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Mobilisation des syndicats contre l’IUTS : «Tuer le roi plutôt que payer l’impôt !»

 

Depuis que le monde est monde, en tout cas, depuis que les êtres humains ont appris à vivre en communauté, quel que soit le modèle d’organisation sociale considéré à travers l’histoire, lever l’impôt n’a jamais été un point de convergence entre les citoyens et leurs gouvernants. En effet, différents groupes sociaux se sont toujours opposés entre eux ou à l’autorité, pour protester contre ce qui a souvent été considéré et perçu comme une exploitation de certaines classes (prolétariennes) par d’autres (bourgeoises) ou, plus couramment, un abus des pouvoirs politiques contre les intérêts du peuple et des masses (laborieuses). Les divergences actuelles d’opinion, ainsi que le bras de fer annoncé entre le gouvernement et les syndicats au sujet de l’IUTS ne dérogent pas à la logique conflictuelle intrinsèque qui existe entre ce qui est considéré comme l’intérêt général et les avantages dits corporatistes. Analyse dialectique d’un sujet hautement polémique.

 

 

 

 

Au sortir du Conseil des ministres du mercredi 19 février dernier, répondant à l’interpellation d’un journaliste, le ministre de la Communication Porte-parole du gouvernement, Rémis Fulgance Dandjinou, confirmait à la presse et à l’opinion que l’application de la mesure d’extension de l’Impôt unique sur les traitements et les salaires (IUTS), sur les indemnités et les primes versées aux agents publics de l’Etat serait effective, pour compter de ce mois de février 2020. En rappel, la mise en œuvre de cette mesure, contenue dans la loi de finance 2020, devait initialement courir depuis le mois de janvier. Pour y avoir échappé le mois précédent, nombre de salariés de la fonction publique avaient poussé un ouf de soulagement. Quelques-uns avaient même (trop vite) conclu à une reculade gouvernementale, face aux menaces que leurs syndicats avaient brandies contre toute velléité d’application de cette nouvelle disposition. Finalement, après un mois de différé, le « couperet » est donc tombé. La plupart des concernés ont constaté sur leurs bulletins du mois et mesurer de façon concrète la hauteur du sacrifice proportionnel qui leur est demandé. Individuellement, en âme et conscience, chacun en jugera corrélativement à la situation actuelle du pays. Au niveau collectif, les organisations de travailleurs, conformément aux menaces proférées, sont sur le pied de guerre.

 

 

 

 

 

République des magistrats et des syndicats

 

 

 

Ironie de l’histoire, ce sont les syndicats des magistrats qui, les premiers, ont ouvert le feu. Eux pourtant à qui le pouvoir en place, dès sa prise de fonction (en application des dispositions de la loi organique n°050-2015/CNT du 25 août 2015 portant statut de la magistrature), a accordé des aménagements de traitements faramineux, jugés proprement scandaleux, comparés aux autres corps de métiers de la fonction publique burkinabè (voir dispositions du décret n°2016-256/PRES/PM/MINEFID/MJPHDC du 25 avril 2016 portant grille indemnitaire, primes et avantages de toute nature alloués aux magistrats en fonction et aux auditeurs de justice). Dans une déclaration conjointe datée du 20 février 2020, le lendemain de l’annonce faite par le ministre Dandjinou, le Syndicat autonome des magistrats burkinabè (SAMAB), le Syndicat burkinabè des magistrats (SBM) et le Syndicat des magistrats burkinabè (SMB), d’une seule et même voix, ont appelé «…à compter du 21 février 2020 inclus, au report de toutes les audiences publiques pour une bonne administration de la justice (sans rire !) ». Depuis, les Palais et Cours de justice à travers le pays sont supposés être déserts. Les justiciables un peu plus désemparés, laissés à eux-mêmes face à un appareil judiciaire et à des juges que les avantages acquis (au prix de la lutte ou gracieusement octroyés par le Prince…) ne semblent jusque-là pas décider à se mettre réellement au travail, « pour une bonne administration de la justice »  (pour de vrai cette fois.. .). Dans la foulée des reports d’audiences sine die, rendez-vous a été donné par la même déclaration à « …tous les magistrats, syndiqués ou non, à une Assemblée générale le 1er mars 2020 à 11h dans la salle d’audience du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou », aux fins de statuer sur l’IUTS et un certain nombre d’autres commodités, qui manquent au confort et qui ont le don de susciter l’ire et le courroux de nos braves magistrats ! Faute de la justice elle-même (en tant que troisième pouvoir et instrument d’équilibre du système démocratique dans l’esprit de Montesquieu), il semble que les juges burkinabè soient dorénavant indépendants vis-à-vis du pouvoir politique. Dans cette affaire de front commun syndical contre l’IUTS, peut-on toutefois savoir si c’est par solidarité de lutte avec les  travailleurs des autres corps qui « triment » encore, par devoir d’ingratitude vis-à-vis du gouvernement qui a étendu une « épaisse couche de beurre » sur leurs épinards, ou simplement par souci, «égoïste» certes mais ô combien humain, de préservation de leurs bons avantages acquis que les magistrats se sont mis au-devant de la fronde ?

