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Boursiers burkinabè en Inde : «Ils seront rapatriés dès le 22 février» (Pr Alkassoum Maiga, ministres des Enseignements supérieurs)

 

Dans l’après-midi du 17 février 2020, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, le Pr Alkassoum Maïga, nous a accordé une interview sur la situation des 16 étudiants burkinabè en Inde, précisément au Godavari institute of engeneering and technology (GEIT). Partis en 2018 au pays de Mahamat Gandhi pour y poursuivre des études dans les domaines de la mécanique, de l’électricité et de l’électromécanique, ils se sont fait entendre ces temps-ci, par voie de presse, en décriant leurs conditions de vie et d’études. Ils cohabiteraient avec toutes sortes de reptiles et d’animaux sauvages et recevraient leurs enseignements en telegu, un dialecte local. Mais selon le ministre, il y a simplement un montage grotesque autour de cette affaire. Il a par ailleurs indiqué que les Indiens ont souhaité que ces étudiants rentrent au pays dès le 22 février prochain.   

 

 

 

 

Depuis quelques semaines, le sort de nos étudiants boursiers en Inde fait des vagues. Quel est le fond du problème ?

 

 

 

Permettez-moi d’abord de vous situer le contexte. Il y a un centre qui s’occupe de l’information, de l’orientation, des stages et des bourses d’études dans notre pays, et c’est le CIOSPB (Centre national de l’information, de l’orientation scolaire et professionnelle et des bourses). Quand nous sommes arrivés, nous avons trouvé qu’il y avait eu un audit de la gestion des bourses d’études 2016 qui a relevé beaucoup de problèmes. Il y a eu une recommandation dans ce sens et le ministère s’est donné les moyens d’adopter un décret en 2017. Celui-ci a supprimé les bourses spéciales qui étaient à la discrétion du ministre de l’Enseignement supérieur pour mieux en organiser la gestion parce que normalement dans notre système, après le baccalauréat, un étudiant n’a pas droit à une bourse pour aller à l’extérieur. Mais il y a des bourses du Maroc, de la Tunisie, de Cuba, pour lesquelles nous organisons une sélection et ceux qui sont retenus ont une partie de la bourse qui est gérée par le pays ami et le complément l’est par le ministère de l’Enseignement supérieur, versé par l’Etat burkinabè. Notre pays a aussi pris l’option de renforcer le vivier de scientifiques, de faire en sorte que nous puissions bénéficier de techniciens et d’ingénieurs, surtout que le pays est dans l’industrialisation ; il y a également le boom minier. Tout cela a motivé les autorités à dire qu’il nous faut un regard spécifique pour ceux et celles qui ont fait le baccalauréat F3. Nous nous sommes ainsi penchés sur la manière dont nous pouvions les accompagner. Les nouveaux dirigeants du CIOSPB ayant assaini la gestion des bourses, nous avons dégagé les ressources financières qui étaient disponibles. C’est ce que nous avons utilisé pour accompagner la politique gouvernementale en donnant des bourses aux étudiants de cette catégorie.

 

