moyens de défense. Donc je ne peux vous les livrer.

 

 

 

Dans cette affaire qui vous oppose à l’ex-DG des douanes, n’y aurait-il pas une sorte d’animosité ?

 

 

 

Je ne connais pas personnellement Ousmane Guiro. Aujourd’hui si vous me le présentez parmi  plusieurs personnes, ce n’est pas sûr que je puisse l’identifier.

 

 

 

Il a tout de même été directeur général des douanes du Burkina Faso…

 

 

 

Oui, mais je ne le connais pas. S’il avait été président du Faso, là, je le reconnaîtrais.

 

D’ailleurs pour mon cas personnel, je pense qu’il n’est pas évident que tout le monde me connaisse. La preuve en est qu’il y a des Officiers de police judiciaire (OPJ) qui sont sous mes ordres mais ne me connaissent pas.

 

Pour revenir à votre question, je n’ai jamais eu de contact avec le plaignant et je n’ai aucune raison d’être contre lui. Peut-être que lui il en a contre moi ? Je n’en sais rien. Quand la première affaire qui le concernait a débuté en 2011, j’étais conseiller à la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso. Je ne savais pas que j’allais être concerné par un tel dossier. C’est le hasard qui explique cela.

 

 

 

Il semble que Guiro a déposé sa plainte à l’Inspection générale des services, au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), à la Cour d’appel et au tribunal de grande instance de Ouagadougou et que c’est de ce dernier endroit que cette plainte a été transmise à la Cour de cassation. Pourquoi cela ?

 

 

 

C’est la procédure. Selon la loi lorsqu’un un magistrat est susceptible d’être poursuivi pour des faits de crime ou de  délit, le procureur compétent qui a été saisi de l’affaire a l’obligation de formuler une requête qu’il adresse à la Cour de cassation pour désigner une juridiction d’instruction et/ou de jugement qui doit connaître de l’affaire. C’est ainsi qu’après réception de la plainte, le procureur du Faso a fait la requête et comme la hiérarchisation fait qu’il doit passer par moi, il l’a envoyée à la Cour d’appel. Et c’est nous qui l’avons transmise à la Cour de cassation.

 

Cette démarche est une obligation quand il s’agit d’un magistrat, d’un maire, d’un OPJ, etc. C’est pour cette raison qu’on dit que c’est une procédure contraignante pour le procureur qui reçoit la plainte de ce genre.

 

 

 

Qu’en est-il des plaintes déposées au CSM, à l’inspection générale des services du ministère de la Justice ?

 

 

 

En ce qui concerne la plainte au CSM, je n’en suis pas informé. Par contre pour l’Inspection, je leur ai fait comprendre que l’affaire était judiciaire et que la Cour de cassation en était saisie. Je leur ai remis une copie de la requête du procureur ainsi qu’une copie de celle transmise à la Cour de cassation. L’inspection va certainement attendre que ce volet soit bouclé avant d’entreprendre toute action.

 

 

 

Entretien réalisé par

 

San Evariste Barro

 

Aboubacar Dermé

Roukiétou Soma (Stagiaire)

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