 

 

 

Irrédentisme de part et d’autre

 

 

 

Le moins que l’on puisse dire, en attendant la suite, est que le débat sur l’IUTS s’est malheureusement cristallisé sur des positions figées, qui n’augurent rien de bon pour la paix sociale, à un moment où le Burkina Faso (on ne le répétera jamais assez) a besoin de s’unir, contre un ennemi qui menace l’existence même de notre nation. A ce jour, toutes les explications imaginables ont été fournies par le gouvernement, quant à la justesse, la nécessité et l’utilité de cette mesure. De même, toutes les protestations possibles ont été élevées par les organisations syndicales, pour exiger et tenter d’obtenir la levée ou tout au moins une suspension temporaire de la mise en œuvre de cette mesure.

 

A la base et pour le camp gouvernemental, outre les ressources budgétaires que celle-ci permettra de dégager, à un moment et dans un contexte où la nécessité en est véritable et cruciale, l’application de l’IUTS aux indemnités et primes versées aux agents publics de l’Etat relève d’une démarche à la fois légale et légitime. Légale parce qu’actée puis inscrite dans la loi depuis 2017. Légitime, au double point de vue du besoin urgent sus mentionné et de la nécessité du rétablissement d’une certaine équité des citoyens devant la loi et notamment d’une justice fiscale vis-à-vis des travailleurs du privé. Rien ne justifie en effet que depuis des années, les salariés du privé paient l’IUTS sur leurs primes et indemnités, tandis que ceux du public devraient continuer d’en être exonérés. Ce d’autant plus que, suite aux différentes revalorisations obtenues, les écarts d’émoluments en la matière se sont considérablement réduits entre le public et le privé.

 

Contre pareil argumentaire et cette façon de voir, les syndicats ont toujours eu bon dos de répliquer en rappel que, à l’origine, l’IUTS fut d’abord et avant tout un impôt volontaire. Un effort historique, consenti par les travailleurs voltaïques dans les années 1970 (1974 exactement sauf erreur de notre part), dans le noble objectif d’aider l’Etat à se sortir à l’époque d’une très mauvaise passe budgétaire. Non content de l’avoir pérennisé, puis finalement institutionnalisé, il paraît dès lors « cynique » de la part du même Etat (a-t-il beau avoir changé de nom entre-temps pour devenir Burkina Faso…), de vouloir retourner le sacrifice patriotique de leurs devanciers contre les travailleurs publics d’aujourd’hui, en prétendant étendre l’IUTS sur les indemnités et les primes que ceux-ci perçoivent. Match nul. Faites vos jeux, rien ne va plus ! Sauf que nous ne sommes ni à un match de foot, ni au casino. Il va donc falloir se mettre plus au sérieux et surtout trouver une issue à une crise injustifiée, inutile et contreproductive.