Nous nous sommes orientés vers l’Inde, notamment vers deux universités, à savoir Sharda et Godavari institute of engeneering and technology (GEIT). Les responsables de ces établissements sont venus au Burkina Faso, nos services se sont rendus également là-bas et nous avons décidé de signer une convention. Selon les termes, ils nous ont accordé des tarifs préférentiels d’environ 4000 dollars par étudiant et par an (ndlr : 2,3 millions de francs CFA), représentant les frais de scolarité, d’hébergement, de restauration et pour contracter une assurance au profit de chacun d’eux. C’est ainsi que nous avons envoyé 16 étudiants, en 2018, au GEIT. A leur arrivée, ils ont commencé des cours d’anglais qui ont duré six mois. Après, ils devaient faire un test pour valider la formation reçue dans cette langue. Ils ont, dans la foulée, commencé à recevoir les enseignements dans les domaines techniques qui sont les leurs. C’est à partir de là que des problèmes ont été soulevés. Ils disent notamment qu’il ne s’agit pas d’une université mais d’un collège. Mais dans le système anglophone, le collège, c’est un institut supérieur. Dans celui français, on a plutôt affaire au niveau secondaire. Quand on dit le bachelor, nos gens pensent que c’est le baccalauréat mais ça équivaut à un niveau Licence. Ils ont aussi remis en cause le niveau du centre qui les a accueillis en estimant que ce qu’ils avaient appris au Lycée technique était supérieur à ce qu’ils recevaient sur place. Après ces aspects, ce sont les conditions de vie qu’ils ont fustigées en parlant de singes, de serpents, de reptiles, etc. simplement parce que pour eux en procédant ainsi, nous allions leur faire changer de centre comme ils l’ont, du reste, demandé. Je leur ai fait comprendre que j’ai signé une convention et que nous risquons de la rompre de façon unilatérale en procédant de la sorte. J’ai adressé une correspondance à l’ambassadeur du Burkina Faso à New Delhi afin qu’il parte faire un constat. Il a fait sa mission et nous a envoyé un rapport qui ne dit pas que ce n’est pas une université. Il dit cependant qu’il y a de petites difficultés. Nous avons, de ce fait, pris contact avec la partie indienne afin qu’elle fasse  des remises à niveau pour répondre aux points d’inquiétude de nos étudiants et  résorber les difficultés. Mais nos étudiants ont dit qu’ils veulent tout simplement changer d’université et c’est ainsi qu’a commencé le bras de fer. Ils ont remis en cause le rapport de l’ambassadeur comme s’il avait un parti pris. Ils ont été désobligeants vis-à-vis de celui-ci et ont commencé à attaquer la directrice générale du CIOSPB. J’ai personnellement reçu des mails désobligeants m’informant qu’ils sont en grève et qu’ils restent fermes sur leur position. Certains d’entre eux m’ont joint au téléphone, je les ai écoutés et dit en retour que nous verrions ce qui pouvait être fait. J’étais en déplacement hors du pays et c’est suite à tout cela que mon directeur de cabinet, avec le directeur de la communication, le secrétaire général, la DG du CIOSPB, ont reçu les parents d’étudiants pour leur exposer le problème que nous rencontrons avec ces derniers. Ils ont demandé d’expliquer à ces étudiants que nous ne pouvons pas rompre une convention de la sorte et de faire baisser la pression.

 

 

 

Cette convention s’étale sur combien d’années ?

 

 

 

Ils y sont pour des formations qui durent trois ou quatre ans selon le domaine. Si cela marche, chaque année, nous pouvions ajouter des étudiants que nous allons accompagner jusqu’à ce qu’ils obtiennent un diplôme pour revenir au pays.  

 

 

 

La démarche avec les parents d’élèves a-t-elle été concluante ?

 

 

 

Les parents les ont contactés mais le lendemain les choses ont repris de plus belle. Ils ont commencé à s’attaquer à l’administration, aux encadreurs qui nous ont écrit pour dire que la situation était intenable et qu’ils avaient déjà renvoyé des étudiants ghanéens mais restaient patients par rapport aux nôtres. Ils ont précisé que s’ils continuaient ainsi, ils seraient obligés de les renvoyer également. Mais les étudiants ont continué dans leur logique. Les parents m’ont adressé une correspondance pour dire qu’ils ne sont pas du tout satisfaits du traitement qui avait été fait de la situation de leurs enfants par le directeur de cabinet et la DG du CIOSPB. Je me suis résolu à leur accorder une audience. Nous les avons reçus dans la salle de réunion. Leur délégué, qui a pris la parole, était d’une violence extrême parce qu’il s’attaquait à nos services techniques. La DG du CIOSPB a pris la parole pour recadrer les choses, en disant que nous attendions d’eux qu’ils parlent aux étudiants pour les raisonner mais que nous avons l’impression que ce sont eux qui apportent de l’eau à leur moulin afin que la situation perdure. J’ai réagi en indiquant que ce sont certes leurs enfants, mais qu’ils doivent pouvoir faire la part des choses car ils leur font beaucoup confiance mais ne les connaissent pas bien, peut-être. Moi-même, j’ai reçu des mails et suis resté calme. La dernière fois, l’un d’entre eux m’a appelé, j’ai compris qu’il était très agacé mais je lui ai dit que je m’attelle à rencontrer leurs parents et que nous verrions ce qui pourrait être fait. Et le téléphone s’est coupé. J’en ai conclu qu’il m’avait raccroché. Les parents, eux-mêmes, ont fini par dire qu’ils ne reconnaissent plus leurs enfants et ne savaient pas pourquoi ils se comportaient ainsi. Par la suite, l’étudiant en question m’a envoyé un mail pour dire que le téléphone s’était coupé, qu’il s’excuse parce qu’il ne peut pas raccrocher à un ministre au nez. Dans nos échanges, j’ai dit que ce sont nos enfants à tous et que par rapport à la volonté de l’Etat, nous voulons qu’ils aient un niveau de formation conséquent qui leur permet de revenir pour s’occuper du pays. J’ai précisé qu’il n’est même pas sûr qu’ils vont tous rentrer au bercail parce qu’avec le niveau qu’ils auront, ils peuvent décider d’y rester ou d’aller ailleurs. Mais pour moi, ce n’est pas le plus important car à chaque fois qu’un Burkinabè occupe une position à l’extérieur, je considère que c’est un ambassadeur de notre pays qui pourrait servir son pays même s’il se retrouve dehors. J’ai dit que c’est donc un risque et que je voudrais qu’ils leur  disent de se calmer. C’est juste après que les parents furent partis que j’ai appris qu’ils ont communiqué par voie de presse. Nos amis Indiens se sont plaints, j’avais pourtant dit aux parents que j’enverrais un expert faire le constat et que s’ils peuvent prendre en charge un billet, l’un d’entre eux pouvait suivre et que nous l’aiderions avec un visa pour que les deux constatent la situation de visu. J’avais indiqué que s’ils reviennent avec la conclusion qui atteste que la formation n’est pas de niveau, je promets de faire changer d’université aux étudiants  à la fin de l’année. Je suis un formateur, ces étudiants ont commencé un semestre qu’ils n’ont pas fini, je ne peux pas rompre le contrat et trouver une autre université. Techniquement, ce n’est pas possible.

 

 

 

Entre autres griefs, ils ont parlé de leurs conditions de logement, du plateau technique qui ne serait pas adéquat…

 

 

 

Ils n’y sont pas seuls, il y a des Indiens, des Ghanéens, des Ethiopiens, des Nigérians, des Ougandais, etc. Je suis d’ailleurs surpris qu’ils aient fait les six mois de cours d’anglais avec les reptiles et que cela n’ait posé aucun problème. C’est quand ils ont commencé le domaine technique que ces reptiles ont commencé à les déranger. Il y a simplement un montage grotesque autour de cette affaire. Comme ils ont communiqué avec la presse et continuent d’être violents, j’ai envoyé une correspondance aux étudiants en leur disant de choisir entre rester en attendant les conclusions de l’expert et revenir au pays. Ils ont fait des lettres individuelles pour signifier qu’ils restent fermes sur leur décision d’être redéployés dans une autre université.

 

 

 

Ils disent que les cours seraient dispensés dans un dialecte local, le telegu, est-ce avéré ?

 

 

 

Comme je n’y suis pas, mes techniciens non plus, je ne peux pas mettre en doute ce qu’ils ont dit. Je sais simplement qu’on nous a dit qu’ils ont reçu une formation en anglais pour faire les cours. Mais ce sont des choses pour lesquelles  on n’a pas besoin de manifester. S’ils le disent et que nous le constatons, ils iront ailleurs. Mais ce qui est le plus gênant, c’est en pleine année qu’ils veulent ce changement. Si les Indiens aussi n’ont pas respecté le contrat, nous pouvons aussi réagir en disant que ce ne sont pas les règles du jeu. Si l’expert partait et revenait confirmer ces griefs, nous ne serions pas suicidaires pour les maintenir là-bas. C’est la façon dont ils ont voulu nous amener à renoncer à la convention qui est inconcevable.   

 

 

 

Mais est-ce que le ton de votre lettre n’a pas été un peu brutal et cassant ?       