 

Buk’m la ra sii’m ye ! (« mets-moi au dos, mais ne me touche pas ! »).

 

Les arguments sont ainsi tranchés et les couteaux tirés. Pour s’en convaincre, il suffit de se risquer à jeter un coup d’œil sur les nombreux forums de débats qui foisonnent ici et là, à la moindre expression sur le sujet, fut-elle citoyenne et apaisée. Il est quasiment interdit de prononcer l’acronyme IUTS. La toile est infestée d’extrémistes et les réseaux sociaux envahis par des va-t-en-guerre de la pire espèce, qui promettent au pouvoir en place un sort peu enviable, si jamais, il persistait à vouloir faire appliquer la loi. Diantre ! Dans quel genre de république sommes-nous à la fin ?

 

Passe encore, lorsqu’il s’agit de quelques individus isolés et encagoulés, qui se défoulent sous le confort douillet de l’anonymat garanti par les outils modernes de communication. Plus officiels, à quoi riment tous ces appels à peine voilés à la désobéissance civile, lancés par des responsables d’organisations, que l’on pouvait penser et espérer plus conscients de leurs devoirs civiques et citoyens ? Que dire de tous les dangereux opportunistes politiques qui, dans un espoir machiavélique de succession, soufflent secrètement ou publiquement à pleins poumons sur la braise, espérant provoquer l’incendie qui pourrait brûler les ailes du régime en place ? Que penser de ces millions de Burkinabè, silencieux de ce silence coupable des gens bien, dont Norbert Zongo a vainement interpelé l’engagement actif pour la défense du bien public et de la destinée commune, jusqu’à finir dans la lâcheté d’un brasier criminel ?

 

Je ne suis pas de nature alarmiste ; encore moins du genre « oiseau de mauvais augure ». Il faudrait néanmoins que les Burkinabè apprennent à se départir de cette fausse nonchalance, qui fait que nous ne nous sentons presque jamais concernés, si ce n’est que bien après que les choses se soient déjà « gâtées », comme on dit couramment. Le 3 janvier 1966, ce fut Maurice Yaméogo. Les 30 et 31 octobre 2014, c’était le tour de Blaise Compaoré. Les dirigeants, dit-on, sont à l’image de leurs peuples. Qui sommes-nous et que recherchons-nous dans ces balbutiements historiques malheureux ? A la faveur de cette crise de l’IUTS, certains n’hésitent pas à promettre à Roch Marc Christian Kaboré un sort semblable (si ce n’est pire) à ses deux devanciers précités.

 

L’intertitre ci-dessus signifie littéralement « mets-moi au dos, mais ne me touche pas ! ». La volonté de l’opinion publique burkinabè paraît aussi capricieuse que le désir exprimé par cet adage mossi. Un adage qui traduit la controverse humaine et qui image parfaitement le périlleux exercice qu’est finalement celui de prétendre et d’avoir à diriger ce pays des hommes dits « intègres », qui se refusent à consentir et payer l’impôt.

 

Personne ne sait trop de quoi les jours prochains seront faits, en matière de quiétude sociale et de fonctionnement normal et régulier des services et institutions de l’Etat. Quoi qu’il en soit, pour ma part, au regard des retenues opérées, aucun fonctionnaire ni membre de sa famille ne risquent en vérité de mourir de faim suite à l’application effective de l’IUTS sur les indemnités et les primes. Les malheurs qui nous accablent depuis un temps devraient nous porter à mieux connaître, cerner et discerner l’essentiel du superflu. Une chose est de se battre pour des intérêts de clans, une autre chose est de vouloir sacrifier toute une nation. Nous sommes quand même 20 millions de Burkinabè ! Ne l’oublions pas, privilégiés que nous sommes, titulaires de numéros matricules…

 

 

 

Sidzabda Damien Ouédraogo

 

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