 

             

 

Non. J’ai même conclu en leur disant de croire à ma considération distinguée. Je n’ai pas l’habitude d’être violent envers les gens. C’était avec tout le respect qui sied. Je les ai assurés de ma détermination à avoir ce qu’il y a de mieux pour eux. Mais comme ils sont fermes, j’ai, en Conseil des ministres, fait une communication orale, informant le gouvernement de ce que je n’ai pas d’autre solution que de les faire revenir. Et pendant que nous y étions, j’étais en conseil de cabinet et j’apprends qu’ils sont sortis avec des drapeaux du pays et des pancartes sur le campus dont nous avons reçu des images. Informés, les parents ont répliqué que leurs enfants ont dit qu’ils prenaient des photos avec leurs drapeaux, qu’on le leur a interdit et qu’ils sont partis au niveau de leur dortoir pour faire sagement ces images. L’un d’entre eux m’a assuré que ce n’était pas une marche. Les Indiens ayant assisté à cela ont souhaité que ces étudiants rentrent au pays aussitôt. L’examen d’anglais était programmé pour le 21 février 2020 et nous avons demandé qu’on leur permette au moins de subir cet examen et d’avoir leurs attestations. Ils ont accepté, mais que le 22 au soir, ils doivent être convoyés sur Mumbai et prendre leur vol pour le Burkina. Ils ont voulu que l’ambassadeur soit là pour s’assurer qu’ils rentreront car c’est la première fois qu’ils vivent une situation pareille. Finalement c’est une expulsion qui va forcément apparaître dans leurs dossiers. Or si c’était nous qui arrangions les choses pour qu’en fin d’année ils soient envoyés dans une autre université, leurs dossiers resteraient propres. C’est dans cet intervalle que le Chef de file de l’opposition a été touché…

 

 

 

Que pensez-vous justement de la sortie du Chef de file de l’opposition politique ?

 

 

 

Je pense qu’il est dans son rôle de faire de l’interpellation. Mais comme c’est le ministère technique qui gère ce dossier, peut-être que de façon très amicale, il aurait pu interpeller le ministère de l’Enseignement. Peut-être que j’aurais fourni des informations qu’il allait comparer aux dires des étudiants. Mais je suppose qu’il a pris à son compte les propos des étudiants et leur fait cent pour cent confiance. La première erreur est qu’il dit que ce sont des bourses indiennes, ce qui n’est pas vrai. Ce sont des bourses de l’Etat burkinabè. Ensuite qu’il semblerait que ce n’est pas une université, là les étudiants ont joué sur le mot collège. Il y a beaucoup de choses qu’on aurait pu éviter car nous avons toutes les infos. Pour l’histoire des reptiles, nous avons des images que nous pourrions montrer et on en serait resté là. Les parents m’ont contacté et j’ai signifié que je considère que ce dossier n’est plus technique, qu’il a été transformé en dossier politique et que techniquement je n’ai donc plus de solution.   

 

  

 

Mais n’est-ce pas le fait que nos étudiants aient vu leurs camarades d’autres pays transféré dans d’autres universités qu’ils ont du mal à comprendre pourquoi ça coince à leur niveau ?  

 

 

 

Je peux le comprendre aisément, étant un sociologue. Il y a l’effet de ce que nous appelons la comparaison sociale. Par exemple, si vous êtes marié, assis chez vous et que la femme du voisin fait de la cuisine dont les odeurs vous parviennent, vous serez tenté de dire que vous donneriez tout ce qu’il faut à votre femme mais pourquoi ce qui vient de l’autre cour sent mieux que ce qui est chez vous. On ne déplace pas pour déplacer, nous ne savons pas comment eux, ils ont négocié leurs conventions pour pouvoir partir dans d’autres universités. A supposer même que nous ayons réussi à les déplacer, cela demanderait un minimum de négociation, être d’accord pour leur verser le montant de l’année sans que nos étudiants aient fait la formation et se débrouiller pour trouver une autre université où nous devons encore payer. C’est pourquoi il faut des arrangements avant la rupture, la séparation. Ce n’est pas une question de cadre de vie et d’études, le problème est qu’ils ne veulent plus de cette université tout simplement.

 

 

 

Interview réalisée par

 

Aboubacar Dermé

 

Dernière modification lemercredi, 19 février 2020 21:27

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